Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Hervé Maurey 29/06/2011

«Proposition de loi visant à améliorer et sécuriser l’exercice du droit de préemption »

M. Hervé Maurey, Auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui vous est soumise vise à améliorer et à sécuriser l’exercice du droit de préemption urbain. Elle est issue des travaux menés par la commission de l’économie sur la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit, déposée par M. Jean-Luc Warsmann et examinée par le Sénat en première lecture à l’automne dernier. Ce texte comportait une réforme d’ampleur du droit de préemption urbain, ou DPU, que le Sénat avait refusée, pour des raisons tant de fond que de forme. Sur la forme, nous avions jugé qu’une réforme d’ampleur du droit de préemption n’avait pas sa place au détour d’une proposition de loi de simplification du droit. Sur le fond, la réforme proposée risquait d’entraver gravement l’exercice du droit de préemption par les collectivités, alors qu’il s’agit d’un instrument très efficace pour l’aménagement urbain. Tout en étant convaincus de la nécessité d’éviter la remise en cause du DPU telle qu’elle était alors suggérée, nous avions constaté qu’un certain nombre d’évolutions du droit applicable en matière de préemption étaient souhaitables. Une étude du Conseil d’État de 2007 avait d’ailleurs souligné ce point. Nous nous étions donc engagés à élaborer un texte sur le sujet. Ce texte, que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui, s’inspire largement des conclusions du groupe de travail relatif aux stratégies foncières constitué dans le cadre de la démarche entamée au mois de juin 2010 par le secrétaire d’État chargé du logement, Benoist Apparu, intitulée Vers un urbanisme de projet. La présente proposition de loi, qui se veut avant tout pragmatique, vise non pas à révolutionner le droit de préemption, mais à en améliorer le cadre juridique et l’usage. Au terme des auditions réalisées, nous avons pu constater que l’objectif paraît atteint, car ce texte semble susciter un consensus entre les différents acteurs concernés – propriétaires privés, aménageurs, élus locaux, opérateurs fonciers –, dont les intérêts peuvent parfois être divergents. Tous ont estimé qu’il était équilibré entre le droit des propriétaires à disposer de leur bien et la nécessité de donner à la puissance publique des leviers d’aménagement urbain. De tels leviers sont particulièrement nécessaires, dans un contexte de tension des marchés foncier et immobilier. Ils permettent en effet aux collectivités de disposer d’un outil pour mener à bien leur projet. Le droit de préemption répond à cet objectif et présente de nombreux avantages. Je rappelle que ce droit est institué très fréquemment, précisément par 80 % des communes dotées d’un document d’urbanisme. En revanche, il ne s’exerce que sur environ 1 % des transactions. Cela montre que ce droit est utilisé par les collectivités pour mieux connaître les conditions auxquelles les transactions se déroulent sur un territoire donné. Cette pratique leur permet de constituer un observatoire foncier, dans un contexte de relative opacité du marché foncier. Par ailleurs, et vous le savez, mes chers collègues, cet outil est beaucoup moins contraignant que l’expropriation : il concerne des biens dont le propriétaire avait l’intention de se séparer ; de plus, il est d’utilisation beaucoup plus souple. S’il offre des avantages, le droit de préemption doit néanmoins être sécurisé, notamment pour prendre en compte les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi la présente proposition de loi vise à répondre à un certain nombre de difficultés rencontrées actuellement par les collectivités dans l’exercice de ce droit, et à mieux garantir les droits de propriétaires. Tout d’abord, le texte améliore les prérogatives reconnues aux collectivités. Ainsi, l’article 1er enrichit le contenu des déclarations d’intention d’aliéner et apporte des améliorations à la publicité des décisions de préemption. Cette disposition doit permettre à la collectivité d’avoir une connaissance plus précise de la réalité du bien et des conditions de son aliénation, afin de pouvoir prendre sa décision en toute connaissance de cause. Nous avons néanmoins voulu éviter l’alourdissement systématique et par là même inutile des déclarations d’intention d’aliéner. Cette amélioration de la connaissance du bien préempté sera particulièrement utile pour la préemption de biens « complexes », éventuellement affectés de pollutions. Par ailleurs, le texte adopté par la commission prévoit que le titulaire du droit de préemption pourra visiter le bien qu’il souhaite préempter. Autre disposition favorable aux collectivités : si celles-ci renoncent à exercer leur droit avant fixation judiciaire du prix, elles retrouveront de nouveau ce droit sur le même bien dans un délai de trois ans, ce délai étant actuellement fixé à cinq ans. L’article 5, quant à lui, clarifie les dispositions relatives à l’utilisation du bien préempté, en précisant explicitement que le titulaire du droit de préemption peut utiliser le bien à d’autres usages que celui qui est initialement prévu, dès lors que ceux-ci sont inclus dans les objets légaux de la préemption. Vous le savez, mes chers collègues, il s’agit d’un élément très important et d’une avancée sensible pour les collectivités. Enfin, le texte améliore les conditions de la préemption partielle. L’autre axe de la présente proposition de loi réside dans les nouvelles garanties apportées aux propriétaires, dans le droit fil des recommandations formulées par le Conseil d’État en 2007. L’article 2 précise ainsi que, après saisine du juge de l’expropriation, le titulaire du droit de préemption ne pourra plus renoncer à l’acquisition, sauf si le prix fixé est supérieur de 10 % à l’estimation des domaines. Après fixation judiciaire du prix, c’est-à-dire, en pratique, après des mois de contentieux, le propriétaire doit pouvoir vendre son bien à la collectivité, sauf si le juge a arrêté un prix justifiant son renoncement ou si la collectivité découvre un vice caché. L’article 3 prévoit que le transfert de propriété intervient au moment de la signature de l’acte authentique de vente et du paiement du prix, dont le délai est raccourci de six à quatre mois. Cette mesure sera source de simplification, puisque, vous le savez, il existe aujourd’hui un décalage dans le temps entre, d’une part, le transfert de propriété qui intervient au moment de l’accord sur le prix et, d’autre part, la signature de l’acte authentique et le paiement. Cette situation crée une zone de flou juridique au cours de la période séparant l’accord sur le prix de la signature de l’acte de vente : la collectivité est virtuellement propriétaire, mais l’ancien propriétaire conserve la jouissance du bien. De plus, le défaut de paiement dans le délai de six mois entraîne l’obligation de rétrocéder le bien, ce qui assez est lourd. L’article 4 permet au propriétaire, en cas de renonciation du titulaire du droit de préemption avant fixation judiciaire du prix, de vendre son bien au prix indiqué dans sa déclaration révisé, s’il y a lieu, en fonction des variations du coût de la construction. Enfin, l’article 7 améliore les garanties des propriétaires, en leur ouvrant la possibilité d’une action en dommages et intérêts, même en cas de renonciation à la rétrocession. Vous le voyez, mes chers collègues, le texte qui vous est soumis, sans avoir vocation à bouleverser le régime du droit de préemption, permet de l’améliorer sensiblement. La commission s’est montrée particulièrement attentive et ouverte aux propositions formulées par l’ensemble de ses membres, comme nous pourrons le constater lors de l’examen des articles. Sur ce sujet très important pour les élus locaux, il nous semblait nécessaire qu’un large consensus se dégage. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé au sein de la commission, sous la présidence de Jean-Paul Emorine ; je ne doute pas qu’il en ira de même en séance aujourd’hui. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)