Les interventions en séance

Défense
Jean-Marie Bockel 25/10/2011

«Proposition de loi visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, apprentissage de la citoyenneté, lutte contre la délinquance des mineurs, établissements de la deuxième chance : évidemment, on ne peut y être opposé, au premier abord. Mais, en analysant de façon détaillée la proposition de loi, je me demande si la partition qui nous est proposée aujourd’hui est réellement la bonne. Comme nombre de collègues présents sur ces travées, depuis de nombreuses années, lors de l’exercice de mandats tant nationaux que locaux, j’ai fait de la prévention de la délinquance une priorité. Je sais, par conséquent, à quel point cette question est complexe, essentielle pour notre société : elle intègre de nombreux paramètres et son traitement implique une approche globale, c’est-à-dire tout à la fois familiale, scolaire et judiciaire. Évidemment, les moyens employés doivent être adaptés et pérennes, car cette prévention ne peut réussir que dans la durée. La présente proposition de loi tend à une réelle prise en charge de cette délinquance. Devrait-elle se résumer à l’ajout d’une simple pierre à l’édifice des dispositions déjà existantes ? Depuis 2007, six modifications de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante sont intervenues. Celle qui nous est proposée est la trente-sixième depuis l’édiction de ce texte. Pour autant, le taux de délinquance des mineurs a-t-il subi une chute importante à la suite de cette inflation de textes ? Je n’en suis pas sûr. En tout cas, la proposition de loi que nous examinons, et c’est son mérite, est sûrement le moyen d’amorcer une discussion plus générale non seulement avec les pouvoirs publics, les institutions judiciaires et éducatives, mais aussi avec les collectivités territoriales concernées, qui sont souvent forces de propositions mais ont parfois du mal à coordonner leurs actions. Pour ce qui concerne le choix de l’EPIDE, je veux souligner deux points. L’EPIDE, mis en place en 2005, est un dispositif prometteur auquel, dès l’origine, j’étais favorable. D’ailleurs, j’avais fait acte de candidature pour ma propre commune, mais le projet n’avait pas pu être concrétisé, le dispositif, à l’origine très ambitieux – rappelez-vous, mes chers collègues, 20 000 jeunes volontaires devaient bénéficier d’une réinsertion –, a été réduit d’emblée pour des raisons, je l’imagine, budgétaires. En 2010, à l’occasion des cinq ans de ce dispositif, quel bilant a-t-on pu en tirer ? Lors de l’exercice de responsabilités précédentes, j’ai eu l’occasion, sur place, d’en constater les effets positifs. Sur le fond, le bilan est excellent, mais, sur la forme, il reste très insuffisant, puisque seuls 2 250 jeunes en ont bénéficié dans les vingt centres français. Comme nous pouvons le constater, contrairement à l’idée initiale d’un centre par département, cela représente moins d’un centre par région métropolitaine. Pour l’instant, ces formidables centres EPIDE ne sont que l’embryon d’un outil qui doit croître encore, selon moi, de manière importante. Je me pose donc, dans un premier temps, la question de l’affaiblissement éventuel du dispositif existant, si, dans l’hypothèse de l’adoption de la présente proposition de loi, sont accueillis dans les centres EPIDE des mineurs primo-délinquants, indépendamment de leur choix personnel. En effet, ces derniers devront construire, en quelque sorte, leur motivation, contrairement à ceux qui sont entrés en EPIDE qui l’ont fait volontairement, qui sont motivés, qui savent pourquoi ils sont là. En effet, si l’on incite un mineur délinquant à rejoindre un centre en échange d’un abandon des poursuites, d’un ajournement de peine, d’un sursis, ou que sais-je encore ? l’implication personnelle de l’individu dans son processus de réinsertion, qui est la caractéristique du dispositif existant, restera à bâtir. Dès le départ, la démarche est donc différente. Par ailleurs, qu’en est-il des jeunes qui, eux, ont fait le choix de séjourner en EPIDE ? Conscients d’avoir une seconde chance, acceptant de s’engager dans un parcours professionnel, ils seront confrontés à leurs propres difficultés, certes, mais aussi à des difficultés nouvelles, et majeures, nées de la confrontation avec de jeunes délinquants qui, je le répète, devront souvent bâtir leur propre motivation, souffriront de troubles du comportement – nous pouvons le constater dans certains établissements que nous connaissons bien aujourd’hui –, bref autant de problèmes dont la résolution nécessitera naturellement une aide. Pour ma part, je suis d’ailleurs favorable à une alternative pédagogique aux peines lorsque celle-ci ne nuit pas au droit à la réussite de ces jeunes volontaires. Cette proposition de loi, initiée par notre collègue Éric Ciotti à l’Assemblée nationale, présente l’intérêt de poser cette question. Toutefois, nous pourrions mettre en œuvre un dispositif plus vaste, afin de proposer aux jeunes qui en bénéficieraient une approche différenciée, par exemple dans les classes ou en termes de suivi. Nous pourrions peut-être mêler les deux types de publics, mais sous des conditions extrêmement strictes, qui doivent être pensées en amont, sinon le mieux risque d’être l’ennemi du bien et ce dispositif se révélera préjudiciable aux uns comme aux autres. Si la motion tendant à opposer la question préalable est adoptée tout à l’heure, comme c’est probable, nous n’aurons pas la possibilité d’amender ce texte, notamment dans le sens que j’évoquais à l’instant, même si, à mon avis, le problème est plus de refondre globalement le concept d’EPIDE, pour ouvrir le dispositif, que d’amender ce texte. En tout cas, si nous pouvions présenter des amendements, nous proposerions, par exemple, la création de sections spécialisées au sein des centres EPIDE ou l’insertion de quotas de mineurs délinquants dans chaque promotion. Ainsi ces derniers seraient-ils confrontés et associés à des jeunes volontaires, qui sont habitués eux aussi à gérer des situations difficiles mais qui choisissent la voie de l’apprentissage et de la réinsertion plutôt que celle de la délinquance. Nous pourrions ainsi mettre en place, je le répète, un véritable outil de partage, mais à des conditions qui restent à définir. Quoi qu’il en soit, tel ne sera pas le cas aujourd’hui, et je le déplore évidemment. Comme j’aurai bientôt épuisé mon temps de parole, je n’évoquerai pas les quelques pistes que, sur ces questions me tenant particulièrement à cœur, j’ai proposées dans différents rapports que j’ai pu signer, des rapports adressés au Président de la République ou d’autres remis au nom du Parlement. Du reste, d’autres sénateurs ici présents, ou d’autres députés, de toutes sensibilités politiques, en ont rédigé de même un certain nombre sur le sujet. Nous avons les idées, me semble-t-il. D’ailleurs, nous les faisons vivre sur le terrain, où les maires, par-delà les débats idéologiques et leurs propres opinions politiques, s’accordent souvent sur l’action qu’il convient de mener. Nous savons que, sur ce sujet, la France se trouve en situation d’échec par rapport à d’autres pays européens. Nous savons également à peu près ce qu’il faut faire, et nous prenons déjà les mesures nécessaires, ici ou là, mais sans parvenir à les globaliser ou à les généraliser. Ce débat est extrêmement important – je l’affirme sans aucun esprit polémique ou partisan, vous l’aurez compris, mes chers collègues, parce que, comme beaucoup d’entre vous, cette question me tient extrêmement à cœur. Il nous aura certainement permis de progresser, mais je ne suis pas sûr que la présente proposition de loi apporte une réponse à toutes les questions pendantes. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et républicaine.)