Les interventions en séance

Aménagement du territoire
31/03/2011

«Débat sur la désindustrialisation des territoires»

M. Claude Biwer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues, Au terme des onze mois au cours desquels se sont déroulés ses travaux, la mission est en mesure de présenter un diagnostic précis et argumenté de la désindustrialisation. En effet, en 10 ans, le secteur a perdu plus de 500 000 emplois, que l’on a essayé d’enrayer par une intervention renforcée de l’Etat et des collectivités territoriales. Entre 2008 et 2009, en région Lorraine, le secteur industriel participe à hauteur de 20% des baisses d’emploi. Nous constatons que c’est bien l’Asie, et notamment la Chine, qui est aujourd’hui l’usine du monde, et par ailleurs dispose d’un marché en pleine expansion. Mais l’Europe n’est pas pour autant mise au banc de l’industrie mondiale : la preuve avec l’Allemagne, qui a réussi à maintenir un secteur industriel fort, reposant sur l’excellence de ses formations, la valeur ajoutée de ses produits à forte dimension technologique dans la chimie, comme l’électronique etc...
Ce pays jouit d’une vraie culture industrielle et peut compter sur un réseau dense de PME de taille critique pour exporter.
L’industrie française a bien sûr ses fleurons, portés par de grandes entreprises agroalimentaires, aéronautiques, etc... mais manque peut être de diversité et d’efficacité du fait de l’insuffisance d’entreprises de taille intermédiaires, capables d’exporter sur les marchés dynamiques.
Ce sont avant tout nos petites entreprises, sous-traitantes de grands groupes étrangers qui sont les plus exposées à la désindustrialisation, et vers qui il faut concentrer nos efforts.
En outre, l’Etat français, Monsieur le Ministre, n’est pas un bon industriel, et d’ailleurs, on ne lui demande pas de l’être, mais seulement de créer les conditions les meilleures pour que les industries puissent grandir.
Pour cela, il faut des politiques publiques stables, plutôt que des actions de communications, où l’on promet, à tort, que l’Etat empêchera la fermeture inéluctable d’un site, comme ce fût le cas pour Arcelor-Mittal.
Or, l’Etat n’a pas réussi à impulser une dynamique sur des nouvelles filières industrielles. Par exemple, on aurait espéré que la filière verte française puisse tirer la croissance industrielle : les éoliennes « made in France » ne représentent que 5% du parc, et les panneaux photovoltaïques français 20% des installations.
Ces filières ne sont pas compétitives : le moratoire les a étouffées. Et l’arrêté de mars dernier a conduit le premier producteur français de panneaux photovoltaïques à déployer un plan social touchant 40% de ses salariés ! On vous avait mis en garde lors du débat sur le budget, vous ne nous n’avez pas entendu.
De son côté, l’éducation nationale n’a pas su valoriser les filières professionnelles, ni favoriser l’alternance. De même nous ne pourrons pas prétendre conquérir le monde avec le made in France si nos infrastructure de transport international (les ports de marchandise, le ferroutage) ne font pas l’objet d’un minimum d’ambition, et d’attention de l’Etat, à l’heure où les syndicats ont pris le contrôle de ces structures, et multiplié les grèves.
Je l’avais déjà souligné lors du débat sur le Schéma National des Infrastructures de Transports, donc je n’insisterai pas une deuxième fois.
Le gouvernement aurait les moyens d’activer des leviers pour favoriser l’environnement industriel.
A la place, il met en place des « dispositifs » d’aides directes non durables, fortement administrés, lourds, et dont les effets d’aubaines les rendent peu efficients.
Pour avoir moi-même créé une entreprise récemment, et donc des emplois dans l’hôtellerie, j’ai pu mesurer directement le poids des difficultés administratives et financières, avant même l’ouverture de mon établissement. J’ai regretté de ne pas l’avoir ouvert à 15 Km de mon village, en Belgique ou Luxembourg où l’environnement normatif est plus souple !
Par exemple, on a raboté cette année le Crédit Impôt Recherche à 50% au lieu de 75%, et on prévoit de le ramener à 25 % l’année prochaine. Comment soutenir l’innovation, quand, en 4 ans, on supprime les dispositifs fiscaux qui favorisent une industrie innovante, ou qu’on pose des conditions d’éligibilité sans cesse plus restrictives ?
L’interventionnisme direct dans l’entreprise par le biais de subvention, et le centralisme en France ne sont donc pas des leviers efficaces de soutien l’industrie.
Il vaut mieux favoriser, à l’instar de l’Allemagne, les conditions d’un développement réussi des entreprises en soutenant la recherche et en favorisant une culture industrielle via l’apprentissage, et l’harmonisation européenne en matière de dépôt de brevets.
En revanche, toutes les propositions (vœux pieux) consistant à renforcer les moyens des structures administratives existantes où à favoriser l’interventionnisme de l’Etat dans l’entreprise elle-même me semble vaines, car inadaptées aux attentes des entreprises de taille intermédiaires.
En outre, il nous faut renforcer l’ancrage territorial de nos entreprises. Les pôles de compétitivité, et parfois les pôles d’excellence rurale, constituent à ce titre un instrument efficace et pertinent, où les entreprises, complémentaires les unes aux autres, se constituent naturellement en réseau essaiment sur le territoire et permettent le dialogue interentreprise. Pour ma part je ne crois plus à l’efficacité des services de la DIRRECT.
L’ancrage territorial de nos entreprises se fera par une responsabilisation sociétale des entreprises, telle qu’elle existe avec la norme ISO 26 000 (engagement de formation des salariés, maillage du territoire...), les accords de méthode, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, la revitalisation économique des territoires par anticipation (donc avant qu’un site ne procède à un plan social)...
Plutôt que de dépêcher à la hâte des commissaires à la réindustrialisation, pompiers sans lances à incendie, pour éteindre le feu de la désindustrialisation, il nous faut anticiper, et inciter les entreprises à prendre des mesures, afin de favoriser, la réindustrialisation de la France, et retrouver son rang au niveau mondial.
Au rang des difficultés ne perdons pas de vue le coût horaire de la main-d’œuvre française, due partiellement à l’excellente protection sociale dont nous bénéficions, mais aussi à l’effet des 35 heures qui nous place au plus bas dans la compétitivité industrielle mondiale.
Dans notre pays, les entreprises n’ont pas intérêt à avoir besoin d’un dépannage urgent du jeudi soir au mardi matin. Nos habitudes basées sur le stock 0 font que le service ne pourra être effectif que le mardi si le transport n’a pas été perturbé.
Je me permets cette remarque, parce que j’observe que beaucoup d’entreprises de mon département frontalier se tournent hors de nos frontières pour s’approvisionner, voire s’équiper.
Si tous les territoires situés à moins de 100 Km de la frontière ont la même démarche, ce sont 200 000 km², soit 1/3 du territoire national, qui abandonne notre production nationale au profit de territoires frontaliers allemands, belges et espagnols.
Nous pouvons même appliquer cette réflexion aux fuites de capitaux qui quittent la France, pour aller dans les pays frontaliers, limitant sérieusement nos moyens à investir, et paralysant la consommation.
Je ne suis donc pas de ceux qui pensent que l’Etat devrait toujours faire plus et qu’il faut toujours en rajouter.
Je rêve simplement de voir l’Etat français éviter toutes ces erreurs de stratégie et prendre les mesures administratives permettant à chaque Française et Français de retrouver l’instinct de nationalisme positif pour aider et participer au renouveau économique dont notre pays a besoin.
Pour cela, il faut redonner le goût au travail et l’espoir du lendemain : pas par des promesses, mais par des actions simples qui permettront une relance « psychologique », constituant un préalable nécessaire à la réindustrialisation de notre pays.
Le groupe de travail sur la réindustrialisation a bien pointé du doigt les anomalies et difficultés de l’économie française. Nous devons à présent être plus inventifs sur les actions à conduire, plus en amont qu’à l’accoutumée, et au plus proche de l’entreprise et du territoire sans politiser le débat, nous devons faire preuve de courage pour prendre les bonnes mesures et démontrer notre volonté à nous unir sur tous les bancs de cette assemblée et au-delà afin de les mettre en application en ayant vraiment envie de réussir et de servir l’entreprise et le territoire.