Les interventions en séance

Défense
25/10/2011

«Proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants »

Mme Muguette Dini

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « lorsque les parents s’habituent à laisser faire leurs enfants ; lorsque les enfants ne tiennent plus compte de leurs paroles ; lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves ; lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu’ils ne reconnaissent plus, au-dessus d’eux, l’autorité de rien ni de personne, alors c’est en toute justesse, le début de la tyrannie. Oui ! La jeunesse n’a que du mépris pour ceux de ses maîtres qui s’abaissent à la suivre au lieu de la guider. » Cette analyse, développée par Platon au début du IVe siècle avant Jésus-Christ, est saisissante de vérité et toujours actuelle ! Dans cette proposition de loi, monsieur le garde des sceaux, je vois essentiellement l’aveu, le constat d’un double échec de notre mission éducative. L’éducation est l’une des principales questions qui se posent aujourd’hui à notre pays. Le mineur délinquant est un adulte en devenir, envers lequel le monde adulte a un devoir d’éducation. J’adhère pleinement à la philosophie qui a inspiré l’ordonnance du 2 février 1945, selon laquelle la cause première du basculement du mineur dans la délinquance réside dans le déficit d’éducation. Je crois, monsieur le ministre, que cette philosophie se profile aussi au travers de cette proposition de loi. L’urgence première est de remobiliser les parents autour du devoir d’éduquer. La conduite d’une politique d’appui à la parentalité est, en effet, un enjeu important pour la société d’aujourd’hui et de demain. Depuis quarante ans, la famille s’est profondément transformée. Surtout, moins institutionnalisée que dans le passé, la vie familiale suscite davantage de questionnements et de doutes de la part des parents. Les familles doivent donc être épaulées tout au long de leur existence. Ce soutien à la parentalité par des dispositifs d’action publique est intégré au périmètre des politiques familiales depuis la fin des années quatre-vingt-dix. Il doit absolument se poursuivre en s’amplifiant, et il est indispensable d’augmenter les crédits alloués à l’accompagnement des familles dans leur rôle parental. Autre échec : celui de notre école. Aujourd’hui source de dévalorisation et d’inégalités, cet échec engendre aussi de la violence. Notre système scolaire ne transmet plus les valeurs qui ont assuré la cohésion sociale de notre pays, ainsi que la construction individuelle de chacun. Cette proposition de loi se veut une réponse à cet échec de l’éducatif. Je me pose les mêmes questions que beaucoup de nos collègues, mais je ne vous rejoins pas, madame la rapporteure, quand vous indiquez de façon très expéditive que cette proposition de loi est un texte de circonstance, dont il n’y aurait rien à tirer. Je souhaite insister sur l’encadrement militaire, si critiqué. Je serais, pour ma part, plus mesurée, m’associant sur ce point aux propos de notre collègue Félix Desplan. En avril dernier, j’ai conduit une délégation de la commission des affaires sociales en mission d’études à la Martinique et en Guyane. Lors de notre séjour à la Martinique, nous avons visité, durant toute une matinée, le régiment du service militaire adapté. Le SMA, présent dans la quasi-totalité des collectivités d’outre-mer, assure, dans un environnement exclusivement militaire, une formation professionnelle à de jeunes ultramarins volontaires en difficulté ; il contribue également, par le biais de chantiers d’application, au développement économique des collectivités d’outre-mer, ainsi qu’à la protection civile, notamment lors des catastrophes naturelles. L’engagement à servir au titre du SMA est fondé sur le volontariat, et il existe une procédure de sélection, afin de vérifier notamment que le candidat n’a pas eu de démêlés trop lourds avec la justice. L’objectif est d’aider un jeune en difficulté à recevoir une formation de base, afin de lui permettre ensuite d’obtenir un diplôme ou de trouver un emploi. Ce dispositif constitue, pour ce profil de jeunes, le « chaînon manquant » entre la formation initiale et la vie professionnelle. Au total, plus de 120 000 jeunes sont passés par le SMA, sur nos territoires, depuis sa création en 1961. Aujourd’hui, trente-sept métiers sont proposés. Il est important de souligner que le SMA met l’accent sur le comportement et les règles de vie à respecter en société. La formation globale proposée au travers du SMA est ainsi fondée sur la rupture que supposent l’acte d’engagement et la vie en internat dans une enceinte militaire. Le SMA dispose actuellement d’environ 700 personnels d’encadrement, en majorité des militaires détachés par le ministère de la défense, ainsi que d’un état-major. Pour tous les membres de notre mission, ce fut une vraie découverte ! Nous avons tous reconnu l’incontestable succès de ce dispositif. Cette visite a permis sans nul doute de « dédiaboliser » l’encadrement militaire des jeunes en rupture sociale. J’adhère donc à cette idée que l’encadrement militaire peut être une bonne chose. Une double question se pose ici. Tout d’abord, faut-il confier une partie de l’enseignement professionnel, pas exclusivement destiné à des délinquants, à des militaires, manifestement plus performants que l’éducation nationale ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Je rappelle que 160 000 jeunes sortent chaque année sans formation du système éducatif. Ensuite, est-il sain de mélanger dans les centres relevant de l’EPIDE de jeunes volontaires non délinquants avec de jeunes délinquants pour qui ce dispositif à encadrement militaire sera la seule alternative à l’incarcération ? Je n’y insisterai pas, beaucoup de mes collègues ont déjà évoqué cette vraie question. Une telle juxtaposition paraît bien dangereuse. Ne vaudrait-il pas mieux créer, sur le modèle des centres relevant de l’EPIDE, des structures uniquement consacrées aux jeunes délinquants ? Sans doute l’adoption d’amendements allant dans ce sens, après un examen approfondi de la proposition de loi, aurait-elle permis à la majorité du groupe UCR de voter celle-ci. Je ne peux que regretter la décision de la commission des lois de rejeter ce texte et de proposer au Sénat d’adopter une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)