Les interventions en séance

Culture
Françoise Férat 25/06/2013

«Projet de loi d՚orientation et de programmation pour la refondation de l՚école de la République-Deuxième lecture»

Mme Françoise Férat

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons cet après-midi l’examen en deuxième lecture du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, et je souhaite associer ma collègue Catherine Morin-Dessailly à mon intervention. Monsieur le ministre, à l’énoncé de cet intitulé, nous pouvions fonder de grands espoirs. Les chances de réussite devraient être les mêmes pour tous et sur tout le territoire, et c’est bien dès le primaire que tout se joue. Les écarts sont encore trop grands aujourd’hui. Pis, ils s’aggravent. En tout premier lieu, permettez-moi de revenir sur ce que prévoit l’article 7 concernant le socle commun de connaissances, de compétences et de culture. Celui-ci est pour nous la base permettant de progresser, de s’insérer dans la société ainsi que dans la vie professionnelle. C’est une priorité, qui aurait dû être définie par le législateur. Un texte réglementaire ne suffit pas. L’acquisition de ces fondamentaux est la base de toute réussite. Je tiens à rappeler à ce titre combien je regrette le manque d’ambition du texte concernant la lutte contre l’illettrisme, pourtant reconnue grande cause nationale cette année. La première mission de l’école, c’est bien d’apprendre à lire et écrire. Or, dans les faits, un nombre croissant d’élèves décroche et quitte le système scolaire sans formation, sans diplôme. Ce sont autant de jeunes qui viennent augmenter les chiffres du chômage, lequel ne cesse de battre de bien tristes records. Quelles sont les chances, aujourd’hui, d’obtenir un emploi sans qualification ? C’est pourquoi, face à ces constats, je ne comprends pas le parti qui a été pris, notamment quant à l’apprentissage et la formation professionnelle. L’apprentissage en France, aujourd’hui, ce sont 420 000 apprentis, plusieurs centaines de spécialités de formations donnant accès à 510 activités artisanales. J’ajoute que 80 % des apprentis trouvent un emploi dans leur métier et qu’un chef d’entreprise artisanale sur deux est issu de l’apprentissage. Il s’agit bien là d’une filière d’excellence. Son taux d’insertion professionnelle après l’obtention d’un diplôme en est la meilleure preuve et montre les qualités et la motivation de tous ces jeunes. Je déplore encore une fois que la place qui lui est accordée dans le système éducatif français soit aussi injuste et peu importante au regard de ses performances, alors que, au final, les jeunes qui choisissent cette filière font partie de ceux qui, aujourd’hui, trouvent un emploi. La semaine de l’apprentissage organisée par les chambres de commerce et d’industrie de France a eu lieu à la mi-juin dernier, il y a donc quelques jours seulement. À cette occasion, un sondage IFOP-CCI France-RMC a révélé que 55 % des 15-25 ans sont intéressés par une telle formation et que, globalement, l’image de l’apprentissage est très positive auprès des jeunes et de leurs parents. Alors même que se déroulaient au Sénat les treizièmes rencontres de l’apprentissage, vous avez fait voter, monsieur le ministre, des dispositions qui ne permettront plus aux jeunes en quatrième d’avoir des enseignements complémentaires les préparant à des formations professionnelles. Vous êtes également revenu sur les dispositifs de la loi Cherpion, avec la suppression du préapprentissage et, plus précisément, du dispositif d’initiation aux métiers en alternance, le DIMA, à quatorze ans. Sur ce point d’ailleurs, une zone d’ombre persiste pour ceux qui ont acquis le socle commun à la fin de la troisième et qui auront quinze ans à la fin de l’année civile. Tout comme mon collègue Jean-Claude Merceron, sénateur de la Vendée, j’ai été interpellée sur cette question. Il est indispensable de maintenir au moins la possibilité pour un jeune qui le souhaite, au sortir de la troisième, et qui, je le répète, a acquis le socle commun, d’entrer en formation par apprentissage. Aujourd’hui, un élève qui aurait quinze ans dans l’année civile peut perdre un an de cursus. La rédaction actuelle du projet de loi ne permet pas de pallier cette difficulté. Lorsque j’ai évoqué ce problème au cours des débats en première lecture, la ministre George Pau-Langevin avait précisé : « En pratique, si un jeune de quatorze ans trois quarts a acquis le socle commun, on peut envisager des assouplissements. Mais, en l’état, il ne me semble pas utile de le mentionner dans la loi. » Pouvez-vous me confirmer aujourd’hui, monsieur le ministre, que les jeunes ayant acquis le socle commun à la sortie de la classe de troisième et qui auront quinze ans au cours de l’année civile pourront effectivement entrer en formation par apprentissage et ne perdront pas ainsi une année précieuse ? C’est une année durant laquelle nous prendrions le risque de les voir décrocher, car ils seraient alors empêchés de s’épanouir dans une voie qu’ils auront pourtant bel et bien choisie ! Obliger un élève à aller en classe de seconde dans ces conditions serait contre-productif, et nombre de familles sont dans l’attente de cette précision. Nous nous accordons tous sur la nécessité que l’orientation soit choisie et non subie. Or elle est la grande absente de ce texte, tout comme d’ailleurs du projet de loi relatif à l’enseignement supérieur. Nous mesurons le manque à tous niveaux, alors même que c’est l’un des piliers de la réussite. Ce texte, hélas, soulève bien d’autres problèmes ! Il ne permettra malheureusement pas de remédier aux manques de notre système scolaire. Je ne doute pas que les intentions qui ont présidé à son élaboration aient été bonnes, mais, pour pouvoir réaliser une réforme d’envergure, il faut étudier les problèmes dans leur ensemble et éviter l’écueil de la précipitation. Un temps de concertation aurait permis d’aboutir à un texte plus complet et surtout plus efficace. Comme je l’ai déjà dit en première lecture, ce projet de loi n’est pas à pas la hauteur de ses ambitions. Le rapport de mai dernier de la Cour des comptes ne contredira pas mes propos. Ses auteurs préconisent en effet de redéfinir le métier d’enseignant, de mieux valoriser les ressources humaines, d’affecter les enseignants en fonction de la réalité des postes et des projets d’établissement, enfin, d’assurer une gestion de proximité. Nous sommes loin du compte aujourd’hui. La priorité financière donnée à notre système éducatif ne nous permet pas d’enrayer la baisse du niveau des élèves. Les solutions ne sont pas seulement d’ordre budgétaire. Les moyens sont suffisants, mais leur utilisation n’est pas optimisée. Je finirai mon intervention en évoquant la place accordée par le projet de loi aux collectivités territoriales. Acteurs majeurs de l’éducation, les élus ne sont pas seulement des payeurs ; ils doivent être également des codécideurs. Une meilleure implication des municipalités assurerait une meilleure intégration des élèves dans la vie de la cité. Car n’est-ce pas également le rôle de l’école ? J’illustrerai mon propos par un seul exemple : la réforme des rythmes scolaire. Vous ne pouviez pas y échapper, monsieur le ministre ! Je regrette que celle-ci soit absente de ce texte. Elle s’est faite sans réelle concertation ; elle n’a même pas été débattue devant le Parlement et a été imposée aux collectivités. Malgré une réelle bonne volonté, nombre d’entre elles auront les plus grandes difficultés à assumer cette évolution, sur un plan tant financier que pratique, particulièrement en zone rurale. Son faible taux d’application à la prochaine rentrée scolaire en témoigne. Mal évaluée, cette mesure sera créatrice d’inégalités entre les territoires, qui ont été mis devant le fait accompli. En conclusion, je ferai remarquer que la Haute Assemblée aura, en moins d’une semaine, balayé, en plus d’un sens, deux projets de loi qui ont pour ambition de réformer tout notre système éducatif, de la maternelle au doctorat. Cela représente un parcours qui commence à l’âge de 2 ans et se termine à 26 ou 28 ans. Un quart de siècle d’une vie réformé en une semaine ! Tout cela s’est fait en si peu de temps et avec si peu de concertation... La cause n’aurait-elle pas mérité plus d’échanges et de dialogue ? Encore une fois, avec mes collègues du groupe UDI-UC, nous ne pouvons que regretter ces constats. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)