Les interventions en séance

Budget
25/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 - Mission \"Culture\"»

M. Jean-Jacques Pignard

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Qu’un autre aux calculs s’abandonne ; moi, mon budget est facile et léger ». Monsieur le ministre, lors de votre intervention en commission de la culture, vous avez pris soin, en invoquant les mânes d’Eugène Scribe, de préciser que votre budget ne s’inspirait pas de la légèreté du célèbre librettiste. Je vous donne volontiers acte qu’en cette période de crise la sanctuarisation de votre budget est un exploit et relève aussi du courage politique, que vous assumez en même temps que le Premier ministre qui a arbitré. Il ne faut pourtant pas s’illusionner : ce répit risque d’être de courte durée, car, les choses étant ce qu’elles sont, que la majorité présidentielle reste la même ou qu’elle change demain, la culture ne pourra s’exempter de l’effort collectif demandé à toute la Nation. (M. Roland Courteau s’exclame.) Le temps du « toujours plus » me semble révolu. Il doit laisser place au temps du « toujours mieux », qui, paradoxalement, peut aussi se faire avec du moins, dès lors que l’on sait mobiliser toutes les ressources, faire preuve d’inventivité, d’efficacité et de discernement, et surtout sortir des raccourcis faciles que j’ai entendus tout à l’heure : Paris contre la province, la culture dite « savante » contre la culture dite « populaire », l’État contre les collectivités ! La crise nous oblige impérativement à améliorer la gouvernance de nos institutions culturelles ; elle ne nous contraint pas, heureusement, à verser dans le misérabilisme. C’est pour cette raison, monsieur le ministre, que j’approuve votre volonté de doter Paris et nos grandes métropoles régionales d’équipements sans lesquels elles ne seraient plus des capitales. Dans le domaine de la musique, que la ville de Paris puisse combler le déficit qu’elle a par rapport à Londres ou Berlin, je m’en réjouis personnellement. Que des musées puissent exister dans nos grandes métropoles régionales, Lyon, Marseille ou Lille, comme ils existent à Milan ou à Barcelone, je m’en réjouis également. Ce n’est donc pas moi qui vous reprocherai les investissements que vous avez consentis, même si je n’excuse pas certains dérapages budgétaires pour le Palais de Tokyo, la Philharmonie, le Centre national des archives de Pierrefitte-sur-Seine, le musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille ou, bien sûr, la Maison de l’histoire de France. Je vous ferai un seul reproche, mais vous le comprendrez aisément, c’est d’avoir oublié dans votre liste le musée des Confluences. Soyons honnêtes, nous avons besoin de ces institutions. Néanmoins, me direz-vous, le fonctionnement suivra-t-il ? J’ai entendu ici des inquiétudes légitimes : peut-on concilier les impératifs de la révision générale des politiques publiques avec la nécessité d’élargir les publics ? Personnellement, je ne partage pas ces craintes. Même si le mot peut vous paraître trivial, mes chers collègues, je pense qu’il y a des gisements de productivité inexploités ou, en tout cas, paralysés par des inerties administratives, par le poids des habitudes, par le souci de ne rien changer. Oui, je pense que toutes nos institutions ont intérêt à penser l’avenir en termes nouveaux, en termes d’efficacité et de rigueur de gestion. Je ne partage évidemment pas les reproches qu’adresse la Cour des comptes, si noble soit-elle, aux établissements publics, qui affaibliraient le pilotage de l’État. Si Mme Pécresse avait tenu compte de ces attendus, elle n’aurait sans doute jamais réformé l’université. Il me semble, au contraire, que, en période de crise, l’établissement public, qui permet de fusionner des ressources publiques et des recettes privées, constitue une réponse adaptée. Le constat que l’on peut faire pour les musées est le même que pour le spectacle vivant, le cinéma ou l’enseignement artistique cher à ma collègue Catherine Morin-Dessailly. En période de crise, l’essentiel, me semble-t-il, est de préserver et d’amplifier les marges artistiques par rapport à des frais de structure souvent surdimensionnés. J’aime beaucoup l’expression habituelle d’un « théâtre en ordre de marche », mais j’ai parfois le sentiment que nos théâtres sont en désordre de marche, tant le poids des corporatismes et des conservatismes empêche toute innovation. Pourquoi nos théâtres subventionnés seraient-ils les seuls à pouvoir s’affranchir d’une gestion plus efficace, d’une optimisation de leurs ressources humaines et d’une maîtrise de leurs dépenses que les théâtres privés n’ont d’autre choix que de s’imposer ? Alors, me direz-vous, voilà des questions posées par un centriste réactionnaire ! Mais, dans le groupe de travail qu’évoquait Mme Blondin, il se trouve que M. Bernard Murat a posé à peu près les mêmes questions. Pour autant que je sache, M. Murat n’est pas réactionnaire et certainement pas centriste. Peut-être est-il un « hollandiste » ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Oui, l’organigramme de certaines de nos institutions que je connais bien me fait penser parfois à ces interminables génériques qui terminent nos films et où l’on s’aperçoit que celui qui place la caméra n’est pas celui qui l’enlève. Alors, quitte à vous choquer, chers collègues, vive la RGPP si elle permet de fusionner deux postes de techniciens, celui qui met une chaise sur le plateau et celui qui l’enlève ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste-EELV.) J’évoquerai enfin les rapports entre l’État et les collectivités territoriales. Voilà deux ans, nous avions tous été d’accord, à gauche comme à droite, pour faire en sorte que l’intervention des collectivités locales en faveur de la culture demeure possible après la réforme territoriale. Nous avions été entendus. Pour autant, est-ce à dire, monsieur le ministre, que le même type de cofinancement, associant l’État, la région, le département et les communes, doit valoir pour tous les projets ? Les entretiens de Valois, au sujet desquels j’ai souvent exprimé mon scepticisme, ont au moins permis une hiérarchisation des financements et des labels. Dont acte ! Respectez le choix des collectivités de vous suivre ou non, monsieur le ministre, quand vous les sollicitez par l’intermédiaire de vos DRAC : oui au cofinancement de grands projets, non à la dispersion des crédits entre de multiples compagnies dont l’intérêt culturel est aléatoire mais qui possèdent l’immense avantage d’être labellisées au titre de la politique de la ville. Il suffit, pour cela, qu’elles invoquent la « citoyenneté », la « diversité » et les « publics empêchés ». Le politiquement correct y trouve son compte, pas la culture ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Culture dite populaire, culture dite savante : ce sont les termes d’un faux débat ! Ce n’est pas en nous contraignant à financer des compagnies qui organisent des happenings douteux au pied des immeubles que l’on gagnera le défi de la démocratisation ! Nous y parviendrons en envoyant les publics dits « empêchés » dans de vrais théâtres. Ce n’est pas parce qu’Abou Lagraa ou Mourad Merzouki sont issus de la « diversité » qu’ils ont transcendé la danse urbaine et qu’ils l’ont amenée sur la scène du théâtre national de Chaillot, c’est parce qu’ils ont du talent ! Alors, de grâce, en période de crise, ne nous payons pas de mots, allons à l’essentiel ! C’est parce que votre projet de budget, monsieur le ministre, répond à cette exigence que le groupe de l’Union centriste et républicaine le votera. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)