Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Jean-Marie Bockel 28/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission « Défense » »

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, ce budget réaliste et sincère dans un contexte économique difficile, est marqué par une vision cohérente et pérenne de notre politique de défense nationale, mais également par son rayonnement européen et international. Les bons résultats obtenus cette année, nous les devons aux compétences militaires, mais également à la qualité des équipements utilisés, qu’il s’agisse des aéronefs, des navires, des sous-marins nucléaires d’attaque, des missiles, de l’optronique embarquée, des techniques d’imagerie ou encore des chaînes de transmission de données à haut-débit. Un seul bémol toutefois : l’échec du drone européen. La priorité accordée aux crédits d’équipement a donc été maintenue, tout en préparant l’avenir et en améliorant la condition du personnel, grâce au volet défense de la révision générale des politiques publiques, considéré comme exemplaire. Le budget de la défense représente des masses financières importantes, qui sont investies dans le tissu industriel national. C’est un point essentiel par les temps qui courent. Les 20 milliards d’euros injectés chaque année dans notre économie font travailler quelque 5 000 entreprises à haute valeur ajoutée, qui emploient directement 250 000 personnes dans le secteur de la défense et indirectement près de 1 million de personnes. La crise financière que nous vivons actuellement est un nouveau révélateur des interdépendances et des fragilités de chacun. Aucun pays dans le monde, aujourd’hui, n’est à l’abri des conséquences économiques de cette crise. Nul, désormais, ne peut penser que le monde de demain sera identique à celui d’hier. Depuis un demi-siècle, les Européens sont conscients de la nécessité d’une coopération entre les États. Nous avons su construire un système où nous avons privilégié le partenariat, l’interdépendance assumée, le respect de l’autre et la coopération entre les États, un système politique où l’état de droit prime sur le rapport de force, ce qui n’est déjà pas si mal. La construction européenne et l’Alliance atlantique ont été, au cours du dernier demi-siècle, les deux piliers d’une ambition pour les Européens : établir un cadre de sécurité collective susceptible d’assurer la prospérité et la stabilité du continent. Il y a dix ans ou presque, l’Europe de la défense était un concept purement intellectuel, et même un objet de méfiance pour ceux qui y voyaient une source de nuisance ou d’affaiblissement de l’Alliance atlantique ou encore d’atteinte à la souveraineté nationale. Aujourd’hui, nous l’avons vu, la place de la France sur la scène internationale, particulièrement au sein de l’OTAN, est essentielle, j’en suis pour ma part convaincu. L’Europe de la défense, même si elle est encore balbutiante – soyons réalistes ! – se précise à bien des égards. Dans un premier temps, nous avons donné à notre armée les moyens nécessaires pour que la France puisse prendre toutes ses responsabilités sur la scène internationale, comme on a pu le voir en Côte d’Ivoire, en Afghanistan ou, plus récemment, en Libye. Je tiens moi aussi à rendre hommage à tous nos soldats qui sont tombés sur ces théâtres d’opération, particulièrement en Afghanistan. S’agissant de la Libye, dans l’espace aérien et naval libyen, les aviateurs de l’armée de l’air, les marins de l’aéronavale et les équipages de l’aviation légère de l’armée de terre ont mené ensemble une formidable opération, en coopération avec l’OTAN et sous mandat de l’ONU, avec le souci permanent de limiter au strict minimum les dommages collatéraux au sol. Cette opération a été menée à bien, nous en connaissons les résultats, sans perte humaine ni matérielle pour nos forces. Il faut tout de même le rappeler. J’ai d’ailleurs eu le plaisir d’assister, le 10 novembre dernier, en votre compagnie, monsieur le ministre, et avec plusieurs députés et sénateurs, notamment le président Jean-Louis Carrère, sur la base aérienne de Mont-de-Marsan, au retour d’expérience des forces françaises engagées en Libye. Ce fut une occasion d’admirer l’excellence de leur performance, ainsi que la qualité des présentations, au travers desquelles, sans langue de bois, les soldats ont mis en évidence un certain nombre de manques ou d’attentes. Ce fut véritablement un moment très fort, révélateur du caractère démocratique de notre armée, qui, après avoir fait son devoir, s’exprime sans détour. Cette intervention en Libye marque la naissance d’une identité européenne de défense au sein de l’OTAN, dont la France se veut le promoteur depuis soixante ans. C’est le signe que nous avons fait, au niveau du commandement intégré en tout cas – c’est là aussi ma conviction –, le bon choix. Cette intervention illustre aussi toute la pertinence du renforcement de la coopération franco-britannique, opérée avec la conclusion, le 2 novembre 2010, des deux traités bilatéraux que nous connaissons. Douze ans après le sommet de Saint-Malo, qui avait permis le lancement de cette dynamique, la France et le Royaume-Uni ont confirmé leur volonté de rester des acteurs majeurs en matière de défense. À quelques jours du prochain sommet franco-britannique, prévu le 2 décembre prochain, peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’on peut s’attendre à de nouvelles avancées. II est important que les coopérations menées avec nos partenaires britanniques restent ouvertes à d’autres pays qui partagent les mêmes objectifs. Je pense en particulier à nos amis allemands, qui disposent d’une industrie de défense importante et reconnue, d’une armée qui, elle-même, est en pleine restructuration et avec laquelle nous entretenons une relation forte et parfois compliquée pour différentes raisons, y compris politiques. Avec l’Allemagne et la Pologne, qui a fait de ce sujet l’une des priorités de sa présidence de l’Union européenne, la France a formulé, dans le cadre du triangle de Weimar, des propositions concrètes sur l’Europe de la défense. Je pense notamment au renforcement des capacités européennes de planification et de conduite des opérations, à l’augmentation des moyens de l’Agence européenne de défense – que j’ai d’ailleurs eu l’occasion de visiter avec plusieurs de mes collègues sénateurs il y a quelques jours –, au développement des groupements tactiques ou encore au lancement de nouvelles opérations. Je sais que, sur ces questions, il y a souvent une grande distance entre les affirmations et la réalité pratique. Mais je ne crois pas faire preuve de naïveté en disant que ces propositions offrent de réelles perspectives et qu’elles constitueront des chantiers intéressants. Peut-être pourrez-vous nous dire, monsieur le ministre, si l’on peut, sur ces questions de sécurité et de défense commune espérer des avancées, même dans le contexte géopolitique actuel. Permettez-moi de vous interroger sur un sujet qui me tient à cœur pour m’y être beaucoup impliqué naguère : quid de la brigade franco-allemande ? On connaît sa force symbolique et réelle mais également les problèmes de doctrine d’emplois qui ont parfois pour conséquence qu’elle ne se voit pas confier toutes les missions qu’elle pourrait accomplir. D’autres exemples plus spécifiques de cette coopération européenne sont à valoriser, comme cela a été dit tout à l’heure. Je pense notamment au programme MUSIS, nouvelle génération de satellites d’information, qui sera un pilier de la future architecture ISR spatiale. Je pense également à la continuation de la valorisation de l’Erasmus militaire, qui permet déjà de mettre progressivement en place ce qui sera – rêvons un instant ! – une culture militaire commune. Je souhaite conclure mon propos par deux points qui me tiennent particulièrement à cœur. Premièrement, j’ai constaté, je l’ai d’ailleurs dit à votre collègue secrétaire d’État Marc Laffineur, une réelle volonté d’améliorer la potentialité des réserves militaires. C’est un sujet sur lequel je m’étais beaucoup impliqué en 2009. J’avais, à l’époque, évoqué trois chantiers qui sont toujours d’actualité : la réorganisation et la clarification de la gouvernance de la réserve ; le renforcement du dialogue et de la concertation entre les réservistes et leurs employeurs ; enfin, l’amélioration du vecteur essentiel du lien armée-nation qu’est la réserve citoyenne. N’ayant pas le temps de développer ce dernier point qui me paraît important, je ferai néanmoins une remarque, désormais habituelle de ma part : si la réserve opérationnelle disparaît, nos armées, du jour au lendemain, ne pourront plus fonctionner ; il ne faut jamais l’oublier. Nos collègues Jöelle Garriaud-Maylam et Michel Boutant ont effectué un travail très approfondi sur ce sujet, notamment sur le lien avec les autres réserves en cas de crise majeure. Deuxièmement, je voudrais brièvement évoquer la cyberdéfense, sujet sur lequel la commission des affaires étrangères a bien voulu me confier un rapport. Ce sujet passionnant est toujours d’actualité, notamment depuis les attaques informatiques massives qui ont frappé l’Estonie en 2007. Notre ancien collègue M. Romani a d’ailleurs présenté entretemps, au nom de la commission des affaires étrangères, un rapport qui fait date sur ce sujet. Nous savons aujourd’hui que la vulnérabilité des réseaux informatiques n’est pas seulement un problème technique mais une question de sécurité nationale. On imagine les conséquences pour notre pays d’une attaque informatique massive visant, par exemple, la distribution d’énergie, les transports, les hôpitaux, le système bancaire et qui conduirait à la paralysie de notre pays. Avec la création de l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information et l’adoption d’une stratégie, la France a renforcé ses outils en matière de cyberdéfense. Est-ce suffisant pour autant ? Notre défense doit s’adapter aux risques nouveaux, aux nouvelles technologies opérationnelles comme au développement et à la protection de son cyberespace, et je déplore la diminution de 20 millions d’euros des crédits de recherche en amont. La cyberdéfense et la cyberstratégie sont les nouveaux sujets fondamentaux d’une politique de défense moderne et renouvelée. Nous devons être à la pointe dans ce domaine, car les découvertes peuvent se traduire dans les domaines privé ou industriel et inversement. Nous devons valoriser ces passerelles entre les sphères militaires publiques et privées afin que l’information soit mise à jour rapidement, ce qui est une donnée essentielle, et surtout qu’elle soit protégée. Pourrait-on, par exemple, envisager l’obligation d’une déclaration en cas d’attaque informatique, afin que l’État soit au moins informé d’un tel risque ? Nous pourrions également établir des ponts entre les différents centres de recherche européens, et discuter la mise en place de protocoles internationaux. Si ce domaine reste encore largement terra incognita, comme le disait récemment le professeur François Géré devant l’Institut des hautes études de défense nationale, l’IHEDN, il faut rapidement trouver des repères en matière de doctrine stratégique. C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de porter une attention particulière à la prise en compte des crédits alloués à la cyberstratégie, sachant que, dans ce domaine, comparaison n’est pas raison. Je connais les chiffres mais nous savons souvent en France faire mieux avec moins et, surtout, nous ne mettons pas dans les montants les mêmes éléments que certains de nos voisins ou autres pays de référence avec lesquels nous nous comparons. Néanmoins, cette question est importante. Pour toutes ces raisons, le groupe UCR, en dépit de la situation budgétaire et dans l’attente de la prise en compte d’un certain nombre de propositions qui seront faites aujourd’hui, votera les crédits de la mission « Défense ». (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)