Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
28/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission «Aide publique au développement» »

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, mes chers collègues, la présence conjointe parmi nous du ministre chargé de la coopération et du secrétaire d’État chargé du commerce extérieur signifierait-elle enfin la reconnaissance d’une corrélation entre le développement et les entreprises ? L’aide publique au développement s’est engagée, à bien des égards, dans un processus de mutations qui concerne tant les intervenants institutionnels que la structure de nos interventions. À l’issue de ce processus de mue, l’enveloppe traditionnelle, faite de dons et de subventions, fait place à une peau plus neuve et plus souple, où les activités de prêt ont une part importante. Néanmoins, je ne suis pas sûr que cette nouvelle peau soit déjà confortable… Comment cette évolution est-elle ressentie au sein de l’Agence française de développement ? Se comportant à la fois en organisme donateur et en banque de développement, l’AFD subit les convulsions mondiales, qui lui imposent de respecter l’exigence de solidarité internationale et de gérer les biens publics mondiaux. Dans ces conditions, l’aide publique au développement française perd une grande part de sa spécificité. Son découplage de la stratégie économique nationale à l’égard des grands émergents et du monde en développement perd également de sa légitimité, car ni les ministères techniques ni les forces vives de notre pays ne participent aux organes de direction de l’agence. Je suis heureux, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, de pouvoir vous poser directement la question suivante : allons-nous prendre acte de ces évolutions majeures et engager une réflexion sur la gouvernance de l’AFD, afin de l’intégrer comme opérateur de la politique économique nationale ? Par ailleurs, le poids économique des pays émergents et la forte croissance enregistrée par certains pays africains donnent une forte dimension commerciale à la problématique de l’AFD, outre la contribution de celle-ci aux objectifs du millénaire, orientant ses financements vers des infrastructures marchandes comme celles de l’eau, de l’assainissement, de l’énergie. Je prendrai l’exemple de l’énergie, domaine dans lequel l’AFD intervient au titre notamment de la lutte contre le changement climatique. L’AFD alloue des prêts, mais d’autres acteurs comme l’ADEME, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, la DGT, la direction générale du Trésor, parfois des entreprises, contribuent la réalisation des infrastructures, qui seront, à terme, payées par les usagers. Où est la frontière entre commerce extérieur et aide au développement ? Je prendrai un autre exemple : les problématiques énergétiques sont-elles à ce point différentes en Chine, au Kazakhstan et en Russie pour qu’elles relèvent toutes les trois de situations différentes au regard de l’AFD, et donc d’intervenants et de logiques d’intervention différents ? Seule la Chine voit coopérer la DGT, l’ADEME et l’AFD ; en Russie sont présentes l’ADEME et la DGT, mais non l’AFD ; au Kazakhstan, l’AFD et la DGT sont appelées à coopérer depuis le mois de juin dernier, l’ADEME étant hors jeu : tout cela est-il bien cohérent ? La réflexion engagée par l’Allemagne a conduit à une intégration plus poussée de son dispositif institutionnel, lui-même traditionnellement plus interministériel que le nôtre. Il est temps, pour la France, d’engager les réformes nécessaires. Soyons lucides et concrets : l’AFD travaille trop peu en lien avec les entreprises. Or une telle collaboration est absolument indispensable, au regard du pragmatisme et de l’efficacité économique, pour contribuer à combler l’abyssal déficit de notre balance commerciale. Parmi les quatre priorités retenues par le Gouvernement, je voudrais mettre en exergue l’action en direction des pays émergents. Les incompréhensibles prêts à la Chine, l’évaluation des marges bancaires en Inde, l’ouverture de l’expérimentation à des pays trop riches pour être éligibles aux prêts de l’AFD sont à l’origine de bien des interrogations. Pourtant, cette priorité donnée aux pays émergents à enjeux globaux, dont la croissance constitue un élément significatif de la préservation des biens publics mondiaux, est pertinente. Je partage votre analyse, monsieur le secrétaire d’État : c’est en effet un moyen pour réduire des inégalités et insérer ces pays dans le commerce mondial. De plus, les prêts aux États n’entraînent aucun coût budgétaire pour la France et permettent un fort effet de levier. Je me réjouis de l’expérimentation de l’intervention de l’AFD dans certains pays de l’Asie centrale, région stratégique économiquement et politiquement en raison de ses richesses et de sa proximité avec l’Afghanistan. La coopération décentralisée peut être un outil fondamental de l’aide publique au développement si elle prend la forme d’une coopération technique. C’est à ce niveau que les projets très importants pour les populations doivent se mettre en place. Il suffit de considérer, par exemple, les actions en matière de santé en Géorgie que vous avez mises en œuvre, monsieur le ministre. Vous l’avez-vous-même relevé à juste titre, la coopération décentralisée est une part essentielle de l’action extérieure de la France. Enfin, les financements sont devenus plus difficiles, comme dans toutes les missions. La France maintient difficilement l’objectif européen de 0,7 % du revenu national brut consacré à l’APD à l’horizon de 2015. Cette année, notre effort sera de 0,46 % du RNB. Comme je l’ai souligné à propos d’autres missions, il est vital d’être novateur et audacieux. Je suis convaincu de la pertinence des financements innovants, que l’on s’accorde à considérer comme une dimension déterminante de l’effort international consacré au développement. À cet égard, je citerai la taxe sur les billets d’avion mise en place par certains pays, les dividendes tirés des ventes de quotas de CO2, hélas ! non encore totalement opérationnels en raison des difficultés financières des États, la taxe sur les transactions financières qui fait son chemin et qui a un été un peu plus qu’évoquée lors du G20 « développement ». Enfin, au-delà de ces financements innovants, je suis convaincu que les fondations philanthropiques, donc privées, vont jouer un rôle de plus en plus important. Ainsi, la fondation Clinton œuvre en faveur de la santé et des vaccins et la fondation Gates, qui concentre son action sur les innovations en matière de santé, s’ouvre à l’agriculture et à l’alimentation. En effet, nourrir les quelque 7 milliards de terriens est le défi majeur que nous avons à relever. Le G20 « agriculture » a abordé les questions de la production agricole mondiale, de la sécurité alimentaire et de la lutte contre la volatilité des prix agricoles. La fondation de l’Aga Khan, exemple emblématique de ces fondations privées, est très présente en Asie centrale. Malgré les difficultés rencontrées dans la stratégie et la gestion de l’aide au développement, l’Aga Khan a pu constater, dans des pays qui se considéraient comme abandonnés par la communauté internationale, la réalisation effective de ses projets dans les domaines de l’éducation, de la formation, de la santé, du développement rural et économique, mais aussi de l’énergie. Comme il a pu l’affirmer, « le développement, ça marche » ! Oui, mais à condition de rendre plus lisible, plus cohérente et plus forte notre aide publique au développement. En conclusion, je citerai ces propos tenus à Davos par le Premier ministre canadien, M. Stephen Harper : « J’ai pu voir le leadership mondial à son meilleur. L’aperçu d’un avenir plein d’espoir, où nous agissons ensemble pour le bien de tous. […] C’est la “souveraineté éclairée”. » Le groupe de l’UCR votera ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)