Les interventions en séance

Affaires sociales
30/09/2010

«Projet de loi, de régulation bancaire et financière»

M. Jean-Jacques Jégou

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la crise financière provoquée par la faillite de Lehman Brothers et l’effondrement d’American International Group, AIG, est sans doute la plus grave que le monde ait connue depuis les années trente. On sait les dérives – phénomènes spéculatifs, prises de risque excessives, titrisation – qui ont conduit à cet effondrement du système financier.
La crise financière de l’automne 2008 a même été aggravée par le système financier international lui-même, ses dysfonctionnements et ses déséquilibres structurels étant de plus en plus considérables. Elle a d’abord touché la finance, avant de se propager à l’ensemble de l’économie. Le temps où la finance était subordonnée à l’activité économique est bien révolu !
Pour sortir de la crise économique mondiale et renverser ce cycle de défiance, il faut reconstruire la finance et, pour cela, rétablir la confiance entre les acteurs économiques et les marchés financiers, changer les règles qui ont conduit à la catastrophe et retrouver l’ordre normal des choses, c’est-à-dire un ordre où la finance est un outil au service de l’économie.
Tout le monde a pris conscience – et les décisions prises lors des trois sommets du G20, de Washington, Londres et Pittsburgh l’ont montré – de la nécessité de rebâtir un système financier dont l’objectif principal soit le financement de l’économie réelle et la croissance à long terme et non, comme cela a été le cas ces dernières années, la recherche unique de profits immédiats.
Les opinions publiques ont pu avoir le sentiment, encore récemment avec le G20 de Toronto, dont les résultats ont été décevants, que les efforts visant à renforcer la régulation financière et à la coordonner au plan mondial ont rarement dépassé le stade des déclarations d’intention. Il est vrai que, depuis deux ans, nos concitoyens ont plus entendu parler de mesures d’urgence, de sauvetage d’institutions bancaires, de milliards injectés dans l’économie, de plans de relance et de mesures d’accompagnement de sortie de crise que de décisions concrètes en matière de régulation du capitalisme financier.
Pourtant, en même temps qu’ils géraient l’urgence, les grands pays du G20, conscients qu’une réforme structurelle était indispensable pour rétablir la confiance dans les mécanismes de régulation de l’économie mondiale, ont ouvert de vastes chantiers destinés à encadrer le pouvoir de la finance. La liste de ces chantiers ouverts par les gouvernements du G20 est impressionnante : banques, fonds spéculatifs, produits dérivés, agences de notation, règles comptables, paradis fiscaux...
Malgré cela, certains peuvent avoir le sentiment que la mise en œuvre des nouvelles politiques de régulation se fait attendre. Au point que beaucoup ont pu penser, faute de décisions concrètes, que le monde d’hier, la finance d’avant la crise, qui a conduit à cette crise économique, est en train de ressurgir et que la tentation du business as usual a repris le dessus.
Mais aujourd’hui, après le vote en juillet du Dodd-Frank Act aux États-Unis, l’adoption quasi unanime d’une vaste supervision financière européenne par le Parlement européen, le 22 septembre dernier, et la discussion du projet de loi français de régulation bancaire et financière, on peut légitimement affirmer que le renforcement de la régulation financière prend forme, certes laborieusement, mais prend forme.
Comme l’ont indiqué les chefs d’État lors de la réunion du G20 à Londres, en avril 2009, cette réforme structurelle doit concerner en priorité le renforcement des échelons internationaux de supervision, l’extension du champ de cette supervision et le durcissement des normes appliquées.
Le projet de loi français suit cette direction et je ne m’étendrai pas sur ses apports, ni sur les nombreux dispositifs techniques qu’il met en place, M. le rapporteur général les ayant parfaitement décrits et analysés. Au-delà de ces mesures, les enjeux de ce texte sont essentiels, puisqu’il tend à renforcer la supervision des acteurs de marché, dans une période capitale pour la régulation bancaire et financière.
Le projet de loi de régulation bancaire et financière s’inscrit en effet dans le mouvement mondial de réglementation, et il est important que notre pays montre qu’il est prêt à traduire sur le plan national les décisions européennes et mondiales en la matière.
La crise a ainsi mis en évidence la nécessité pour les régulateurs de disposer d’une vision de l’ensemble des risques, plus particulièrement ceux de nature systémique. Elle impose de mettre en place des structures transversales de surveillance aux niveaux national, européen et international, pour améliorer la capacité de prévention et d’évaluation des risques, comme la réactivité des régulateurs, par la mise en place des systèmes d’alerte. Elle implique également que les autorités de régulation des différents secteurs et des États coopèrent et échangent leurs informations.
Les autorités de régulation doivent également réduire le plus possible ce que l’on appelle les « angles morts », afin qu’aucun acteur ou produit financier, notamment les plus complexes et les plus dangereux, n’échappe à la surveillance ni à la réglementation. Cela passe par un renforcement de la transparence et de la traçabilité de ces produits – donc par des informations fiables sur leur nature, les parties et les risques inhérents aux opérations – et l’établissement d’une réglementation proportionnée à ces risques.
Il faut enfin responsabiliser les acteurs, en faisant apparaître et assumer clairement le coût du risque. C’est tout l’enjeu de Bâle III pour les banques : le Comité s’est engagé le 12 septembre dernier sur la voie d’un renforcement de leurs exigences prudentielles, en leur demandant d’augmenter, à terme, leurs fonds propres disponibles et leur ratio de solvabilité.
Si le projet de loi initial du Gouvernement pouvait être en deçà des attentes, nos collègues députés l’ont largement enrichi sur de nombreux aspects. Le texte ainsi renforcé prévoit désormais tout un arsenal de mesures de régulation et de supervision.
Le fonctionnement institutionnel de la régulation est ainsi considérablement amélioré par la création d’un conseil de régulation financière et du risque systémique et par la ratification de l’ordonnance portant création de l’Autorité de contrôle prudentiel qui rendra plus efficace la régulation.
Par ailleurs, le projet de loi étend et approfondit le champ de la réglementation financière en octroyant des pouvoirs d’urgence à l’Autorité des marchés financiers, dont les pouvoirs de sanction sont nettement étendus, en élargissant son champ de compétence aux produits dérivés et aux contrats sur échanges de défaut, les fameux CDS, en renforçant le régime de règlement et de livraison de titres, ou encore en rendant plus transparents les prêts de titres réalisés en période d’assemblée des actionnaires et en aménageant certaines procédures du droit boursier.
Le projet de loi prévoit également la création d’un comité des risques, dans les établissements financiers, et d’un comité des rémunérations, dans les établissements de crédit et les entreprises d’investissement, afin de responsabiliser les acteurs.
Enfin, de nombreux textes communautaires sont ou seront transposés grâce à ce véhicule législatif, notamment en ce qui concerne les collèges de superviseurs et les échanges d’informations entre régulateurs. Le Gouvernement pourra transposer plusieurs directives récentes sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières, les droits des actionnaires ou les établissements de monnaie électronique.
À ce propos, il faut signaler tout particulièrement les dispositions européennes transposées ici sur les agences de notation, agences dont on sait qu’elles ont été l’un des maillons faibles du système financier. Ces dispositions prévoient, notamment, leur agrément et leur contrôle par l’AMF et leur responsabilisation, éléments selon nous essentiels.
Les agences de notation doivent être sévèrement encadrées dans leurs méthodologies, les outils et modèles qu’elles utilisent, les risques qu’elles mesurent – ce que l’on appelle leurs « standards » –, à la façon des professions de comptabilité et d’audit, qui sont encadrées et contrôlées au niveau supranational. Il est indispensable que des institutions qui émettent des avis aussi importants que des comptes soient soumises à des règles aussi exigeantes.
Il faut en effet rappeler que la crise économique commencée en 2008 présente le paradoxe d’avoir débuté au sein d’un des secteurs apparemment les plus régulés de l’économie, le secteur bancaire. Ce constat montre bien les limites des règles normatives, si elles sont contournées ou dépassées par des produits innovants. C’est pourquoi le renforcement des pouvoirs des superviseurs et l’amélioration des mécanismes destinés à garantir la transparence sont nécessaires pour prévenir les crises futures. Le simple ajustement technique des règles actuelles n’est pas suffisant.
La mondialisation financière rend également indispensable l’élargissement du champ de la régulation aux entités et territoires actuellement encore peu ou pas couverts, les fameux « trous noirs » de la finance mondiale que sont les hedge funds ou les paradis fiscaux. Ce point est prioritaire, car toute faille dans le champ d’application de la régulation la rendrait inopérante.
La mise en œuvre du renforcement de la régulation financière est un processus lent et complexe, car elle nécessite la recherche d’accords, au niveau international et européen, de l’ensemble des acteurs et des États. Il faut d’ailleurs saluer les efforts en ce sens du gouvernement français sur la scène internationale. Il faut aussi se réjouir du récent accord sur la supervision financière européenne, dont j’ai parlé tout à l’heure. Malheureusement, cet événement n’a pas trouvé l’écho qu’il mérite auprès du grand public et n’a pas été salué comme il aurait dû l’être, vu son importance, alors que l’action de l’Union européenne est décisive en la matière.
Le renforcement de la régulation passe par la création de structures supplémentaires, l’affectation de moyens en rapport et l’ajustement technique des normes, mais il ne pourra être effectif que si les autorités nationales, européennes et mondiales qui seront chargées de mettre en œuvre la réforme de la régulation sont reconnues comme légitimes afin de pouvoir garantir son efficacité et donc prévenir et traiter les futures crises. Tel est l’enjeu du prochain sommet du G20 à Séoul, en novembre prochain : les chefs d’État et de gouvernement devront montrer leur détermination à poursuivre dans la voie de la régulation du système financier.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste considère que ce projet de loi va dans le bon sens et le votera. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur le banc des commissions.)