Les interventions en séance

Défense
25/10/2011

«Proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants»

M. Yves Détraigne

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, une fois n’est pas coutume, je suis tenté de commencer mon intervention par une question que j’ai déjà été amené à poser ces derniers temps : quelle est l’utilité réelle de cette proposition de loi ou, plutôt, est-elle vraiment indispensable ? Au vu du nombre de textes qui nous ont été soumis ces derniers mois en matière de justice et de sécurité, on est en droit de s’interroger. La délinquance des mineurs est un problème très important, et il ne s’agit pas ici de minimiser cette problématique, bien au contraire. Il s’agit de s’interroger sur la pertinence de la méthode consistant à faire évoluer en permanence des textes sur des sujets qui nécessitent au contraire, me semble-t-il, un travail et une réflexion de fond. Je ne dis pas qu’il ne faut pas rechercher des solutions innovantes en matière de lutte contre la délinquance des mineurs, mais est-il raisonnable de procéder à peu près tous les trois mois à des modifications de l’ordonnance de 1945 ? Déjà, lors de l’examen du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, j’avais regretté l’abandon de fait du projet d’un code pénal des mineurs, qui avait été annoncé en 2008 et devait constituer la réforme d’ensemble de cette matière. Sauf erreur de ma part, on nous propose aujourd’hui de modifier pour la trente-troisième fois ce texte fondateur qu’est l’ordonnance de 1945, devenue au fil des ans d’une complexité qui nuit à la clarté et à la compréhensibilité de notre droit. Pourquoi renoncer à une vraie réforme d’ensemble sur un sujet de fond, au profit d’un énième « rafistolage » de l’ordonnance de 1945 ? Laissons aux acteurs de ce secteur le temps de travailler et ne bouleversons pas tout en permanence. Cette réflexion sur le temps doit être complétée par une réflexion sur les moyens financiers. À l’instar de ce qui s’est passé lors de la création des jurés populaires en matière correctionnelle, on nous annonce, dans un contexte budgétaire que nous savons tous extrêmement serré et auquel n’échappe pas le monde judiciaire, que ce service citoyen bénéficiera du « redéploiement » de 8 millions d’euros. Ne ferait-on pas mieux de renforcer les moyens existants plutôt que de redéployer 8 millions d’euros pour la mise en œuvre d’une mesure dont l’efficacité n’est pas démontrée ? En effet, si la proposition de loi de M. Ciotti peut, à première vue, paraître séduisante, elle n’est pas sans inconvénients. Son dispositif est assez simple : il s’agit de créer une nouvelle mesure pénale consistant en l’exécution par le mineur de plus de seize ans auteur d’une infraction d’un contrat de service en établissement public d’insertion de la défense. L’idée paraît de prime abord intéressante, mais, comme cela a déjà été rappelé, le problème est de savoir si les centres relevant de l’EPIDE ne seront pas demain totalement déstabilisés par l’arrivée de ces mineurs délinquants. (Mme Sylvie Goy-Chavent approuve.) Actuellement, ces structures fonctionnent bien. Ce constat est partagé sur toutes les travées, y compris par ceux qui avaient dénoncé la création de ces établissements. Mais peu importe ; l’essentiel est qu’aujourd’hui tout le monde soit d’accord sur le constat : ces structures sont utiles et donnent des résultats, notamment en matière de réinsertion par la formation professionnelle, puisque 73 % – Mme la rapporteure a évoqué tout à l’heure un taux de 40 % à 50 % – des jeunes qui vont jusqu’au bout du parcours parviennent à s’insérer. Demain, les centres relevant de l’EPIDE devront accueillir des mineurs délinquants contraints de fait par une décision de justice, ce qui risque de remettre en cause leur attractivité et leur rôle et de perturber les jeunes ayant intégré ces établissements sur la base du volontariat. Je sais bien que le texte ne prévoit pas formellement de contrainte pour le mineur délinquant, mais peut-on réellement parler de volontariat quand la conclusion d’un contrat dit « de volontariat pour l’insertion » permet d’obtenir un abandon des poursuites, un ajournement de la peine ou un sursis ? Je m’interroge donc, comme Mme la rapporteure, sur la portée de ce qu’elle a justement appelé un « consentement sous contrainte ». C’est la critique majeure que l’on peut adresser à ce texte : le dispositif mélange des publics très différents, puisque les centres relevant de l’EPIDE accueilleraient à la fois des jeunes volontaires pour les intégrer et d’autres contraints par une décision de justice. La proposition de loi risque ce faisant de dénaturer la vocation initiale de ces centres, qui repose sur un recrutement de jeunes en difficulté sur la base du volontariat. De plus, je m’interroge sur l’adhésion des personnels concernés. Selon moi, l’implication des acteurs de terrain dans la définition et la mise en œuvre des décisions politiques est indispensable à la réussite de celle-ci. Or les personnels des centres relevant de l’EPIDE semblent dubitatifs et inquiets face à cette proposition de loi. Enfin, il me semble inopportun de susciter dans l’opinion publique des confusions quant au rôle des militaires dans notre société, lequel n’est pas de prendre en charge la délinquance des mineurs. Les militaires ne sont pas préparés à encadrer de jeunes délinquants. Pour conclure, je ferai une remarque sur la forme. On l’aura compris, en l’état, mon avis sur ce texte n’est pas favorable. Mais devait-on s’arrêter là ? Je ne le pense pas. Ce texte pouvait être amélioré, amendé. Des garanties complémentaires auraient pu – auraient dû – être introduites. C’est ainsi que le Sénat apporte une plus-value au travail de l’Assemblée nationale, c’est ainsi que nous jouons notre rôle de parlementaires ! Comme notre collègue Christian Cointat en commission, je regrette que le vote annoncé d’une motion tendant à opposer la question préalable nous prive définitivement de la possibilité d’améliorer le texte et de faire ainsi notre travail. Je ne pense pas que l’on puisse revaloriser le rôle du Sénat en procédant de cette manière ; bien au contraire ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)