Les interventions en séance

Budget
Yves Pozzo di Borgo 28/11/2012

«Projet de loi de finances pour 2013-Article 44»

M. Yves Pozzo di Borgo

Avec nombre de nos collègues ici présents, je ne peux que m’insurger contre les dérives et les cafouillages qui entachent les négociations relatives au prochain budget pluriannuel de l’Union. Le mal dont souffre l’Union européenne est propre à celui des grandes organisations. Nous privilégions trop, au niveau européen, les dépenses de fonctionnement et insuffisamment les investissements stratégiques. J’évoquerai un investissement stratégique : Erasmus. En tant que vice-président de la commission des affaires étrangères et membre suppléant de la délégation française à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe ainsi que membre de la délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, l’OSCE, je voyage fréquemment et rencontre beaucoup de monde. Chaque fois que je m’entretiens avec des spécialistes des affaires internationales, qui portent un regard acéré sur le monde, je leur demande quel est le problème du monde aujourd’hui. Et chaque fois, à ma grande surprise, leur réponse est la même : ce n’est ni le problème israélo-palestinien, ni la mondialisation, ni la montée en puissance de la Chine, de l’Inde et du Brésil, c’est le manque d’éducation, c’est la rupture entre ceux qui sont formés et ceux qui ne le sont pas. Pendant des décennies, le programme d’échanges Erasmus a permis à des centaines de milliers d’étudiants européens de voyager et de découvrir différents pays membres de l’Union. Le pilier de ce programme volontariste, ce sont les bourses d’études. Or ces dernières sont de plus en plus difficiles à financer et leur tarissement menace à moyen terme la survie du programme. On pourrait se dire tout simplement que, si ce programme disparaît, c’est que la demande n’était plus au rendez-vous. Après tout, pourquoi voyager si l’on a Internet ? Pardonnez-moi ce trait d’ironie, mes chers collègues. Le tableau est bien différent. En France, le fossé se creuse de plus en plus entre ceux qui ont la possibilité de voyager et les autres. Mes collègues de l’Inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche, dont j’ai été membre, n’ont produit aucun rapport sur ce sujet, mais, chaque fois que je les interroge, ils me disent que là est le fossé, entre ceux qui peuvent voyager, qui maîtrisent les langues étrangères, et les autres. Ce fossé existe dans tous les milieux sociaux et s’observe ensuite à tous les échelons du marché du travail, que ce soit au sein des entreprises, qui recrutent de plus en plus de membres de leur personnel dirigeant à l’étranger, ou dans l’administration – d’où mon intervention destinée à contester l’article 8 du présent projet de loi de finances –, où il est impensable de présenter un concours de catégorie A sans une solide formation et une riche expérience d’une langue étrangère. Depuis son lancement opérationnel en 1993, Erasmus a contribué à tisser des liens d’amitié entre des millions de citoyens européens, entre des millions de familles. Un an après l’adoption par la France du traité de Maastricht, une véritable révolution était en marche, peut-être plus profonde et plus déterminante encore que la création de l’euro : je songe évidemment à la naissance d’une citoyenneté européenne qui soit véritablement vécue, ressentie et revendiquée comme telle, au-delà d’une simple mention sur un passeport. À ce titre, je rappelle le constat que je viens de dresser : en France, ce fossé est profond, et Erasmus le comble en partie. Il faut le savoir, 100 % des étudiants qui passent par les grandes écoles se rendent à l’étranger et y suivent des stages, tandis que seul 1 % des étudiants de l’université bénéficient du programme Erasmus. C’est, avec la politique agricole commune, un des enjeux fondamentaux du budget européen ! Parallèlement, Vitor Caldeira, le président de la Cour des comptes européenne, dénonce les gabegies gestionnaires des institutions de l’Union, au premier rang desquelles le Parlement européen. Mes chers collègues, vous connaissez les budgets du Sénat et de l’Assemblée nationale. Le budget du Parlement européen, c’est 1,2 milliard d’euros de frais de fonctionnement ! Cette assemblée croule sous l’argent et ne fait aucun effort de gestion. Je l’ai déjà dit bien des fois, et je le répète. Construire le fédéralisme européen, ce n’est pas abandonner toutes les responsabilités à Bruxelles en se contentant de geindre et de se plaindre face aux décisions européennes ! Le fédéralisme européen, au sens où l’entendent les sénateurs du groupe UDI-UC, c’est laisser à chacun la juste place qui lui revient et sa juste compétence. Le fédéralisme est donc à la fois un outil de simplification et de responsabilisation. Dans un système fédéraliste, chacun trouve sa juste place en accomplissant ce que lui seul peut faire. Je vous parle du fédéralisme parce que je considère que ces dysfonctionnements, que trahit le budget européen, ont une seule et unique cause : en dépit de nos vœux pieux, nous freinons des quatre fers dès lors que l’on aborde la logique fédéraliste. La politique de basse cuisine qui se joue parfois entre les États au niveau du Conseil ou de la Commission, par commissaires interposés, peut aboutir à des aberrations gestionnaires en termes de politiques publiques. À ce titre, je ne citerai qu’un seul exemple. Depuis le 1er janvier 2009 et l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, l’Union européenne a adhéré formellement à la Convention européenne des droits de l’homme qui, en un demi-siècle, est parvenue à créer le plus fantastique espace de protection des droits et des libertés fondamentales que l’histoire ait sans doute jamais connu. Or, dans le même temps, et du fait du Conseil de l’Europe, il aura suffi que l’Autriche réclame une action spécifique de l’Union sur la question des droits de l’homme pour qu’apparaisse une agence des droits de l’homme – dont le siège est à Vienne – et un nouveau commissaire européen, le tout pour un coût de presque 100 millions d’euros, si mes chiffres sont exacts. Évidemment, ce volume budgétaire semble négligeable au regard de la masse financière globale, mais toutes ces vétilles mises bout à bout nous renvoient aux insuffisances propres au pilotage stratégique du budget de l’Union européenne. L’Europe a besoin d’un budget plus solide, mieux construit et mieux employé. Le chantage auquel nous contraint David Cameron au nom du sacro-saint rabais britannique est un scandale politique. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. L’Europe est au bord du saut fédéral que, sur les travées centristes, nous appelons de nos vœux depuis des décennies. Jusqu’à présent, les institutions fédérales de l’Union ont été le meilleur pare-feu à la crise. La Banque centrale européenne – celle-ci nous a peut-être sauvés ; Mario Draghi nous a peut-être sauvés – a joué son rôle en matière de politique monétaire fédérale. C’est désormais au Conseil, à la Commission et au Parlement européen d’assumer leurs responsabilités en matière budgétaire. Le budget fédéral optimal pour l’Union européenne est évalué, par de nombreux économistes, à 5 % du PIB continental : or, le budget stagne actuellement à 1 % du PIB européen. Nous ne pourrons parvenir à cette masse critique qu’en apurant les pratiques budgétaires de l’Union des kystes gaspilleurs qui ne font qu’alimenter l’euroscepticisme de nos concitoyens. À long terme, nous devons mener une réflexion plus large quant aux ressources de l’Europe. Il est normal que les États participent au budget communautaire, mais cet étrange système de « retour sur investissement » via les fonds structurels et les subventions accordées doit être repensé. À ce titre, je m’adresse au gouvernement socialiste, qui adore créer de nouveaux impôts : à court terme, il faudra bien que nous instaurions un impôt européen. Sur ce dossier, les centristes vous soutiendront ! Vous pourrez créer toutes les nouvelles taxes possibles et imaginables, quoi qu’il en soit, l’impôt européen apparaîtra, en définitive, comme une nécessité. Mes chers collègues, nous ne pouvons plus nous comporter en contempteurs et en débiteurs de la politique budgétaire européenne. Cette dernière doit être responsabilisée, avant de pouvoir être véritablement fédéralisée et de devenir un levier du développement économique de notre continent. Tous les trois ans, la branche publique de la CIA, le National Intelligence Council, ou NIC, publie un rapport intitulé Global Trends, consacré aux perspectives stratégiques du monde à vingt ans d’échéance. Ce rapport, dans lequel les États-Unis évoquent l’Europe, constate les difficultés qu’éprouve l’Union à devenir une entité fédérale, non pour les déplorer mais bien pour s’en réjouir ! De fait, les Américains considèrent que l’incapacité des Européens à s’unifier n’est certainement pas une catastrophe pour eux. Lisez ce document – ce rapport n’est pas encore traduit en français, il est simplement cité dans un article de la revue France Forum, écrit par M. Adler –, qui est très intéressant. À mon sens, nous, Français, devons prouver que l’Europe peut se construire. Ainsi, nous ferons mentir les Américains, qui considèrent qu’elle ne doit pas advenir, dans la mesure où elle contrarierait leur système de déstabilisation de l’ensemble du monde. (Mme Sylvie Goy-Chavent et M. Vincent Delahaye applaudissent.)