Les interventions en séance

Emploi
Vincent Capo-Canellas 29/02/2012

«Proposition de loi, relative à l՚organisation du service et à l՚information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports»

M. Vincent Capo-Canellas

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, nous reprenons aujourd’hui la discussion de la proposition de loi relative à l’organisation du service et à l’information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports. Nous la reprenons là où nous l’avons laissée voilà quinze jours. En adoptant une question préalable, la Haute Assemblée s’en est remise à l’Assemblée nationale du soin d’apporter plusieurs modifications au texte, bref de jouer le rôle du législateur. La majorité sénatoriale n’avait pas jugé utile d’en discuter et avait préféré le rejeter en bloc. Nous en sommes donc réduits à observer le travail de nos collègues députés. Si les modifications apportées par l’Assemblée nationale sont pour la plupart rédactionnelles, d’autres améliorent sensiblement la proposition de loi et vont dans le sens de l’apaisement. Je me félicite que l’Assemblée nationale ait repris les amendements déposés par notre collègue Francis Grignon – je les avais cosignés –, tendant à limiter les sanctions disciplinaires dont les salariés peuvent faire l’objet aux cas manifestement excessifs. C’est un acquis que nous devons à l’Assemblée nationale. J’approuve également la solution trouvée par le rapporteur pour mettre fin aux détournements de la loi de 2007 auxquels certains se sont livrés à diverses occasions dernièrement. Pour ce faire, la proposition de loi prévoyait d’obliger un salarié qui s’était déclaré initialement en grève à prévenir vingt-quatre heures à l’avance de sa renonciation à faire grève. Paradoxalement, cette disposition pouvait entraîner un effet pervers, en obligeant un salarié à rester en grève alors qu’il souhaitait reprendre le travail. Le texte précise désormais que la déclaration de renonciation vingt-quatre heures à l’avance ne vaut pas lorsque la grève n’a pas lieu ou lorsqu’il y est mis fin dans l’entreprise concernée. Cette mesure est d’ailleurs utilement étendue aux transports ferroviaires et terrestres. Voilà pour les modifications introduites par nos collègues députés. Ce travail d’amélioration du texte, le Sénat aurait pu le faire, puisqu’une partie des amendements avaient été déposés par certains d’entre nous. En agissant comme il l’a fait, le Sénat en est réduit à un rôle de spectateur, contraint de saluer le travail réalisé par la chambre basse… L’institution sénatoriale, convenons-en, mérite pourtant mieux que ce rôle de figurant, fût-ce un figurant intelligent. Sur le fond du texte, je me suis déjà exprimé en première lecture. J’ai rappelé que nous étions attachés aux deux piliers que sont le dialogue social, en particulier pour les sous-traitants et les salariés du bas de l’échelle, et le droit des passagers. Contrairement à la présentation caricaturale qui a pu en être faite par la majorité sénatoriale, et c’était facile, ce texte n’ouvre pas la voie à un encadrement généralisé du droit de grève pour tous les salariés du transport aérien. Il ne s’agit pas, non plus, de mettre en œuvre un service minimum dans les transports aériens, ni même un service garanti à la manière de ce qui existe dans les transports ferroviaires terrestres. Il ne s’agit pas plus de soumettre l’ensemble des salariés du transport aérien à l’obligation de déclaration individuelle d’intention. Cette obligation ne concerne que ceux dont l’absence serait de nature à affecter directement la réalisation des vols. Il ne s’agit pas, enfin, d’un texte dont l’objet serait d’entraver le droit de grève : il s’agit, au contraire, d’affirmer la primauté du dialogue social, et de valoriser la négociation entre organisations représentatives des salariés et direction, afin de prévenir les conflits. Vous avez cherché à faire de ce texte un épouvantail, alors qu’il ne bafoue nullement le droit de grève. Au contraire, il défend le droit de circuler librement, qui est un droit de valeur constitutionnelle. Ce texte répond à l’intérêt général et à l’intérêt des consommateurs, qui ont également des droits, notamment ceux de travailler et de circuler. Souvenons-nous de ce que vous disiez en 2007 contre la loi relative au service garanti dans les transports ferroviaires. Ce texte était, selon vous, une atteinte intolérable au droit de grève. Que dites-vous aujourd’hui de cette même loi ? Que vous ne la remettrez pas en cause si vous revenez au pouvoir, car vous reconnaissez, comme tout le monde, qu’elle a permis des progrès indéniables en matière de dialogue social et d’information des passagers. Dans quelques années, je ne doute pas que, de même, vous reconnaîtrez que le dispositif dont nous sommes en train de discuter aura permis d’améliorer le dialogue social et la prévention des conflits dans les transports aériens. C’est un progrès pour les passagers d’être prévenus à l’avance de l’annulation de leur vol. Comme pour la loi du 21 août 2007, vous ne reviendrez pas sur cette loi si vous vous trouvez aux responsabilités. Le cœur de cette proposition de loi est l’amélioration de la prévisibilité du transport aérien en cas de grève. Alors que les activités du transport aérien sont libéralisées et ont un caractère concurrentiel, le texte réussit à adapter les principes directeurs du dispositif existant depuis 2007 dans les transports terrestres. Il s’inspire des trois volets de ce dispositif, validé par le Conseil constitutionnel et aujourd’hui reconnu comme positif par la grande majorité des syndicats de la RATP et de la SNCF. Le premier volet concerne l’encouragement au dialogue social et à la prévention des conflits par la négociation d’accords-cadres. Le deuxième volet consacre l’obligation pour les compagnies aériennes d’informer les passagers vingt-quatre heures avant le début des perturbations. Le troisième volet prévoit l’obligation pour les seuls salariés dont l’absence est susceptible d’affecter directement des vols d’informer leur employeur de leur intention de participer au mouvement de grève au plus tard quarante-huit heures à l’avance. Qui peut nier les blocages qui existent aujourd’hui dans ce secteur ? Au cours des trois dernières années, le transport aérien a été perturbé par des mouvements de grèves pendant 176 jours. Les enjeux sont importants, voire graves pour le secteur aérien. Ils sont importants, car les aéroports français reçoivent tous les ans près de 150 millions de passagers. Les conséquences du défaut d’organisation lors des grèves sont désastreuses pour le secteur du transport aérien. Je prendrai l’exemple de la dernière grève organisée au début du mois de février, au moment où l’Assemblée nationale examinait ce texte. Outre l’annulation d’un millier de vols, dont certains à la dernière minute, et les conséquences de ces annulations sur des dizaines de milliers de passagers, le mouvement de grève a entraîné de lourdes pertes pour Air France, de l’ordre de 8 millions à 10 millions d’euros par jour. Ces paralysies à répétition donnent une mauvaise image de la France aux touristes et aux professionnels étrangers, alors qu’Air France réalise aujourd’hui 30 % des vols vers l’Europe. L’accord passé entre Air France et le Syndicat national des pilotes de ligne, le SNPL, qui a fait couler beaucoup d’encre dans la presse, outre qu’il ne concerne que les pilotes, n’entamera pas le dispositif. Il viendra simplement limiter la capacité de la compagnie à fournir des équipages « de secours ». On peut, d’ailleurs, s’interroger de nouveau sur le poids des pilotes dans le dialogue social : le vrai problème est sans doute, comme je l’ai souligné en première lecture, du côté des agents proches du bas de l’échelle salariale et du côté des sous-traitants. Nous sommes convaincus que ce texte va dans le bon sens. Il participe à l’amélioration de l’image de la France et à la compétitivité de la place aéroportuaire de Paris dans une économie mondialisée. Les milliers de passagers désemparés, errant ou dormant à même le sol dans les aéroports, alors que ces lieux ne sont pas adaptés à un tel hébergement du public, donnent une image déplorable de nos aéroports, de nos compagnies aériennes et de notre pays. Pour terminer, je souhaite souligner combien ce domaine de notre économie est stratégique. Une étude récente nous donne quelques éléments chiffrés de l’importance économique du secteur du transport aérien et du secteur aéroportuaire. Le système aéroportuaire parisien produit une valeur ajoutée directe de 13,5 milliards d’euros et profite ainsi largement à l’économie locale, régionale et nationale. L’aéroport de Roissy - Charles-de-Gaulle crée 248 000 emplois et le système aéroportuaire francilien engendre, quant à lui, plus de 340 000 emplois directs et indirects. En outre, la croissance des emplois sur Paris - Charles-de-Gaulle est sept fois plus dynamique que dans l’ensemble de la région d’Île-de-France. Au moment où nos compagnies aériennes, notamment la première d’entre elles, sont dans une situation fragile et confrontées à une très forte concurrence tant européenne qu’internationale, cette proposition de loi est un moyen parmi d’autres pour leur apporter davantage de sécurité, pour favoriser le développement de leur activité et pour concourir au maintien de l’emploi. C’est un enjeu majeur aujourd’hui, qui passe par un dialogue social rénové. Nous regrettons donc qu’une nouvelle fois vous persistiez dans le refus de discuter de ce texte. Pour leur part, les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine renouvelleront leur soutien à cette proposition de loi équilibrée et raisonnable en refusant de voter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)