Les interventions en séance

Affaires sociales
Hervé Marseille 28/05/2013

«Proposition de loi portant déblocage exceptionnel de la participation et de l’intéressement»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la manière dont il a été présenté et examiné en commission des affaires sociales démontre bien les limites du présent texte. Madame la rapporteur, comme vous l’avez dit en commission et répété à la tribune, la mesure ne permettra ni de faire décoller la consommation dans le pays ni de rétablir la confiance. Vous l’avez également constaté, la mesure « ne constitue pas une idée neuve ». Enfin, il s’agit, avez-vous dit, d’une « mesure circonstancielle qui appelle des réformes plus profondes de notre système d’épargne salariale ». On pourrait presque s’arrêter là : tout est dit ! Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que le texte ait été rejeté par notre commission. Reprenons ces différents points. L’objet du texte qui nous est soumis est de permettre aux salariés de débloquer leurs primes de participation et d’intéressement, dans la limite de 20 000 euros, avant le terme du blocage légal, en bénéficiant des exonérations fiscales et sociales qui leur sont attachées, et ce afin de consommer des biens et services. Effectivement, il ne s’agit pas là d’une mesure particulièrement innovante. D’autres gouvernements l’ont fait auparavant. Comme cela a déjà été rappelé, la loi a autorisé cinq déblocages exceptionnels en vingt ans. C’est presque devenu un classique ! On ne peut donc pas vous reprocher, monsieur le ministre, d’avoir agi comme vos prédécesseurs, mais on pourrait, en revanche, vous reprocher de ne pas avoir tiré les leçons des démarches précédentes. L’objet de la mesure est de relancer la consommation, ce qui pose trois questions. On peut, d’abord, se demander si la mesure sera effectivement utile et de nature à relancer la consommation. À l’évidence, non. On ne saurait mieux le dire que notre rapporteur ! En dépit de son ampleur potentielle, l’effet keynésien du déblocage exceptionnel ne peut avoir, à lui seul, qu’un impact marginal. Il sera marginal et d’autant plus incertain que l’on ne sait rien des montants débloqués en 2004, 2006 et 2008. Heureusement, le présent texte prévoit enfin une évaluation a posteriori. Cela nous permettra d’y voir plus clair, mais l’information ne sera exploitable que pour l’avenir. La mesure aura d’autant moins de chance de relancer la consommation que l’ensemble des autres mesures prises par le Gouvernement depuis son arrivée au pouvoir ne peut, au contraire, que la déprimer. C’est le cas de la suppression de l’exonération des heures supplémentaires, de l’augmentation de la CSG, de la suppression du forfait applicable au versement des cotisations sociales pour les salariés intervenant au domicile des particuliers, du gel du barème de l’impôt sur le revenu, de l’augmentation de la redevance audiovisuelle. Ce sont ces 30 milliards d’euros retirés au pouvoir d’achat des ménages qui contribuent à maintenir la consommation en berne. Et apparemment, ce n’est pas fini, puisque l’on parle d’une augmentation de la TVA, qui serait prévue pour le 1er janvier 2014. Il s’y ajouterait sans doute la mise sous conditions de ressources des allocations familiales. Comment, alors, espérer quoi que ce soit du présent texte ? C’est, en réalité, toute la cohérence de votre politique économique du pouvoir d’achat et de la consommation qui est posée, et de manière particulièrement caricaturale, lorsque l’on met en balance le déblocage exceptionnel proposé avec le quasi-triplement du forfait social dans le tout premier collectif budgétaire adopté par la nouvelle majorité, en juillet 2012. Il est totalement contradictoire d’avoir fait passer, il y a moins d’un an, le forfait social de 8 % à 20 % pour « éviter la substitution de cette forme de rémunération aux hausses de salaires directs » et de compter maintenant sur la participation et l’intéressement pour relancer la consommation ! Cela me conduit à la deuxième question soulevée par la proposition de loi : faut-il seulement relancer la consommation ainsi ? À notre avis, non. En effet, ce qui affecte notre économie est un choc d’offre, non de demande. Ce sont le chômage, le poids des prélèvements sociaux, l’insuffisance d’investissement qui dépriment la croissance et, partant, le pouvoir d’achat des ménages. Dans ces conditions, relancer la consommation ne peut être d’aucune efficacité pour faire repartir la croissance. Autrement dit, compte tenu du contexte, le multiplicateur keynésien ne peut être que faible, voire nul. Au contraire, le déblocage, s’il était effectivement utilisé par les salariés, pourrait même déstabiliser la trésorerie des entreprises et fragiliser leurs fonds propres, et ce à un moment où il faudrait, au contraire, les renforcer, notre économie manquant cruellement d’investissement productif. Compte tenu de tous ces éléments, le fait que le déblocage proposé soit d’une ampleur sans précédent n’est pas une bonne nouvelle. Il sera, c’est vrai, d’une ampleur sans précédent : ceux de 1994 et 1996 ne concernaient que l’achat de véhicules et les déblocages étaient limités aux sommes attribuées au cours des deux années précédentes, quand celui-ci a un objet de consommation beaucoup plus large pour des sommes non limitées dans le temps. Le plafond de déblocage en 2004 et 2008 était deux fois inférieur à celui qui est proposé aujourd’hui. Et, contrairement à celle qui nous est proposée, les mesures de 2005 et 2008 ne concernaient que la participation, et non l’intéressement. L’ampleur potentielle de la mesure fait donc bien peser un risque sur notre économie. En résumé, cela nous conduit à penser qu’à l’échelle macroéconomique, au mieux, ce déblocage ne servira à rien, au pire, il pourrait même avoir des effets néfastes ; à l’échelle microéconomique, est-on seulement sûr que les sommes débloquées seront injectées dans la consommation ? C’est la troisième question que pose, selon nous, ce texte. Autrement dit, n’y a-t-il pas un risque de détournement de la mesure ? Nos collègues de l’Assemblée nationale ont adopté deux dispositions pour l’éviter. Si l’effectivité de la première nous paraît parfaitement illusoire, la seconde va, en revanche, dans le bon sens. Encore mériterait-elle, selon nous, d’être davantage resserrée. La première de ces dispositions institue un contrôle a posteriori. Les bénéficiaires de la mesure devront tenir à la disposition de l’administration fiscale les pièces justificatives attestant l’usage des sommes débloquées. Mais qui peut croire une seule seconde que de tels contrôles seront effectués ? Comme si l’administration fiscale n’avait pas déjà suffisamment à faire avec ses missions actuelles ! En revanche, les députés ont été bien inspirés de limiter l’usage des sommes débloquées à la fourniture de services ou à l’achat de biens. Il s’agit d’éviter le contournement de la mesure consistant à replacer les sommes débloquées sur des supports d’épargne plus liquides ou plus rémunérateurs. Ce risque est aujourd’hui d’autant plus réel que les plafonds des livrets défiscalisés ont été récemment augmentés. Même en l’absence de contrôle a posteriori effectif, nous croyons que l’immense majorité des salariés concernés respecteront les règles du jeu. En revanche, nous pensons que le dispositif doit encore être resserré pour ne concerner que la fourniture de services, à l’exception, donc, de l’achat de biens manufacturés. Notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe défendra un amendement en ce sens. Le déblocage représenterait, en effet, une perte de valeur économique s’il servait surtout à acheter des biens produits à l’étranger et, donc, à dégrader un peu plus le solde de la balance commerciale française. En revanche, la mesure pourrait être, a minima, un premier geste en direction des secteurs du bâtiment et des services à la personne, des activités non délocalisables qui ont vraiment besoin d’être soutenues pour développer leur potentiel. En attendant la remise à plat de tout le dispositif d’intéressement, de participation et d’actionnariat salarié promis par le Président de la République à Rueil-Malmaison le 29 novembre 2012, le groupe UDI-UC se positionnera sur ce texte en fonction du sort qui sera réservé à ses amendements. Mais je crains, monsieur le ministre, que vous n’ayez déjà apporté la réponse avant même qu’ils ne soient défendus ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)