Les interventions en séance

Economie et finances
30/11/2010

«Projet de loi de finances pour 2011, Mission Enseignement scolaire»

M. Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le peu de temps qui m’est imparti, je voudrais évoquer deux points qui font aujourd’hui débat : la formation des maîtres et l’évaluation.
Concernant la formation des maîtres, je vous le dis tout net, monsieur le ministre, je ne suis pas de ceux qui regrettent les IUFM tels qu’on les a connus hier : une formation théorique déconnectée des réalités, des apriori pédagogiques issus d’une idéologie souvent fumeuse et le verbiage d’intervenants qui eussent été bien incapables de faire classe ! Ces réalités m’ont poussé à saluer votre choix de privilégier, pour les jeunes maîtres, le contact direct avec les enfants et l’apprentissage sur le terrain.
Mais force est de constater que la réalité n’est pas toujours conforme à l’ambition affichée.
La mastérisation continue de sacrifier souvent au pédagogisme, au détriment de la pratique. Deux stages de 108 heures, soit quatre jours par trimestre, ne sont, vous en conviendrez avec moi, monsieur le ministre, vraiment pas suffisants. Et ils le sont d’autant moins que ces jeunes débutants se voient confier, à l’issue de ce master, une classe à plein-temps.
A priori, ce n’est pas une mauvaise chose, mais à une condition toutefois, et elle est capitale : qu’ils puissent bénéficier du soutien et de l’expérience d’un véritable tuteur. Or c’est là que le bât blesse !
La situation telle qu’on peut l’appréhender après trois mois offre un paysage pour le moins contrasté.
Certaines académies jouent le jeu, d’autres beaucoup moins. Vous avez souhaité qu’il soit procédé à une évaluation. Il est urgent qu’elle ait lieu, afin que nous puissions notamment gommer ces disparités.
Au demeurant, la formation ne concerne pas que les débutants.
Dans notre société en pleine mutation, le développement de l’école numérique est une priorité absolue, et je rejoins en cela le point de vue exposé tout à l’heure par ma collègue Catherine Morin-Desailly. Encore faut-il que les enseignants soient formés à ces nouvelles pratiques, et tout au long de leur carrière, car, s’il est un secteur qui bouge en permanence, c’est bien celui-là.
Les recteurs d’académie proposent chaque année 18 heures de formation aux enseignants. Puissent-ils les réserver, pour l’essentiel, à ces formations !
Ils ne devraient pas non plus négliger l’enseignement artistique.
Les recommandations faites en leur temps par M. Éric Gross pourraient utilement être prises en compte.
Je n’ignore pas que vous êtes contraint par les réalités budgétaires. Mais c’est justement quand l’argent se fait plus rare que l’innovation doit se faire plus prégnante, quitte à bouleverser un peu les habitudes et l’inertie d’une grande maison comme la vôtre !
À cet égard, je ne prendrai qu’un seul exemple : la loi du 13 août 2004, qui prévoit la création des établissements publics d’enseignement primaire, laquelle va dans le sens d’une rationalisation et d’une mutualisation, attend toujours ses décrets d’application. Certes, le Haut Conseil de l’éducation a émis un avis négatif, mais il n’est que consultatif.
Selon moi, vous auriez tout à gagner, monsieur le ministre, à faire d’abord confiance à votre bon sens et à celui des enseignants de terrain, plutôt qu’à celui de certains experts. Que la RGPP s’applique aux experts, cela ne me gêne pas ; qu’elle s’applique aux enseignants de terrain, cela me dérange un peu plus.
La dernière idée mûrie par ces brillants cerveaux est d’abolir toute notation. Quitte à paraître démodé, je persiste à penser, eu égard à ma longue expérience d’enseignant, qu’une note permet aux élèves de se situer par rapport aux autres et à eux-mêmes, à condition, bien sûr, que l’enseignant ait la manière.
Un bon maître saura toujours expliquer à tel élève que c’est grâce à son travail que sa note est passée de 5 à 10 et à tel autre que c’est son absence de travail qui l’a fait chuter de 15 à 8.
Notre époque aime la complication !
Je conclurai mon intervention par une note d’humour.
Un jeune maître en début de carrière m’a expliqué sa perplexité d’avoir à évaluer ses élèves de cours préparatoire sur trente compétences. Je ne les énumérerai pas toutes, mais certaines conviendraient aussi, me semble-t-il, à la classe politique prise dans son ensemble, sénateurs et ministres inclus : « comprendre des phrases nouvelles » ; « lire à haute voix un texte préparé par avance » ; « construire une phrase ayant un sens » ; « comprendre les règles d’un jeu collectif » ; « s’engager lucidement dans l’action ». (Sourires.)
Monsieur le ministre, je vais vous faire une confidence, il se trouve aussi dans cette liste une compétence que je n’ai pas acquise et qui m’aurait fait tripler mon cours préparatoire : « déterminer par addition ou soustraction le résultat d’une augmentation » ! (Rires.)
Mais vous n’êtes pas concerné, monsieur le ministre, car vous avez élaboré un budget ! (Sourires.)
Comme la plupart de mes collègues centristes, je voterai ce budget, malgré ses imperfections, espérant que vous tiendrez compte de mes préoccupations concernant la formation. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Françoise Laborde et M. Jean-Jacques Mirassou applaudissent également.)