Les propositions de loi

Collectivités territoriales
Nathalie Goulet 28/01/2013

«Proposition de loi portant création d՚une Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales»

Mme Nathalie Goulet

Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la question des normes devrait relever d’un arbitrage entre la sécurité et la liberté, entre le principe de précaution et celui de la responsabilité citoyenne. Hélas, dans la société actuelle, le citoyen réclame de plus en plus de sécurité aux pouvoirs publics pour se défausser de ses propres exigences de responsabilité. Que de textes n’avons-nous votés dans cette enceinte ces dernières années sur les chiens qui mordent, les manèges qui tournent, les piscines pleines d’eau qu’il faut transformer en Fort Knox pour permettre aux parents d’un peu moins surveiller leurs enfants…Chaque accident, chaque drame donne lieu à des lois adoptées sous le coup de l’émotion, des « lois compassionnelles », selon l’expression de notre ancien collègue Michel Charasse, « co-père » – c’est d’actualité ! –, avec Alain Lambert, de la Commission consultative d’évaluation des normes. Ayant le plaisir de travailler le président du conseil général de l’Orne, je connais son amabilité, sa compétence, son dévouement, son attention et je n’oublie pas à quel point il m’a soutenu lors des élections sénatoriales, ceci expliquant sans doute cela ! (Exclamations amusées.) Vous riez, mes chers collègues, mais, croyez-moi, la victoire n’était pas assurée ! Aujourd’hui, sous le coup de l’actualité et au nom de l’immédiateté, le législateur fait bien trop souvent de la loi un outil de proclamation plus que de droit. Le fameux principe de précaution se transforme à tel point en cauchemar pour nos collectivités que, parfois, on a du mal à établir une hiérarchie entre les normes qui relèvent de la nécessité et celles qui sont superflues, sans parler de celles qui sont obsolètes… Le droit français a longtemps représenté un modèle pour de nombreux autres États qui s’en sont inspirés. Il constituait un ensemble cohérent, intelligible, servi par une langue claire, dense et précise. Mais ces caractères se sont gravement altérés, puisqu’il est devenu d’une complexité asphyxiante pour l’économie et l’action publique. Les causes sont souvent cherchées dans le caractère effectivement trop foisonnant du droit communautaire, mais cela revient à esquiver le sujet prégnant, qu’il faudra bien traiter un jour, de la complexité liée à l’évolution des nos propres institutions, à la décentralisation des politiques publiques et à l’activité des autorités dites indépendantes. C’est pourquoi nous devons absolument nous attaquer aux autres causes du caractère instable et foisonnant de notre droit. Comme le soulignait Alain Lambert, « le législateur bavarde, le citoyen renonce, l’entreprise se plaint, la compétitivité de notre pays s’en ressent, l’action publique devient lente et coûteuse ». Le nombre et la longueur des textes ne cessent d’augmenter. Le nombre de pages de l’édition « Lois et décrets » du Journal officiel est passé de 15 000 en 1980 à 24 000 en 2009. Les décrets représentaient près de 136 000 articles en 2010, soit 24 000 de plus que trois ans plus tôt. Les normes jaillissent de partout et ne cessent d’être modifiées. Le niveau d’instabilité est devenu un cancer juridique, économique et financier. Il ne suffit plus de porter un diagnostic : il faut trouver les remèdes. Dans le cadre de la mission qui leur a été confiée, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard vont proposer au Gouvernement quelques actions pour sortir de cette spirale infernale. Il faut couvrir les champs de confusion dans lesquels nous nous sommes enfermés en procédant tant à partir de la source des normes, c’est-à-dire des administrations centrales, qu’à partir de l’usager, c’est-à-dire des collectivités, qui les mettent en œuvre et paient leurs conséquences directes. Ces sujets sont souvent évoqués, mais jamais tranchés. Dans ce cadre, et après tant de tentatives de simplification, la présente proposition de loi ne semble pas, au stade de cette première lecture, apporter de solution à la situation de diarrhée normative qui transforme la vie de nos collectivités en cauchemar. Elle ne comporte rien sur la pluralité des acteurs et la multiplicité des sources, et ne prévoit pas davantage de sanctions, mais il est vrai qu’il n’est pas possible d’adresser d’injonction au Gouvernement non plus qu’aux administrations. À y regarder de plus près, ce texte constitue tout de même une avancée. D’abord, la nouvelle instance ne se limitera pas au flux : elle pourra s’attaquer au stock. Ensuite, elle reprend le travail patiemment réalisé par la Commission consultative d’évaluation des normes, la CCEN, créée, je le rappelle, sur l’initiative de nos anciens collègues Michel Charasse et Alain Lambert. À cet égard, je me suis autorisée à déposer un amendement, car la rédaction de la proposition de loi ne me semble pas assez précise en la matière. Je propose ainsi que toutes les décisions rendues par la CCEN, y compris ses avis et leurs motifs, soient opposables aux administrations centrales, qui seraient trop heureuses sinon de pouvoir s’y soustraire. Encore nous faut-il également, mes chers collègues, balayer devant notre porte. Le 12 décembre dernier, lors du débat sur la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé, Marylise Lebranchu nous a rappelé que, selon le Conseil d’État, dont elle a cité l’avis, notre droit contenait toutes les dispositions nécessaires au législateur pour adapter les normes aux particularités locales : « L’attribution d’un pouvoir réglementaire aux collectivités par la loi n’est pas, par elle-même, contraire au principe d’égalité. […] Une loi peut donc prévoir dans chaque cas les circonstances qui autoriseraient les collectivités à déroger à la mise en œuvre de telle ou telle disposition. […] Notre droit permet déjà de faire plus et mieux que ce que nous faisons aujourd’hui ; dégager une règle générale d’adaptation des normes au niveau local serait vain. Surtout, la rédaction d’une telle règle générale la rendrait peu intelligible, suscitant une forte insécurité juridique. » Il dépend donc de nous, mes chers collègues, que les lois soient mieux rédigées. Des expériences ont été menées et réussies à l’étranger, notamment au Canada, aux États-Unis, en Allemagne et en Espagne. Il faudra sans doute s’inspirer de ces exemples. Enfin, j’ose évoquer une solution qui nous permettrait d’économiser bien du temps, de l’argent et des difficultés : il s’agirait d’établir, une fois pour toutes, que les normes ne sont opposables au civil ou au pénal que quand elles ont été prévues par la loi. Notre pays, mes chers collègues, est en effet le seul où un élu peut être envoyé en correctionnelle pour un bouton électrique défaillant ! Il faudrait éviter que les normes soient opposables lorsqu’elles émanent d’un sous-attaché d’une sous-direction du ministère de l’intérieur ou du ministère de l’environnement et sont énoncées, comme c’est souvent le cas, dans les clauses générales d’un cahier des charges dont le caractère réglementaire n’est pas toujours avéré. Un autre principe déterminant pourrait être le suivant : qui décide paie et, ajouterai-je, paie sans délai ! Cela freinerait, à n’en pas douter, les élans normatifs. Actuellement, ce sont toujours les collectivités territoriales qui doivent assumer le coût des normes supplémentaires. Nous avons encore du travail devant nous et nous n’aurons pas trop de cinq ans, mesdames les ministres, pour vous apporter notre entier soutien quand vous nous présenterez des mesures en ce sens. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, du groupe socialiste, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)