Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Hervé Marseille 25/10/2012

«Proposition de loi, relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc »

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le constat est grave, l’urgence pressante. Notre dette publique est abyssale et représente plus de 90 % du PIB ; le chômage a dépassé la barre des 3 millions (Protestations sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE) ; notre part de marché à l’exportation diminue de jour en jour et notre écart de compétitivité avec l’Allemagne ne cesse de se creuser.
Cela ne vous plaît pas, mais c’est la vérité. L’urgence est claire, le diagnostic partagé.
Or, depuis le 3 juillet dernier, que se passe-t-il ? C’est bien simple, votre majorité a eu comme principe moteur de déconstruire ce qui allait dans le bon sens : l’exonération des charges sur les heures supplémentaires, l’intéressement des salariés au bénéfice de leur entreprise, la majoration des droits à construire. On vous reconnaîtra le mérite d’avoir fait voter le traité européen, négocié par le précédent Président de la République, et d’avoir pallié l’abrogation du dispositif sur le harcèlement sexuel.
En réalité, depuis juillet vous n’avez proposé que deux textes majeurs : le premier, sur le logement, entièrement censuré par le Conseil constitutionnel hier soir, et le second sur les « emplois d’avenir ».
La France attend des réformes, monsieur le ministre.
Les entreprises ont besoin de plus de compétitivité et les Français recherchent des emplois.
Dès lors, quoi de mieux que de botter en touche ? Une fois encore, votre gouvernement est à contretemps.
Plutôt que de vous saisir des enjeux fondamentaux et de permettre aux Français d’entrevoir des jours meilleurs, vous nous proposez d’étudier un texte exhumé de l’Assemblée nationale et voté il y a plus de dix ans.
Ce texte est une pure et simple abrogation du décret du 26 septembre 2003, qui avait fait du 5 décembre la journée nationale d’hommage aux « morts pour la France » pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie, décret pris après un processus consultatif mené par l’historien Jean Favier. Bref, une procédure proche de la méthode vantée par M. le Premier ministre ! Quelle urgence y avait-il dès lors à mobiliser le Parlement pour consacrer une nouvelle date de commémoration,…
Ces textes ne sont pas non plus identiques dans leur forme : l’un est réglementaire et l’autre législatif. Cela n’est pas sans conséquence !
Alors même que l’article 34 de la Constitution fixe les pouvoirs du Parlement en ne nous permettant pas de légiférer en la matière, vous souhaitez fixer de manière législative une date de commémoration. Il y a un précédent, et je vous invite à vous intéresser au sort qui avait été réservé à la loi du 23 février 2005 portant reconnaissance de la nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés, qui disposait au second alinéa de son article 4 que la colonisation avait parfois eu un rôle positif.
Le Gouvernement avait, en vertu du second alinéa de l’article 37 de la Constitution, saisi le Conseil constitutionnel, qui avait déclaré cette disposition comme étant du domaine réglementaire. C’est la preuve le Parlement n’est peut-être pas tout à fait dans son rôle en matière mémorielle, surtout lorsqu’il légifère par la voie d’une proposition de loi. Mes chers collègues, restons dans notre fonction, et soyons cohérents. Je ne peux que m’étonner de la contradiction qui existe entre la présente proposition de loi et l’opposition vigoureuse manifestée en janvier dernier, alors que nous débattions de la proposition de loi visant à réprimer la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi, par le président de la commission des lois à l’encontre des textes mémoriels. Citant le doyen Vedel, Robert Badinter et d’autres éminents professeurs d’université, M. Sueur nous explique alors que ces textes ne sont pas du domaine de la loi et qu’il convient de laisser les historiens réaliser leurs recherches dans la sérénité.
« Quelle est notre légitimité à nous, législateur, pour dire ce qu’est l’histoire ? » s’interroge-t-il ici-même, résumant ensuite son propos en disant avec « Robert Badinter que le Parlement n’est pas un tribunal et avec Pierre Nora qu’il ne revient pas au législateur de faire l’histoire ».
Dès lors, mes chers collègues, si vous adoptez ce texte, ne dites plus, par exemple, à la communauté arménienne, qui attend un texte de reconnaissance, que cette reconnaissance n’est pas du domaine de la loi.
Deuxième contradiction, monsieur le rapporteur : au cours de l’année 2004, vous l’avez rappelé, le groupe socialiste de l’Assemblée nationale, dont vous étiez membre, comme François Hollande et Jean-Marc Ayrault, déposait une proposition de résolution tendant à créer une commission d’enquête sur les responsabilités dans le massacre de nombreuses victimes civiles, rapatriés et harkis, après la date officielle du cessez-le-feu de la guerre en Algérie.
À cette occasion, vous souhaitiez que soient notamment identifiées les responsabilités dans les massacres de la fusillade de la rue d’Isly le 26 mars 1962, ou encore de la journée du 5 juillet 1962 à Oran. Autrement dit, monsieur le rapporteur, vous n’ignorez pas ces événements, mais vous voulez aujourd’hui, en faisant du 19 mars la date de commémoration, rayer d’un trait de plume les conséquences des massacres intervenus. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, la commission en refusant votre proposition vous rappelait que l’encouragement du travail historique devait être préféré à la création d’une commission d’enquête.
Enfin, troisième contradiction : nous avons étendu, en début d’année, l’application de l’article 30 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse aux formations supplétives des forces armées. Le droit en vigueur, en particulier l’article 5 de la loi de 2005, ne trouvait pas d’application pour des raisons purement juridiques. Dès lors, nous avons réparé cette injustice en permettant aux harkis d’être protégés contre des injures et des diffamations. Nous avons élargi ce dispositif protecteur applicable aux harkis, mais, aujourd’hui, nous examinons un texte qui tend à les humilier en fixant une date de commémoration de la fin du conflit algérien préalable aux massacres qu’ils ont subis, en particulier le 5 juillet 1962 à Oran.
Alors même que les accords d’Évian prévoyaient un cessez-le-feu dès le 19 mars 1962, vous l’avez rappelé, les exactions ont perduré. Faire de cette date une journée de commémoration reviendrait en quelque sorte à nier l’existence des drames qui ont suivi et qui ont fait de très nombreuses victimes. Le 19 mars 1962, la France a abandonné les harkis.
Au début de l’année 2012, le Parlement français a souhaité compléter son dispositif protecteur à l’égard des Français rapatriés. Je me permets de rappeler mon intervention en séance à cette occasion : « Nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. […] « Cette injustice a été lentement réparée par un processus législatif qui se sera déroulé pendant près de dix ans, entre la loi du 11 juin 1994, qui a été la première à exprimer la reconnaissance de la France aux harkis, et celle de 2005, qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore mal cicatrisé. » Mes chers collègues, ne faisons pas machine arrière, n’oublions pas les tragédies qui se sont déroulées après la mi-mars 1962. Les commémorations doivent nous rassembler, elles ne doivent pas nous diviser ! Il serait ainsi grand temps de reprendre l’intégralité des propositions formulées à l’automne 2008 par l’historien André Kaspi. Le rapport qu’il avait remis au Président de la République prévoyait purement et simplement de retenir trois dates pour les commémorations : le 8 mai, le 14 juillet et le 11 novembre.
Ces trois dates résonnent dans la conscience de tous les citoyens français.
Seule la date du 11 novembre a fait l’objet d’un approfondissement en ce sens à destination du souvenir de tous les morts pour la France. Faisons donc du 8 mai, par exemple, la célébration de la paix et la commémoration des victimes militaires et civiles de toutes les guerres passées. Autre piste à suivre, notre collègue Yves Pozzo Di Borgo a appelé, lors de l’examen de la proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d’une manifestation à Paris le 17 octobre 1961 présentée par nos collègues communistes, au lancement d’une vaste concertation au sujet des commémorations relatives à la blessure algérienne, notamment en association avec l’Algérie. Dès lors, mes chers collègues, à l’évidence, le 19 mars est non pas une date qui rassemble mais qui divise. En faire une date de commémoration officielle cristallisera cette division.
Sur ces sujets, il faut de la sérénité et ce texte ne va pas dans ce sens.
Jusqu’à présent, il y avait ceux qui commémoraient le 5 décembre et ceux qui commémoraient le 19 mars.
Ils continueront à le faire. La seule différence, c’est que le préfet sera le 19 mars devant les monuments et il n’y sera plus le 5 décembre.
C’est pour cela, mes chers collègues, que je ne voterai pas ce texte comme les membres de l’UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)