Les interventions en séance

Culture
Françoise Férat 26/01/2011

«Proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État»

Mme Françoise Férat, auteur de la proposition de loi,                Rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, que j’ai déposée avec Jacques Legendre, reprend l’analyse du groupe de travail sur l’avenir du Centre des monuments nationaux qu’il évoquait à l’instant. Le texte que nous examinons ce soir traduit en effet les propositions et principes que nous avions formulés dans ce rapport d’information. Il s’agit de réaffirmer l’importance de notre patrimoine monumental : son utilisation doit être respectueuse de son histoire, de son architecture et de son rôle au regard de la mission de service public culturel. Comme le rappelait René Rémond, certains monuments historiques appartenant à l’État incarnent la mémoire de la nation ou constituent un élément du patrimoine européen ou universel. Ce sont donc des éléments constitutifs de notre identité, de notre histoire. Leur protection doit être un impératif pour que soit transmis aux générations futures ce patrimoine inaliénable garant de la mémoire collective. L’enjeu réside aujourd’hui dans la définition d’outils et de principes qui permettront à l’État de mener une politique patrimoniale cohérente et exemplaire : elle doit être à la fois protectrice de cet héritage inaliénable, et capable d’encourager les compétences et le dynamisme des collectivités territoriales, comme des personnes privées, ou de s’appuyer sur eux. Pour atteindre un tel équilibre, il était impératif de définir une méthode d’analyse rigoureuse, souple et objective. Nous proposons donc une approche pragmatique qui repose sur la mise en œuvre d’un principe dit « de précaution ».
Je souhaite mettre l’accent sur trois propositions du texte qui vous est aujourd’hui soumis. Il s’agit tout d’abord d’imposer une analyse objective et scientifique en amont de toute décision de cession d’un monument historique. La création d’une instance nationale intervenant de façon systématique garantit cette approche. Le Haut conseil du patrimoine, créé par l’article 1er, est très largement inspiré de la commission Rémond, à qui avait été confiée la mission d’identifier les monuments historiques relevant du ministère de la culture et devant rester la propriété de l’État. L’objectif était de dresser la liste des monuments transférables aux collectivités territoriales. La même mission est confiée au Haut conseil du patrimoine, qui a vocation à se prononcer sur l’ensemble du parc monumental de l’État. Cela inclut donc les monuments historiques classés ou inscrits gérés par France Domaine. La présence de parlementaires – issus notamment des commissions de la culture du Parlement – et de personnalités qualifiées telles que des historiens ou philosophes, garantira une approche objective respectueuse des enjeux culturels. Le Haut conseil du patrimoine devra fonder son analyse en reprenant notamment les critères de la commission Rémond. Ces derniers permettaient d’identifier les monuments dont l’État devait conserver la propriété : l’appartenance à la mémoire de la nation, la notoriété internationale et le rayonnement, enfin l’engagement par l’État d’importants moyens financiers ou la prise en compte de critères spécifiques de conservation ou de gestion. L’avis de ce Haut conseil s’imposera, soit parce que la loi le prévoit – pour les transferts aux collectivités, le déclassement du domaine public des monuments cédés gratuitement, soit parce que sa légitimité sera telle qu’il sera difficile pour l’État de décider de céder un monument que cette instance n’aura pas jugé transférable. La publicité de ses décisions, que nous vous proposerons par voie d’amendement, pourra renforcer cette garantie. Sa capacité d’auto-saisine lui permettra en outre d’insuffler une dynamique et de jouer un rôle de contrôle du recours, par l’État, aux baux emphytéotiques. Je vous proposerai d’élargir les missions du Haut conseil du patrimoine, à travers plusieurs amendements que nous examinerons ultérieurement. Il vous sera notamment proposé de lui reconnaître le pouvoir de demander à l’État d’engager une procédure de classement ou d’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques. Le deuxième élément fondateur du principe de précaution est la prise en compte de la notion d’utilisation culturelle d’un monument. Pour concilier les objectifs de protection du patrimoine de l’État et d’ouverture aux dynamiques territoriales ou privées, il était nécessaire d’envisager un critère autre que celui de la propriété du monument. C’est l’objet de la notion d’« utilisation culturelle », dont la portée est définie par l’article 2 de la présente proposition de loi : des prescriptions du Haut conseil du patrimoine, concernant par exemple l’ouverture au public ou la diffusion d’informations historiques, s’imposeront à tout propriétaire, gestionnaire ou utilisateur d’un monument. Il sera désormais possible de protéger la dimension culturelle du patrimoine monumental, sans nécessairement la lier à la propriété de l’État. Le troisième élément que je souhaitais mettre en évidence est le dispositif qui encadre la relance de la dévolution aux collectivités territoriales. Il me semble utile de souligner les dispositions suivantes. Tout d’abord, seuls les monuments jugés « transférables » par le Haut conseil du patrimoine peuvent être cédés aux collectivités. Leur dépeçage est impossible. Le transfert à titre gratuit implique un véritable projet culturel. En outre, l’information est renforcée pour que les transferts se réalisent dans des conditions satisfaisantes dans la durée. Cette amélioration de l’information passe par la convention de transfert qui impose un certain nombre de précisions, notamment l’évaluation des travaux, ou le rappel des objets ou des personnels concernés par le transfert. Il s’agit aussi de l’information des commissions compétentes du Parlement tous les trois ans. Si une nouvelle cession est envisagée après un transfert gratuit, le texte pose les conditions d’une revente respectueuse de la vocation culturelle du monument : non seulement le déclassement du domaine public doit être autorisé par le Haut conseil du patrimoine, mais l’État peut demander la restitution du monument. Le partage du bénéfice qui résulterait d’une revente intervenant dans les quinze ans qui suivent le transfert, entre l’État et la collectivité, permettra de rassurer ceux qui craignent les éventuelles stratégies spéculatives. Enfin, la proposition de loi réaffirme le rôle prééminent du ministre de la culture dans la dévolution, tout en respectant celui du ministre en charge du domaine de l’État. Ces dispositions législatives offrent des garanties qui sont devenues incontournables et urgentes pour la protection de notre patrimoine monumental. D’autres dispositions méritent bien évidemment toute votre attention. Je pense à l’article 3 qui définit enfin le principe de péréquation sur lequel est fondée la mission du Centre des monuments nationaux depuis sa création. Je pense également à l’introduction, dans le code du patrimoine, de la notion de patrimoine mondial de l’UNESCO. Nous devons cette avancée très importante à notre collègue Ambroise Dupont, qui avait souligné les carences législatives sur ce sujet, et formulé des propositions dans son dernier avis budgétaire. Enfin, l’article 2 bis introduit par la commission améliore la protection du patrimoine, en prévoyant la possibilité de classer des ensembles mobiliers et de prononcer des servitudes de maintien in situ. Nous vivons un moment important, un tournant dans l’histoire du patrimoine monumental de l’État et du rôle précieux que peuvent jouer les collectivités territoriales dans la mise en œuvre d’une politique nationale cohérente, respectueuse de notre histoire et de notre mémoire. J’entends souvent les gens réagir vivement à l’actualité, qui évoque malheureusement la menace qui pèse sur un patrimoine sur le point d’être « bradé ». Leurs réactions montrent que nombre de ces monuments historiques sont des éléments fondateurs de notre identité, de notre histoire et de notre mémoire collective. Nous avons la chance, avec cette proposition de loi, de proposer enfin les outils qui permettront de définir une approche à la fois sereine, parce que transparente et appliquée systématiquement en amont de toute décision importante, et légitime, parce que scientifique et objective. J’ai la faiblesse de croire que l’adoption de ce texte constituera un signal fort pour les citoyens aujourd’hui inquiets pour leur patrimoine. C’est aussi, je l’espère, l’occasion de donner à l’État et aux collectivités territoriales, les outils qui contribueront à garantir l’exemplarité de la France en matière de protection de son patrimoine. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Jean-Pierre Plancade applaudit également.)