Les interventions en séance

Budget
Catherine Morin-Desailly 25/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission « Médias, livre et industries culturelles »»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le contexte de crise dans lequel est examiné le projet de loi de finances a été rappelé par Jean-Jacques Pignard. Comme vous l’avez indiqué lors de votre audition par la commission de la culture, monsieur le ministre, un effort de rigueur budgétaire important a ainsi été demandé à l’audiovisuel – France Télévisions, Radio France, l’INA et Arte –, effort qui aurait pu, selon moi, être réparti de façon plus équilibrée. Pour l’Institut national de l’audiovisuel, la dotation publique proposée en 2012 diminuera de 1 million d’euros, ce qui ne sera pas sans conséquence, compte tenu de l’importance de la poursuite du plan de sauvegarde et de numérisation de ses archives, aujourd’hui menacées. Néanmoins, l’essentiel pour le secteur aura été préservé et le budget de la mission « Médias, livre et industries culturelles » reste globalement en légère progression. Cela était nécessaire pour que soient poursuivies les réformes voulues par le Gouvernement dans un secteur en profonde mutation. S’agissant de France Télévisions, pour apprécier la mise en adéquation des moyens aux grands chantiers qui ont été engagés, il aurait été important, mes chers collègues, d’examiner ce budget à la lumière de l’avis que nous devions rendre sur le contrat d’objectifs et de moyens. Je regrette que le changement de majorité n’ait permis ni l’exploitation ni même la présentation des travaux que j’ai réalisés pendant l’été, en tant que rapporteur pour avis de la mission. Ceux-ci auraient pu utilement alimenter notre réflexion collective. Le nouveau contrat d’objectifs et de moyens, comme je l’avais défendu lors de la dernière loi de finances, met en adéquation sa durée avec celle du mandat du président et redéfinit les priorités que doit se donner l’entreprise unique. Je me satisfais que deux d’entre elles, parmi les plus importantes – le renforcement de l’identité des chaînes, notamment France 3, et le média global, très en retard –, soient issues des préconisations que nous avions formulées avec mon collègue de la commission des finances, Claude Belot, à la suite de la mission de contrôle sur l’adéquation du financement de France Télévisions à ses moyens. Cette mission, réalisée au cours de l’année 2010, était nécessaire à l’époque pour clarifier les présupposés quant à la gestion du service public. Elle a mis en lumière les économies qu’il est possible de réaliser, au regard notamment des besoins pour conduire la réforme. Alors que France Télévisions doit faire face à un cahier des charges très exigeant, je citerai par exemple les 420 millions d’euros d’investissements obligatoires dans la création, notons que la résorption du déficit a été réalisée plus vite que prévu. Pour autant, la mise en place de l’entreprise unique est un chantier de longue haleine et, face aux évolutions technologiques, l’instauration d’une offre numérique complète – plateforme d’information et de sport, réseaux sociaux, télévision connectée – nécessite des efforts soutenus. Je vous rappelle que j’avais déposé l’année dernière un amendement visant à élargir l’assiette de la contribution à l’audiovisuel public ; je m’étais alors retrouvée bien isolée en séance… Cette année encore, l’idée a été défendue, cette fois par des sénateurs de gauche. Mais notre nouvelle rapporteure générale n’a pas non plus été sensible à une proposition qui permettait de moins grever le budget de l’État, d’autant que l’une des taxes affectées, comme nous l’avions prévu, est aujourd’hui invalidée par Bruxelles. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai déposé un amendement concernant les surréalisations de la régie publicitaire de France Télévisions. D’une façon générale, la position de mon groupe sur la réforme de l’audiovisuel public a été constante : défendre la suppression totale de la publicité, à condition que celle-ci soit intégralement compensée par des ressources de nature publique, pérenne et dynamique. Avec Claude Belot, nous avions à cet égard proposé l’an passé un moratoire sur la suppression de la publicité avant vingt heures, et ce jusqu’en janvier 2016. L’objectif que nous nous fixons n’est donc pas le même que celui que défend notre rapporteur pour avis actuel, M. Assouline, qui ne souhaite pas, bien au contraire, libérer les chaînes de la tyrannie de l’audience. Or cette clarification est d’autant plus souhaitable que les dernières évolutions, à travers le téléviseur connectable, ouvrent le paysage audiovisuel à toujours plus de concurrence, pour l’ensemble du secteur. Nous sommes également très attentifs aux problématiques relatives à la réforme de l’audiovisuel extérieur de la France, un enjeu majeur pour porter nos valeurs à travers le monde. Cette modernisation, décidée dès 2007, vise à mieux coordonner les différentes entités, mais les derniers événements et l’absence de contrat d’objectifs et de moyens font naître des questions sur le modèle proposé, en dépit des succès rencontrés. N’aurait-il pas mieux valu, à l’instar de la BBC, rattacher France 24 à France Télévisions et RFI à Radio France et doter TV5 Monde, vecteur de la francophonie, d’une structure ad hoc ? Nous devrions également réfléchir à l’ouverture d’Arte à d’autres partenaires européens, afin non seulement de renouveler une offre de qualité qui reçoit cependant un trop faible écho, mais aussi de promouvoir l’Europe, qui en a tant besoin aujourd’hui. L’audiovisuel, c’est bien sûr la télévision, mais aussi la radio. Cette année, nous célébrons le trentième anniversaire de la bande FM, âge de la maturité. L’enjeu, pour les dix prochaines années, c’est la révolution numérique que devra effectuer la radio à travers deux modalités principales : la radio numérique terrestre, la RNT, et la radio IP. La radio numérique terrestre est la voie privilégiée par le législateur. Elle a été évoquée dès 2007 dans le projet de loi relatif à la modernisation de la diffusion audiovisuelle et à la télévision du futur, puis en 2009 dans la loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision. Le Parlement a toujours milité en faveur du déploiement de la radio numérique sur l’ensemble du territoire métropolitain. Ce n’est donc pas parce que la RNT ne se fera pas en un jour qu’il ne faut pas la faire. Il nous faudra en effet trouver ensemble et progressivement les conditions d’un modèle économique pertinent qui fait encore défaut aujourd’hui. Je dirai quelques mots, enfin, sur l’univers de l’écrit. Il faut indéniablement conforter la presse. Concernant l’alignement du taux de TVA de la presse en ligne sur celui de la presse imprimée, sujet sur lequel j’ai moi-même déposé un amendement, je me félicite que le Sénat milite en faveur d’un même traitement fiscal pour tous les supports de diffusion. Pour donner toutes ses chances à l’émergence, en cours, de nouveaux modèles économiques, l’adaptation fiscale doit être concomitante. Cette évolution doit naturellement dépasser le seul cas de la France. Il faut d’ailleurs se féliciter que les parlementaires européens aient récemment adopté, à une très large majorité, une résolution sur la TVA dans laquelle ils soutiennent l’application d’un taux réduit pour la presse en ligne. La France a déjà fait un pas important l’an dernier pour le livre. Grâce au décret d’application publié le 11 novembre dernier, le livre bénéficiera, dès le 1er janvier 2012, d’un taux de TVA unique, quel que soit le support de sa diffusion. Le groupe centriste avait plaidé pour cette mesure que j’avais moi-même défendue dans cet hémicycle au nom de la commission de la culture. Le projet de budget pour 2012 est donc une nouvelle occasion pour notre pays de confirmer son rôle moteur dans l’Union européenne. Je conclurai cette intervention en exprimant une crainte concernant le rehaussement annoncé par le Gouvernement du taux intermédiaire de TVA de 5,5 % à 7 %. Cette hausse, décidée du jour au lendemain, touchera notamment un secteur aujourd’hui fragile : la librairie. Or, pour ce commerce de détail, la rentabilité moyenne n’est que de 0,3 % du chiffre d’affaires. Ainsi, les libraires devront demain absorber sur leur marge la hausse de la TVA, ce qui représente un risque réel sur les millions de livres qu’ils ont en stock. Cela aboutira à diminuer la valeur de leur stock de 1,5 % et à faire passer leur bénéfice de 0,3 % du chiffre d’affaires en moyenne à moins de 0,2 %. La majorité des libraires se trouve donc menacée. Nous attendons donc la concertation que vous avez annoncée, monsieur le ministre, et le travail commun que vous comptez mener avec les libraires. Nous solliciterons, si besoin est, l’examen d’une clause de revoyure dès le projet de loi de finances rectificative en faveur de ce secteur très spécifique. J’ai bien entendu vos propos, comme ceux du Président de la République, lors du récent forum d’Avignon, et je crois important de rappeler qu’« investir la culture », thème retenu par le forum cette année, c’est aussi investir dans la culture. Sous réserve de ces observations, le groupe de l’Union centriste et républicaine votera en faveur de l’adoption des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », ayant bien conscience que nous vivons des temps difficiles, où chacun doit prendre ses responsabilités. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)