Les propositions de loi

Affaires sociales
28/02/2013

«Proposition de loi autorisant l’expérimentation des maisons de naissance-Auteur et rapporteur»

Mme Muguette Dini,auteur de la proposition de loi et rapporteur de la commission des affaires sociales

Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la ministre, mes chers collègues, les maisons de naissance sont des structures autonomes où une même sage-femme ou un binôme de sages-femmes réalisent l’accouchement des femmes dont elles ont suivi la grossesse, lorsqu’elle est physiologique. Elles permettent un accompagnement global et personnalisé de la femme et du couple par une même professionnelle, de la première visite prénatale à l’accouchement et aux soins post partum. Fréquentes à l’étranger, ces maisons de naissance constituent une forme de rupture par rapport à la manière dont la France aborde la naissance depuis une cinquantaine d’années. L’amélioration des conditions de vie et la prise en charge de la femme enceinte dans les maternités ont permis une formidable réduction du taux de mortalité infantile et maternelle. Notre pays se situe, de ce point de vue, au niveau de nos principaux voisins. Pour autant, cette amélioration s’est accompagnée d’une surmédicalisation, qui n’est bénéfique ni collectivement ni individuellement. Ce sont les médecins spécialistes de la naissance eux-mêmes qui l’affirment. Ainsi, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français estime que les facilités offertes par un plateau technique organisé pour faire face aux pathologies graves, voire gravissimes, conduisent à en faire usage dans des situations qui ne se justifient pas. Pour ce collège de médecins, il ne s’agit « pas seulement d’un gaspillage de moyens », il s’agit également d’un « risque iatrogène », auquel s’ajoute « la frustration de certaines patientes, qui estiment qu’elles auraient peut-être pu accoucher plus simplement ». C’est justement au nom du choix de ces femmes et de ces couples en faveur d’une médicalisation raisonnée que je défends, depuis plusieurs années maintenant, l’expérimentation des maisons de naissance en France. Les conditions de sécurité prévues dans le texte résultent de la discussion que nous avons eue lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. Elles sont approuvées par le Collège national des gynécologues et obstétriciens français. La maison de naissance doit être « attenante à », c’est-à-dire toucher une maternité, et les deux structures doivent avoir conclu une convention assurant notamment un transfert adéquat des femmes enceintes ou des parturientes en cas de complication. En outre, l’ensemble des conditions de mise en œuvre de l’expérimentation et de fonctionnement des maisons de naissance seront fixées par la Haute Autorité de santé, qui devra établir un cahier des charges. Un décret en Conseil d’État précédera la décision des ministres, qui arrêteront eux-mêmes la liste des maisons de naissance autorisées à fonctionner à titre expérimental. Les maisons de naissance autorisées pourront alors fonctionner durant un maximum de cinq années. Un an avant la fin de l’expérimentation, le Gouvernement adressera au Parlement un rapport d’évaluation. Il me semble important de le souligner, la proposition de loi confirme les compétences des sages-femmes, qui sont fixées avec précision dans le code de la santé publique : elles doivent toujours faire appel à un médecin en cas de pathologie ou d’accouchement difficile. Soyons bien conscients que les sages-femmes réalisent aujourd’hui 80 % des accouchements par voie basse non opératoire, un taux qui atteint même 92 % dans le secteur public. Ces taux élevés montrent le professionnalisme de ces dernières et la confiance que leur accordent les médecins responsables de service. De même, la proposition de loi ne modifie en aucune manière les modalités de remboursement par l’assurance maladie des frais médicaux destinés aux femmes enceintes et à l’accouchement, éléments fixés par le code de la sécurité sociale. Personne, je pense, n’envisage que l’accouchement ne soit pas pris en charge à 100 %, y compris dans les maisons de naissance. Si la mise en place de ces maisons paraît encore incongrue en France, elles sont fréquemment intégrées au système de santé à l’étranger. Les premières maisons de naissance sont apparues dans les années soixante-dix aux États-Unis. Il en existe maintenant en Australie, au Canada, en particulier au Québec, et, plus près de nous, en Suisse, en Suède, en Belgique, en Italie, en Espagne, en Autriche ou encore au Royaume-Uni. En Allemagne, on compte 150 structures de ce type, et douze en Belgique. La plupart d’entre elles sont, certes, à proximité d’un hôpital, mais pas du tout « attenantes ». Pourtant, en 2011, la mortalité infantile était, pour 1 000, de 3,4 en France, de 3,5 en Allemagne et de 3,3 en Belgique. D’ailleurs, la littérature médicale internationale a évalué ces structures et conclu que les taux d’incidents périnataux ne différaient pas significativement selon le lieu d’accouchement, hors le cas des accouchements à domicile, dont nous souhaitons éviter le développement. Une étude anglaise portant sur 64 583 naissances et une étude américaine portant sur 15 574 parturientes indiquent que les maisons de naissance peuvent assurer la prise en charge de la maternité de manière sûre et efficace, en déployant moins de ressources et avec un haut niveau de satisfaction des femmes. Les maisons de naissance fonctionnent donc dans des conditions pleinement satisfaisantes à l’étranger. Elles répondront chez nous à une demande explicite de femmes avec qui j’ai pu parler en visitant deux structures qui pourraient entrer rapidement dans le cadre de l’expérimentation : le « Comme à la maison », ou CALM, à Paris et la maison de naissance de l’hôpital de Pontoise, où je me suis rendue avec notre collègue Dominique Gillot. Je voudrais prendre quelques instants pour expliquer la manière dont les choses se déroulent dans ces deux structures. D’abord, j’ai été marquée par la grande sérénité qui y règne, ainsi que par l’engagement des parents et des professionnelles. Les deux projets sont en effet soutenus à la fois par une maternité, l’une publique, l’autre privée, par des sages-femmes et par une association dynamique de parents. Ce « triptyque » est essentiel à l’émergence d’un projet viable. À Pontoise, le projet a démarré en 2006, dans un cadre strictement hospitalier, et sous l’impulsion du chef de service de la maternité. La maison de naissance se situe à un étage du bâtiment femme-enfant de l’hôpital de la ville. Elle est inscrite dans le schéma régional d’organisation sanitaire d’Île-de-France et les deux sages-femmes qui l’animent sont salariées de l’hôpital, mais son fonctionnement est totalement autonome. Chaque sage-femme assure le suivi global et personnalisé de ses parturientes : le premier entretien, les consultations prénatales, les séances de préparation à la naissance et à la parentalité, l’accouchement physiologique et les consultations post-natales. Les statistiques parlent d’elles-mêmes. Depuis 2007, une centaine de femmes sont suivies chaque année et autant d’accouchements sont pratiqués. Depuis 2010, et bien qu’aucune publicité n’ait été faite, la maison de naissance est obligée de refuser environ 150 femmes par an du fait du manque de place. Le CALM a vu le jour dans le douzième arrondissement de Paris en 2009. Cette maison de naissance est située au rez-de-chaussée de la maternité des Bluets. Elle est portée par une association de parents très active et par les sages-femmes qui y exercent en libéral. Contrairement à Pontoise, où tout l’accouchement se déroule dans une chambre de la maison de naissance, le travail commence ici dans les locaux de l’association, mais la femme et la sage-femme se déplacent dans une salle de la maternité peu de temps avant l’expulsion. La sage-femme du CALM y continue l’accompagnement de la parturiente jusqu’à deux heures après l’accouchement. Ensuite, la maman et le bébé retournent dans la chambre du CALM. Dans ces deux maisons de naissance, les sages-femmes ne peuvent évidemment pas pratiquer de péridurale, mais elles disposent de l’équipement médical standard pour assurer le monitoring et, éventuellement, des perfusions. Si la future maman souhaite une péridurale, elle est transférée en obstétrique. Ces projets pilotes n’existent que par la bonne volonté des individus, notamment les chefs d’établissement et de service de ces maternités. Un cadre juridique leur assurerait donc une pérennité et un mode de fonctionnement plus clair. Il donnerait également aux sages-femmes libérales la possibilité de contracter une assurance en responsabilité civile professionnelle adaptée, permettant de pratiquer effectivement les accouchements dans les maisons de naissance. D’autres projets sont en cours d’élaboration ou prêts à être mis en œuvre sur des territoires variés, que ce soit à Remiremont, Nancy, Marseille, Thonon-les-Bains, Lyon, Rennes ou Bordeaux. À l’origine de telles initiatives, on peut trouver une maternité publique ou privée et des sages-femmes exerçant à titre libéral ou non, mais les projets sont toujours soutenus par l’engagement tripartite de sages-femmes, de parents et d’une maternité, ce qui est essentiel pour leur réussite. En tout état de cause, tous ces projets se fondent sur une autonomie des maisons de naissance. Cette autonomie est consubstantielle à ce type de structures et permet seule un suivi personnalisé tout au long de la grossesse. Avant de conclure, je voudrais répondre à nos collègues qui craignent qu’une maison de naissance puisse être créée simultanément à la fermeture d’une petite maternité. Il ne peut y avoir aucune corrélation entre ces deux événements. En effet, c’est essentiellement pour des raisons de sécurité que les petites maternités sont fermées. Dans le cadre de la proposition de loi, et afin d’assurer la sécurité pour toutes les mamans et tous les bébés, les maisons de naissance devront être attenantes à une maternité. En résumé : pas de maternité, pas de maison de naissance ! Il s’agit donc, non pas de substituer une structure à une autre, mais bien d’offrir une prise en charge complémentaire en toute sécurité. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la maternité n’est pas une maladie. Je peux comprendre la volonté de certaines femmes de se réapproprier son caractère éminemment naturel. Nous ne sommes pas légitimes à critiquer un tel choix, mais notre responsabilité est d’en assurer la parfaite sécurité. C’est ce à quoi tend l’expérimentation des maisons de naissance et, au nom de la commission des affaires sociales, je vous demande d’approuver la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, de l’UMP et du groupe écologiste.)