Les interventions en séance

Affaires sociales
Jean-Marie Vanlerenberghe 26/10/2011

«Projet de loi relatif au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament»

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, La Réforme du système du médicament, enfin : tel était le titre – éloquent ! – du rapport de la mission commune d’information sur le Mediator. On peut le dire, le présent projet de loi était attendu ! À la suite du drame du Mediator, le Sénat a décidé, cinq ans d’ailleurs après avoir publié un rapport d’information resté lettre morte, de se ressaisir du sujet afin de mettre au jour les dysfonctionnements de la chaîne du médicament en France. La mission commune d’information sur le Mediator a formulé soixante-cinq propositions que la commission des affaires sociales a adoptées à l’unanimité. Ces propositions, auxquelles nous souscrivons pleinement, ont-elles été correctement prises en compte ? Si certaines d’entre elles ont été retenues, et j’en remercie le Gouvernement, de nombreuses autres ne figurent pas dans ce texte, car elles sont de nature réglementaire. Par ailleurs, plusieurs d’entre elles ne sont pas neutres en termes de finances sociales. C’est pourquoi, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, celles-ci seront traitées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012. Cette situation nous conduit d’ailleurs à un paradoxe auquel nous ne pourrons échapper : pour éviter le morcellement financier, le morcellement des réformes a été choisi... Une fois ce ménage effectué, que reste-t-il ? Le projet de loi initial apportait, il faut le souligner, des améliorations substantielles au fonctionnement de la chaîne du médicament en retranscrivant fidèlement certaines des propositions de la mission commune d’information. Il s’agissait donc là d’une très louable prise en compte par le Gouvernement du travail de cette mission. Dans le même temps, nous ne pouvons qu’approuver les efforts de notre commission des affaires sociales, dont je salue le travail, en particulier celui de notre rapporteur, Bernard Cazeau, pour intégrer dans le texte un nombre plus grand encore de recommandations formulées par la mission commune d’information. Notre collègue Nathalie Goulet concentrera son intervention sur la question des conflits d’intérêts, mais nous pouvons d’ores et déjà dire que nous sommes globalement favorables aux propositions qui nous sont soumises, même si, pour ma part, j’estime qu’il aurait été possible d’aller un peu plus loin encore, en excluant complètement les représentants de l’industrie pharmaceutique de toutes les commissions et groupes de travail de l’AFSSAPS et de la HAS. C’était d’ailleurs la proposition n° 4 du rapport d’information. J’en viens à la gouvernance. Le progrès annoncé est indéniable et nous approuvons l’élargissement des compétences et pouvoirs de l’AFSSAPS et, finalement, sa « sanitarisation ». Cependant, ce qui nous semble peut-être le principal apport de la réforme sur cette matière est invisible dans le texte : il s’agit de la création, par voie réglementaire, du comité stratégique de la politique des produits de santé et de la sécurité sanitaire, qui impliquera directement le ministre dans le dispositif de sécurité sanitaire. L’affaire du Mediator a en effet révélé que le pouvoir politique pouvait ne pas être directement au courant de dérives graves. Abordons maintenant l’un des sujets les plus déterminants et les plus sensibles, celui de l’autorisation de mise sur le marché. Parce que les exigences opposables aux demandeurs d’une AMM relèvent de la compétence communautaire, le texte initial se caractérisait par un profond déséquilibre : une sécurisation insuffisante pour l’octroi de l’AMM et de très substantiels progrès après cet octroi. Bref, une sécurisation ex post et rien ex ante ! Aussi, l’article 6 permet à l’agence en charge de la sécurité du médicament de demander des études de sécurité et d’efficacité après l’AMM, tandis que l’article 7 élargit les cas de retrait de l’AMM et que l’article 8 fixe les obligations du titulaire de l’AMM en matière de sécurité. Pour rééquilibrer le texte, il a fallu finasser, si je puis dire, en contournant en quelque sorte le droit communautaire sans y contrevenir. C’est chose faite avec les articles 6 bis et 9 bis. Ainsi, l’article 6 bis, ajouté par nos collègues députés, rend obligatoire l’inscription des essais cliniques pré-AMM sur la base de données nationales des recherches biomédicales. Plus important encore, l’article 9 bis, également introduit par l’Assemblée nationale, soumet l’inscription d’un médicament sur la liste des médicaments remboursables à la réalisation d’essais cliniques comparatifs. Puisque le droit communautaire, avec sa logique de grand marché sans distorsion, nous interdit d’agir sur les conditions d’octroi de l’AMM, il a fallu le contourner en agissant sur les conditions de remboursabilité du médicament. Bravo, monsieur le ministre ! Et je nourris bien sûr l’espoir que vous arriverez à convaincre le commissaire européen en charge de ces questions. Permettez-moi de noter encore les progrès réalisés en matière de pharmacovigilance. Lors des auditions réalisées dans le cadre de la mission commune d’information, nous avons été frappés par l’expertise qu’avait développée l’assurance maladie en matière de détection des dangers potentiels de tel ou tel médicament. Cette expertise a enfin été prise en compte : l’assurance maladie entre, avec ce texte, dans le dispositif de veille sanitaire pour y prendre toute la part qui lui revient. Enfin, j’évoquerai la question de la visite médicale. Ce sujet est très sensible d’un point de vue tant éthique qu’économique : éthique, parce que la visite médicale mélange information, formation et marketing ; économique, parce que cette activité représente un très grand nombre d’emplois. Le rapport sénatorial d’information était bien plus menaçant pour la visite médicale que ne l’est le présent texte, car il envisageait tout bonnement sa suppression. Il nous est aujourd’hui proposé d’expérimenter la visite collective. Il s’agit sans doute là d’une solution sage, bien qu’elle ne soit pas, à mon avis, systématiquement adaptée. L’expérimentation pourrait en effet conclure à l’impossibilité de procéder à des visites collectives dans tous les cas de figure. Nous verrons bien ! Quoi qu’il en soit, c’est le problème de la formation continue du médecin qui se trouve ici implicitement posé. Comment les médecins se forment-ils aujourd’hui ? La réponse est simple : grâce aux labos ! Ils se forment par la visite médicale, donc par les labos ! Par Le Quotidien du médecin, donc par les labos ! Par les séminaires organisés par... des labos ! C’est donc bien cela qu’il faut réformer ! Mais il s’agit d’une question financière, qui relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Tout en continuant de prendre l’argent dévolu à la formation continue là où il se trouve, c’est-à-dire dans les laboratoires, il nous faudra bien trouver, dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le moyen de soustraire les praticiens à l’influence marchande des laboratoires. En d’autres termes, il faut couper le cordon ombilical entre les laboratoires et la formation continue. C’est seulement en procédant ainsi qu’il sera possible de régler vraiment la question de la visite médicale. Toutefois, on ne supprimera sans doute jamais totalement la promotion libérale du médicament et, même si les visiteurs médicaux deviennent des experts d’État, il sera difficile de conserver les 17 000 emplois que cette filière représente aujourd’hui. C’est pourquoi toute décision ne devra être prise qu’en concertation avec la profession elle-même et la HAS. Sans doute faudra-t-il d’ailleurs agir de façon progressive. Il en est de même en ce qui concerne la réforme du prix du médicament. Nous devrons traiter cette question dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en vue de soustraire la formation du prix du médicament à l’influence exclusivement économique du lobby pharmaceutique. Ce constat est partagé par tous : aujourd’hui, le poids des industriels au sein du Comité économique des produits de santé, responsable de la fixation des prix des médicaments, est trop important. Il convient d’en réformer la composition et le fonctionnement, c’est-à-dire d’augmenter le poids des organismes de sécurité sociale en son sein pour le « sanitariser ». Monsieur le ministre, si nous saluons l’ambition du texte que vous avez initialement soumis au Parlement et les qualités de vos propositions, nous attendons du Gouvernement qu’il prenne ses responsabilités lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. De même, nous attendons de l’actuelle majorité sénatoriale qu’elle prenne ses responsabilités en allant jusqu’au bout de la démarche constructive qu’elle a engagée et dont nous nous félicitons. Il serait absurde qu’elle ne vote pas ce projet de loi qu’elle s’est ingéniée à améliorer. Sous ces réserves, les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine soutiendront le présent texte. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)