Les interventions en séance

Budget
29/04/2014

«Projet de programme de stabilité pour 2014-2017»

M. Jean Arthuis

Oui, monsieur le Premier ministre, nous avons la mission de préparer l’avenir, et le débat auquel vous nous conviez ce soir est une épreuve de confiance et de réalisme. Sommes-nous encore en mesure de maîtriser notre destin ? Le programme de stabilité est au cœur de la coordination au sein de l’Union européenne, et plus précisément au sein de la zone euro. Convenons que cet exercice, depuis son institution, est resté largement formel, les gouvernements successifs se donnant, les uns après les autres, bonne conscience par des prévisions exagérément optimistes et décalées par rapport à la réalité.
Je vous sais gré, monsieur le Premier ministre, de la solennité qui marque notre débat. Je regrette toutefois que vous renonciez à solliciter le vote du Sénat (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.), et j’étais naturellement attentif aux propos de notre rapporteur général, qui semblait lui aussi regretter que le Sénat, ce soir, ne puisse pas exprimer son opinion (M. Jean-Claude Lenoir applaudit.) sur ce programme de stabilité et de réduction des dépenses publiques.
Je voudrais, si vous le permettez, tenter d’exonérer l’Europe.
Bien souvent, on entend, dans des propos sévères, que c’est l’Europe qui nous oblige à rétablir notre compétitivité et à redresser nos finances publiques. Au contraire, mes chers collègues, sans l’Europe, nous aurions corrigé sans délai nos égarements. Oserais-je dire que, sans l’euro, la crainte de la dévaluation du franc par rapport au deutsche Mark aurait coupé court à toutes les tentations dépensières et exagérément déficitaires. Exonérons donc l’Europe de ce mauvais procès ! Le seul reproche que nous puissions lui faire est de nous avoir offert un bouclier pour jouer les prolongations dans nos turpitudes.
L’art de gouverner a été facilité parce que l’euro nous mettait à l’abri de toute dévaluation par rapport au deutsche Mark.
Nous mesurons la gravité de la situation : désindustrialisation, chômage de masse, endettement public abyssal. Vos annonces, monsieur le Premier ministre, ont dramatisé le diagnostic et les enjeux, et nous sommes tous placés devant nos responsabilités. La volonté que vous affichez répond à la nécessité d’inverser la tendance, et d’équilibrer enfin nos comptes publics. Après deux années d’errements, vous entendez alléger le coût du travail, modérer la pression fiscale et, en conséquence, réduire la dépense publique à hauteur d’au moins 50 milliards d’euros sur la période 2015-2017. Cette orientation globale nous agrée, mais ne dissipe pas nos interrogations et nos doutes sur l’effectivité de votre programme de stabilité. Je voudrais vous faire partager nos interrogations et nos doutes par rapport à ces deux priorités que sont, premièrement, la compétitivité et, deuxièmement, le redressement des finances publiques. D’abord, en matière de compétitivité, le parti pris est d’alléger les cotisations sociales. Le crédit d’impôt compétitivité emploi est maintenu à hauteur de 20 milliards d’euros et, d’ici à 2016, l’effort d’allégement sera porté à 30 milliards d’euros. Monsieur le Premier ministre, je salue le fait qu’un gouvernement de gauche ait fait tomber deux tabous de la République : le premier est de reconnaître qu’il y a un problème de poids des cotisations sociales dans notre pays. En effet, faire peser sur le coût du travail le financement de la protection sociale, c’est organiser assez méthodiquement la délocalisation des activités et des emplois.
Avec le CICE, vous avez fait tomber ce premier tabou, de même qu’un second : l’augmentation de la TVA n’est pas nécessairement une impasse. Je tiens à rendre hommage à cette démarche courageuse et lucide. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)
Maintenant, je ne suis pas sûr que vous ayez fait le choix de la simplicité. D’abord, le CICE est un mécanisme de cosmétique budgétaire : au 31 décembre, les entreprises constatent une créance sur l’État, mais vous chercherez vainement dans vos comptes, monsieur le ministre du budget, la dette de l’État envers les entreprises ! On attend en effet une année supplémentaire pour en faire le constat. Cela ne facilite pas la pédagogie à laquelle vous êtes attaché, monsieur le Premier ministre. Ensuite, vous avez décidé d’alléger totalement les cotisations sociales à hauteur du SMIC. Mais, ce faisant, vous avez créé une trappe à bas salaires, et vous allez donc perpétuer ce que d’autres ont fait avant vous. Vous oubliez de renverser la table, monsieur le Premier ministre ! De même, vous allez alléger les cotisations d’allocations familiales jusqu’à 3,5 SMIC. Là encore, vous avez créé un seuil. Complexité ! Pour vous le dire franchement, je regrette le Manuel Valls d’avant les primaires de l’automne 2011, celui qui n’hésitait pas à dire sa conviction que la TVA sociale pouvait être un bon instrument. Je regrette que le Premier ministre d’aujourd’hui n’ait pas trouvé les moyens de faire partager aux Français cette conviction.
Et je regrette que nous soyons incapables, au-delà de nos partis politiques, de faire taire ces clivages, pour avancer sur un terrain de lucidité et de courage.
J’en viens à la seconde priorité : réduire les déficits par la réduction des dépenses publiques à hauteur de 18 milliards d’euros à la charge de l’État, 11 milliards d’euros pour les collectivités territoriales – cela ne va pas être très simple –, 10 milliards d’euros à la charge de l’assurance maladie, et 11 milliards d’euros pour la protection sociale.
Vos hypothèses de croissance peuvent être qualifiées d’optimistes, mais je me garderai de tout procès à cet égard. D’autres avant vous s’y sont livrés, et je ne vous en tiendrai pas rigueur. Mais, pour l’essentiel, j’ai bien l’impression que vos économies consistent à dire que, puisque les dépenses publiques devaient augmenter, on fera en sorte qu’elles augmentent un peu moins que ce qui était prévu.
Ce discours-là, monsieur le Premier ministre, je l’ai entendu à maintes reprises, exprimé par des gouvernements de droite comme de gauche. C’est une façon de dire que l’on ne fait rien, que l’on ne s’attaque pas aux vrais problèmes, et que l’on reporte à plus tard les réformes structurelles. (Mlle Sophie Joissains et M. Roger Karoutchi applaudissent.) Quand va-t-on enfin y venir ? Cette rhétorique n’est pas nouvelle, nous l’avons maintes fois entendue, cessons d’en être complice !
Ce qui nous inquiète, je vous l’ai dit, c’est l’absence de réformes structurelles. Comment voulez-vous réduire la dépense publique si vous ne remettez pas en cause la durée du temps de travail dans les trois fonctions publiques (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UDI-UC et sur les travées de l’UMP.), fonction publique d’État, fonction publique territoriale, fonction publique hospitalière ? Nous avons récemment eu un débat sur les 35 heures à l’hôpital, pour constater à quel point elles étaient un fiasco. Si, demain, vous venez devant le Parlement avec une loi pour le financement de la dépendance, dites-moi comment vous la financerez en conservant les 35 heures.
Ce n’est pas parce que les gouvernements précédents ne l’ont pas fait que nous devons continuer à dire que personne ne le fera. (Mlle Sophie Joissains et M. René-Paul Savary applaudissent.) Osons reconnaître que nous n’avons pas été, les uns et les autres, à la hauteur de nos obligations !
Monsieur le Premier ministre, je souhaiterais que, sur ce point, vous révisiez votre proposition. Cela concerne non seulement les trois fonctions publiques, mais aussi des opérateurs de l’État et des collectivités territoriales. De même, dans le domaine social, il y a des conventions collectives qu’il faudra sans doute revoir. (Mme Laurence Cohen s’exclame.)
S’agissant des collectivités territoriales, je souhaiterais aussi que vous prononciez un moratoire des normes. Les normes multiples sont la bonne conscience des politiques (M. René-Paul Savary applaudit.), mais elles coûtent excessivement cher, et la plupart sont des activateurs de dépenses publiques qui viennent contredire l’objectif que vous poursuivez. (Applaudissements sur quelques travées de l’UDI-UC et sur plusieurs travées de l’UMP.)
Ayons le courage de remettre en cause nombre de normes et de laisser des marges de liberté dans la réforme que vous proposez des collectivités territoriales.
Laissez aux responsables des collectivités territoriales la possibilité d’innover dans le secteur public. (Mme Laurence Cohen s’exclame.) L’innovation ne doit pas être le privilège de l’économie marchande ; elle doit aussi pouvoir prendre corps dans la sphère publique.
S’agissant des collectivités territoriales, j’avoue que je n’ai pas tout compris dans vos déclarations récentes.
Tout d’abord, les réformes, elles doivent être engagées tout de suite, et non pas dans six ou sept ans ! Vous nous avez quelquefois un peu étonnés, et pour tout dire agacés, en procédant à une réforme de l’élection des conseillers départementaux.
Était-il en effet vraiment indispensable de réformer le mode d’élection alors que nous n’avions pas encore dit ce que feraient les conseils départementaux ? On a mis la charrue devant les bœufs.
Et voilà que Manuel Valls, quittant la place Beauvau pour devenir Premier ministre, invite ceux qui vont être élus selon ce nouveau mode d’élection à porter comme programme la fermeture de la maison.
Très franchement, j’ai applaudi votre décision de mettre un terme à la clause de compétence générale.
Toutefois, dès lors que chaque niveau d’administration voit ses compétences très clairement précisées, à quoi sert-il d’en supprimer une d’emblée ? Car, dans un conseil général, les deux tiers des dépenses de fonctionnement sont des dépenses d’aide sociale. Et je n’ai pas entendu dans vos propos des économies à cet égard. Hier soir, vous avez annoncé une revalorisation du RSA : ce sera à la charge des conseils généraux. (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.)
Voyez-vous, si l’on se met d’accord sur une spécialisation des compétences, peut-être faut-il revoir le rôle de chacun de ces niveaux d’administration territoriale ? Et puis, ne le prenez pas en mauvaise part, monsieur le Premier ministre, mais, lorsque vous avez dit cet après-midi – vous l’avez réaffirmé tout à l’heure, assorti d’une nuance – que le gel du point d’indice serait réévalué chaque année (M. Christian Cambon rit.), il y a là quelque chose qui peut faire naître le doute dans les esprits. (Rires ironiques sur les travées de l’UMP.)
De même, lorsque le gouvernement de Jean-Marc Ayrault a supprimé le jour de carence, c’était contre-intuitif par rapport à l’objectif que vous vous fixez, et que nous partageons.
Il n’y a pas si longtemps, le Président de la République nous invitait à réduire de 50 milliards d’euros les dépenses publiques. Votre prédécesseur à la tête du gouvernement dont vous étiez membre a publié trois décrets qui obligeront le président de conseil général que je suis à inscrire dans quelques semaines dans sa décision modificative 500 000 euros de dépenses de personnel supplémentaires, la rémunération des fonctionnaires de catégorie B et C ayant été revalorisée.
Permettez-moi de vous faire une recommandation, monsieur le Premier ministre : veillez à ne pas introduire de contradiction entre votre objectif général et les mesures concrètes que vous prenez.
Nous voulons croire que les décisions courageuses vont suivre, que nous avons eu en quelque sorte la présentation générale, la carrosserie, et que nous allons maintenant passer aux précisions pratiques. Nous ne pouvons imaginer que votre engagement ne soit qu’un habile plan de communication supplémentaire. Vous avez eu des prédécesseurs dans ce registre... Veillons à ce que ce programme de stabilité ne soit pas que de la « com ». Enfin, veillez également à ce que les orientations que vous prenez comportent plus que l’esquisse d’une nécessaire convergence européenne, car si nous voulons régler nos problèmes de chômage, de migration de travailleurs à l’intérieur de l’Europe pour des raisons de différentiel de charges ou de SMIC, préparons-nous à faire en sorte que la zone euro au moins soit un espace économique optimal. Monsieur le Premier ministre, vous avez souligné à l’Assemblée nationale l’importance du vote. Aussi, nous regrettons de ne pouvoir exprimer notre opinion. La situation est si grave, nous vous demandons de tout faire pour remettre la France d’aplomb. C’est votre devoir et c’est notre obligation. Or ce qui nous est présenté ce soir est trop général, trop vague. C’est du déjà entendu et du déjà vu. Nous ne voulons pas douter de votre volonté, mais, en l’état, le compte n’y est pas. Les économies doivent être précisément documentées.
Nous ne pourrions voter contre votre programme, parce que vous exprimez une volonté, mais nous ne pourrions pas non plus l’approuver, parce que ce serait signer un chèque en blanc. Les réformes, « c’est maintenant », monsieur le Premier ministre ! La première épreuve de vérité sera la loi de finances rectificative. Nous vous encourageons à faire preuve d’audace, laquelle doit être l’essence de ce que je crois être le courage en politique. La France ne peut se résigner à devenir l’homme malade de l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – Mme Françoise Laborde et M. Gilbert Barbier applaudissent également.)