Les interventions en séance

Justice
Jean-Marie Bockel 27/02/2012

«Projet de loi, de programmation relatif à l՚exécution des peines»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite réaffirmer le soutien du groupe de l’UCR aux deux objectifs majeurs du présent projet de loi que sont l’amélioration des conditions de détention et celle de l’exécution de peines. Dans sa rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale, ce texte complet et ambitieux apporte des éléments de réponse importants. J’avais eu l’occasion de défendre, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, le projet de loi pénitentiaire adopté en 2009. Les débats avaient été tout à fait intéressants et assez constructifs. Bien entendu, certains parlementaires n’avaient pas manqué de mettre en avant cette vieille idée, bien française, selon laquelle, par définition, la prison n’est jamais la solution et que toute amélioration du système carcéral est donc de toute façon vouée à l’échec. La discussion était alors devenue, par moments, quelque peu surréaliste. Heureusement, la majorité des parlementaires, de toutes tendances, plus enclins à soutenir, de manière pragmatique, que l’enfermement est un mal nécessaire, avaient considéré que le texte proposé marquait un progrès. En vérité, ce dernier nous a permis de nous rapprocher des règles pénitentiaires européennes : celles-ci sont le fruit d’un travail tout à fait précurseur mené, depuis de nombreuses années, par le Conseil de l’Europe, et elles ont été peu à peu adoptées par l’ensemble des démocraties du continent. Mais une chose est de les adopter, une autre, évidemment, est de les mettre en œuvre. C’est notamment le sens de ce projet de loi, y compris au regard de la question des moyens. Contrairement au faux procès que d’aucuns lui font, il part d’un diagnostic lucide, pertinent, sur le problème que nous rencontrons quant à l’exécution des peines. Nous nous donnons quelques années pour y remédier. Il ne s’agit pas d’un problème idéologique : le stock de peines non exécutées est dû, au moins pour partie, à l’insuffisance de nos capacités carcérales. Après avoir étudié de très près la situation que connaissent à cet égard les différents pays qui nous entourent, je peux affirmer que la proposition de porter à 80 000 le nombre de places de prisons nous placerait tout juste dans la moyenne européenne. Ce texte ne nous mène pas vers je ne sais quel « tout carcéral » ! Il me paraît, au contraire, relever d’une démarche nécessaire dans la mesure où nos concitoyens ne comprennent pas qu’un certain nombre de peines ne soient pas exécutées et où les policiers comme les juges vivent cela très mal. En outre, dès lors qu’une peine n’est pas exécutée, la condamnation perd de sa vertu pédagogique : l’intéressé risque fort de ne pas prendre pleinement conscience du caractère répréhensible de son acte ; la non-exécution des peines est même contreproductive du point de vue de la réinsertion. La justice doit donc avoir les moyens de faire exécuter efficacement les décisions qu’elle prend et d’améliorer la prévention de la récidive, car la non-exécution des peines entraîne le désordre et l’incompréhension. Ce texte est essentiellement pragmatique et ne prône en aucun cas, je le répète, le « tout carcéral ». Je rappelle que, dans notre pays, en l’espace de quelques années, le recours aux mesures alternatives à la prison – c’est-à-dire autres que les différentes formes de réponse carcérale – a augmenté d’environ un tiers, ce qui est tout à fait considérable. Nous sommes donc déjà engagés dans une démarche inverse du « tout carcéral ». Néanmoins, nous ne pouvons nous contenter de ces éléments encourageants et il nous faut encore améliorer la situation, car il y a aujourd’hui des personnes qui sont « dehors » alors qu’elles devraient être « dedans », avec tous les problèmes que cela pose. En outre, je le rappelle, la possibilité de l’encellulement individuel est un objectif, strictement conforme à l’esprit des exigences européennes, que nous sommes censés atteindre, me semble-t-il, en 2014 ; or nous en sommes encore loin ! Il reste que ce projet de loi va dans le bon sens. Avant d’aborder le sujet des établissements ouverts, qui me tient à cœur, et puisque plusieurs orateurs ont cité le contrôleur général des lieux de privation de liberté, un homme remarquable, que j’ai rencontré plusieurs fois, comme nombre d’entre vous, et pour qui j’éprouve un immense respect – et cela depuis bien avant qu’il n’occupe ses fonctions actuelles –, je dois à la vérité de dire que je ne suis pas en tous points d’accord avec lui. Mais après tout, nous sommes en démocratie : on peut échanger des points de vue ! Personne n’est la Pythie ! Il est donc permis d’avoir des désaccords, y compris avec quelqu’un de très remarquable et de parfaitement indépendant. Ainsi, je ne partage absolument pas la phobie des établissements de grande taille. J’ai visité, dans des pays européens ayant complètement remodelé leur régime carcéral – comme l’Espagne, qui a rattrapé son grand retard après la période franquiste, puis a pris une grande avance dans ce domaine –, des prisons extraordinaires, très humaines, mais qui n’en accueillent pas moins 1 500 détenus ! Elles sont toutefois très judicieusement structurées, par départements et par domaines, si bien que l’on n’y ressent pas l’impression d’un entassement. Le principe d’une prison de 700 places n’est pas condamnable en soi. Ce qui compte, c’est le mode d’organisation de l’établissement. Nous avons avancé dans ce domaine, mais nous avons encore des progrès à accomplir. Nous sommes d’ailleurs à l’écoute de ce que disent le contrôleur général et un certain nombre d’autres personnes, qui peuvent effectivement suggérer d’intéressantes pistes d’amélioration. Mais évitons de raisonner en termes de « tout ou rien » et adoptons une démarche pragmatique ! Ainsi trouvons-nous positive la décision annoncée par le garde des sceaux de conserver des prisons de petite taille, que l’on avait un temps envisagé d’abandonner, mais elle ne doit pas nous empêcher de construire des prisons nouvelles. Monsieur le garde des sceaux, puisqu’il est question de construire de nouvelles places de prison, pourquoi n’en profiterions-nous pas pour progresser dans le domaine des prisons ouvertes ? Comme nombre de parlementaires de tous bords, je suis en effet favorable à leur installation, y compris dans mon propre territoire, même si cette solution, à l’évidence, ne réglera pas tous les problèmes. Il faut savoir que des pays européens, qui sont par ailleurs plutôt conservateurs au regard de leur système carcéral, comptent entre 8 % et 30 % de prisons ouvertes. On sait maintenant que les problèmes d’évasion ne s’y posent pas vraiment, que de tels établissements favorisent la réinsertion parce que le travail des détenus y est systématisé. Tous les publics pénitentiaires peuvent y être accueillis, à condition toutefois que soient réglées certaines questions d’organisation. Faute de temps, je n’entre pas dans les détails, mais je veux souligner que ce dispositif constitue une très bonne piste, en termes tant de réponse pénale et de réinsertion que de coût. Nous aurions tort de ne pas investir davantage et de ne pas progresser dans cette direction. J’en veux pour preuve le seul exemple français de prison ouverte, celle de Casabianda, en Corse, qui est plutôt une réussite. Je ne m’étendrai pas sur la question de l’exécution des peines applicables aux mineurs, pour lesquels la règle, que nous connaissons tous, n’a pas changé. Les élus locaux qui ont établi des partenariats dans le domaine de la prévention de la délinquance avec la police, la justice et l’école, entre autres, savent que la réponse à apporter à ce problème doit être rapide et adaptée. Nous avions de grands débats, voilà six ou sept ans sur les centres éducatifs fermés, que certains rejetaient pour des raisons idéologiques. Je m’étais battu, à l’époque, pour que l’un d’eux soit implanté dans mon agglomération, et je puis vous dire que cela n’a pas été facile. Aujourd’hui, l’existence de ces centres ne fait plus débat et ils constituent une réponse possible à la délinquance des mineurs, même si ce n’est pas la seule. Ce projet de loi doit nous permettre d’avancer dans la voie de la réinsertion des mineurs. Ce texte, pragmatique et adapté, n’a rien d’idéologique. Mon groupe votera donc contre la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)