Les interventions en séance

Outre-mer
Yves Pozzo di Borgo 26/09/2012

«Projet de loi relatif à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives à l’outre-mer»

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les populations des collectivités ultramarines souffrent d’un mal sérieux en matière de pouvoir d’achat. Nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner un projet de loi qui tente d’y apporter un remède. Le revenu médian par unité de consommation est de 800 euros outre-mer, soit près de 40 % de moins que le revenu médian métropolitain. Or les prix des produits alimentaires sont plus élevés de 20 % en Guadeloupe et de près de 40 % en Guyane qu’en métropole. Quant aux produits laitiers consommés tous les jours, ils sont souvent deux fois plus chers en outre-mer que dans l’Hexagone. Bien que sénateur de Paris, je suis aussi un îlien et, à ce titre, sensible à ces problèmes. Certes, la Guyane n’est pas une île, sinon une île dans la grande Amazonie ! (Sourires.) Peut-on imaginer que des tomates puissent coûter 6 euros le kilo ailleurs que dans le septième arrondissement de Paris ? (Nouveaux sourires.) Peut-on imaginer qu’il faille débourser 8 euros pour acheter huit yaourts ? Autre exemple de prix très élevés : à Mayotte, cent-unième département français, la bouteille de gaz coûte trois fois plus cher qu’en métropole… Ces prix nous paraissent déraisonnables, extravagants. C’est pourtant le quotidien des Guadeloupéens, des Mahorais ou encore des Martiniquais. Cette situation où des populations moins riches que les autres paient excessivement cher des produits de base, comme la nourriture ou l’essence, est devenue tellement insupportable qu’un très fort mécontentement social est apparu. Nous nous souvenons tous des émeutes qui ont éclaté en 2009 aux Antilles contre la vie chère ou la « pwofitasyon » ! (Sourires.) Quelles sont les causes de ce décrochage des prix de nombreux biens de consommation par rapport au niveau de vie de la population ? Une très grande part des produits consommés en outre-mer sont importés. En effet, l’insuffisant développement économique local, s’agissant notamment de la production de biens de consommation, et tout particulièrement de produits agroalimentaires, a rendu ces territoires dépendants des importations. Le surcoût qu’engendre le transport, par voie maritime, de produits frais, ainsi que les positions monopolistiques ou oligopolistiques des importateurs et des grossistes, contribuent à ce décrochage des prix. En outre, l’octroi de mer frappe non seulement les produits importés, mais aussi, ce qui est tout de même le comble, les productions locales : sucre, rhum, banane, fruits et légumes. Pour cette raison, il est de plus en plus perçu par les consommateurs comme une taxe injuste, qui participe à la cherté de la vie. Le projet de loi soumis à notre examen n’est pas le premier texte visant à proposer une réponse au problème de la faiblesse du pouvoir d’achat des ultramarins. Ainsi, à la suite du premier signal d’alerte qu’a constitué la crise sociale violente ayant éclaté en 2009 en Guadeloupe, la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer a apporté un apaisement, sans pour autant proposer de réponse structurelle à cette crise. Par exemple, elle a prévu que le Conseil d’État ait la possibilité, et non l’obligation, de fixer les prix pour les produits de première nécessité. Cependant, ces prix sont repartis à la hausse en outre-mer dès le 1er janvier 2010 ! Faute de mesures structurelles, les territoires d’outre-mer ont connu de nouveaux mouvements sociaux contre la vie chère après 2009. Ainsi, au début de l’année 2012, la Réunion a subi un conflit social important à propos des prix des carburants. En réponse à cette situation très pénible, voire insupportable, pour les habitants de ces départements, le projet de loi soumis à notre examen présente des solutions qui vont plutôt dans le bon sens. Je pense notamment au renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, via la création d’un dispositif d’injonction structurelle ou l’abaissement du seuil de notification des opérations de concentration. Encore faudra-t-il être vigilant sur les ententes… L’interdiction des clauses accordant des droits d’importation exclusifs est une autre mesure que les membres du groupe de l’Union centriste et républicaine soutiennent pleinement. Je tiens en outre à saluer le travail de la commission, notamment l’adoption d’un amendement tendant à permettre d’élargir le pouvoir de réglementation des marchés de gros –marchés de fret, de stockage, de distribution – à l’ensemble de la chaîne, ainsi qu’à la gestion des facilités essentielles, notamment pour les carburants. En tout état de cause, de telles mesures peuvent favoriser un appel d’air bénéfique à la concurrence, et ainsi à une baisse des prix. Cela étant, si mon groupe votera ce texte, mon appartenance à l’opposition m’oblige à le critiquer un peu ! (Sourires.) C’est le jeu de la démocratie. Soit dit au passage, on entend trop peu souvent le Parti socialiste ou le Front de gauche reconnaître une évidence, à savoir que la concurrence –et donc le libéralisme – constitue un cadre presque naturel pour favoriser des pratiques de prix raisonnables, au profit du pouvoir d’achat des consommateurs. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, nous aimerions vous entendre plus souvent le dire, notamment quand il est question du libéralisme européen, qui, via la lutte contre les monopoles, a en partie permis de faire baisser les prix de certains services. J’en reviens au texte. Je suis circonspect quant à la disposition, introduite en commission sur l’initiative du Gouvernement, visant à imposer la négociation d’un accord de modération des prix d’une liste de produits de consommation courante dans les départements d’outre-mer. Un tel dispositif avait déjà été mis en place, sans succès. Cela ne remédie pas aux causes de la vie chère, et nous considérons pour notre part qu’il s’agit plutôt d’un placebo. Si le projet de loi comporte quelques mesures d’un intérêt évident, il manque cependant cruellement d’ambition. En réalité, pour améliorer durablement la situation dans ces territoires en matière de coût de la vie, il faudrait déployer un programme beaucoup plus vaste, axé sur le développement endogène, c’est-à-dire fondé sur les ressources locales. Il faut donc créer un cadre favorable au développement des productions locales de biens de consommation, notamment de produits agroalimentaires. J’observe d’ailleurs que l’on constate un peu les mêmes problèmes en Corse. Ces territoires ont, peut-être, besoin d’une revitalisation agricole, pour relancer l’élevage et le maraîchage, améliorer la productivité, afin de diminuer les importations et de pouvoir « consommer local ». L’effet sur les prix sera immédiat, si l’on en retranche les frais d’importation. Il en va de même pour la production « locale » d’énergie. L’article 13 du projet de loi de finances pour 2011 avait supprimé les subventions au développement des énergies renouvelables outre-mer, notamment à la Réunion, tuant dans l’œuf l’espoir de voir se mettre en place une production locale d’énergie. Mes chers collègues, sans une volonté forte de promouvoir le développement endogène des territoires d’outre-mer, il ne saurait y avoir ni produits agricoles, ni énergie durablement bon marché. D’ici à ce que le vœu pieux que j’ai formé devienne réalité, ce projet de loi constitue un outil temporairement cohérent au service de la régulation économique outre-mer. Les sénateurs du groupe de l’Union centriste et républicaine le soutiendront. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et sur certaines travées de l’UMP.)