Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jacqueline Gourault 24/10/2012

«Proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités locales»

Mme Jacqueline Gourault, rapporteurede la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur le parcours de cette proposition de loi, que M. Doligé vient de retracer ; je m’attacherai au fond du texte, tel qu’il se présente à nous aujourd’hui. Bien sûr, nous sommes complètement d’accord avec l’auteur de la proposition de loi quand il met en exergue les méfaits assez terribles de l’inflation des normes dans la vie quotidienne des élus et dans le fonctionnement des collectivités territoriales, notamment d’un point de vue budgétaire. Comme l’a dit M. Doligé, il s’agit d’une préoccupation transversale, dans la mesure où l’inflation normative affecte tous les élus de la même manière, quelle que soit leur étiquette politique. À cet égard, pour la période récente, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, avait identifié en 2011, sous la houlette de notre collègue Claude Belot et avec l’aide des commissions permanentes de notre assemblée, les secteurs les plus touchés par la production réglementaire. Plus récemment encore, cela a été rappelé, ce phénomène d’inflation normative a été l’une des préoccupations majeures des états généraux de la démocratie territoriale, organisés les 4 et 5 octobre derniers par le président du Sénat. C’est d’ailleurs pour cette raison que M. Bel a demandé à la commission des lois et à la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation de se pencher sur ce sujet, ainsi que sur celui du statut de l’élu. Enfin, votre initiative, monsieur Doligé, a pour objet de desserrer l’étau normatif des collectivités territoriales. Il s’agit naturellement d’un premier pas. Au terme de l’examen de la présente proposition de loi, la commission des lois a choisi d’appuyer le dispositif de simplification sur les outils existants, dont elle a pu mesurer les vertus et les insuffisances. Pour le reste, elle a écarté les mesures qui ne lui semblaient pas s’inscrire dans le processus d’allégement, ainsi que des propositions qui n’avaient aucun lien avec l’objet du texte ou qui ne lui apparaissaient pas juridiquement sécurisées. Je précise à ce stade que la commission des lois a délégué aux commissions saisies pour avis l’examen des articles relevant de leur seule compétence. Au préalable, elle a supprimé l’article 1er, visant à introduire, dans le code général des collectivités territoriales, un principe général de proportionnalité des normes et de leur adaptation à la situation des collectivités. Je souhaite m’arrêter un instant sur ce sujet très important. A priori, tout le monde est d’accord sur le principe de proportionnalité des normes, mais comment le mettre en œuvre ? Le Conseil constitutionnel a précisé que ce principe ne pouvait être énoncé de manière générale et universelle. La proportionnalité des normes ne peut donc être érigée en principe dans un texte de loi : ce serait inconstitutionnel. Cela signifie que la proportionnalité des normes doit être envisagée au cas par cas, c’est-à-dire qu’il revient au pouvoir prescripteur de moduler les règles qu’il fixe, dans le respect du principe d’égalité. Cela vaut tant pour la proposition de loi de M. Doligé que pour l’amendement dont je suis l’auteur ou la proposition de loi de M. Morel-A-L’Huissier déposée à l’Assemblée nationale. Par ailleurs, pour renforcer le contrôle des normes, la commission des lois a adopté plusieurs amendements destinés à étendre les compétences de la commission consultative d’évaluation des normes. Ainsi, afin que cette dernière soit également compétente pour le stock de normes –  rappelons-le, sa compétence se limite aujourd’hui au seul flux, c’est-à-dire à la production des normes nouvelles –, la commission des lois a adopté le principe de l’établissement d’un rapport annuel par la CCEN, qui porterait sur un secteur déterminé par celle-ci. L’élaboration de ce rapport serait l’occasion de dresser un bilan des normes existantes dans un domaine particulier, de recenser les normes obsolètes ou inapplicables et de présenter une série de propositions qui seraient remises au Parlement et au Gouvernement. J’insiste sur le fait que ce rapport ne doit pas être simplement « transmis » : afin de donner plus de solennité et de publicité aux conclusions de la CCEN, son président remettrait, à l’instar du premier président de la Cour des comptes, son rapport aux deux assemblées et au Premier ministre. En revanche, la commission des lois n’a pas jugé utile d’étendre la compétence de la CCEN aux règlements des fédérations sportives. En effet, ceux-ci sont déjà soumis au contrôle de la CERFRES, dont l’activité est saluée par les élus concernés. L’existence de cette instance soulève cependant trois observations : d’abord, elle n’a qu’une existence réglementaire, codifiée dans le code du sport ; ensuite, les représentants des élus locaux sont en minorité, au sein de cette commission, face aux représentants du monde sportif ; enfin, elle ne dispose que d’un délai de deux mois pour rendre ses avis. Pour faire face à ces difficultés, la commission des lois a « légalisé » la CERFRES au sein du code général des collectivités territoriales, afin de renforcer son statut et de la placer au même niveau que la CCEN, chacune dans son domaine. En outre, elle a décidé d’attribuer aux représentants des collectivités territoriales la moitié des sièges au sein de la CERFRES. Enfin, elle a doublé la durée du délai qui lui est ouvert pour rendre ses avis, ce qui devrait lui permettre d’approfondir l’expertise des normes qui lui sont soumises par les fédérations sportives. De même, la commission des lois a supprimé les articles 3 et 4, prévoyant la création d’une commission consultative départementale d’application des normes et d’une commission consultative des études locales, qui serait une nouvelle formation restreinte du comité des finances locales, à l’instar de la CCEN, dont je viens de parler. La suppression des dispositions relatives à ces deux nouvelles instances a été guidée par le souci de ne pas encombrer le paysage institutionnel local : en effet, combien de fois n’avons-nous pas entendu les élus locaux se plaindre de ne pouvoir assister aux réunions des multiples instances locales ? S’agissant de la commission consultative des études locales, les missions qui lui auraient été confiées peuvent être dévolues à des commissions déjà existantes, comme la commission consultative sur l’évaluation des charges. Au-delà du volet consacré à la régulation normative, la commission des lois a approuvé les mesures destinées à simplifier l’organisation et la gestion des collectivités, tout en encadrant ou en complétant certaines d’entre elles. Dans cette perspective, elle s’est attachée à garantir l’accessibilité des décisions locales en conciliant le libre accès aux actes administratifs pour tous et les contraintes pesant sur les collectivités. Ainsi, elle a maintenu le principe de l’exclusivité du support papier pour le recueil des actes administratifs, en prévoyant toutefois, pour alléger la charge des collectivités, que certains d’entre eux, déterminés par décret en Conseil d’État, pourront n’être publiés que par voie électronique. Si la commune opte pour la dématérialisation de la publicité de ses actes, elle devra toutefois procéder à un affichage par extraits à la porte de la mairie. Les syndicats mixtes bénéficieront du même dispositif allégé concernant les documents relatifs aux délégations de service public que celui qui est prévu pour les établissements publics de coopération intercommunale. Pour garantir le respect de l’obligation de transmission des actes des collectivités territoriales au représentant de l’État, le compte de gestion sera envoyé, par voie dématérialisée, par le directeur départemental ou régional des finances publiques, à la demande non pas du préfet, mais de l’exécutif territorial. Pour préserver le droit à l’information des élus, la commission a maintenu à douze jours le délai de transmission des rapports aux membres des assemblées délibérantes et institué un délai homologue de cinq jours pour les dossiers à l’ordre du jour de la commission permanente des conseils généraux et régionaux. Elle a harmonisé le régime d’adoption du règlement intérieur en étendant l’application proposée du principe du maintien en vigueur de l’ancien règlement du conseil général jusqu’à l’adoption du nouveau document, à la suite du renouvellement général de l’assemblée, aux deux autres niveaux de collectivités, c’est-à-dire les communes et les régions. S’interrogeant sur la capacité technique et financière des petites et moyennes communes à organiser leurs concours de recrutement dans les filières sociale, médicosociale et médico-technique, aujourd’hui de la compétence des centres départementaux de gestion, la commission a supprimé l’article 32, qui leur ouvrait cette faculté. Elle a privilégié, pour répondre aux difficultés nées de la périodicité des concours, la mutualisation par l’intermédiaire des centres de gestion, dans le prolongement des modifications qu’elle a fait adopter dans le cadre de la loi du 12 mars 2012 relative à la fonction publique. Nous avons donc considéré que point n’était besoin d’y revenir. S’agissant de la question de la rationalisation des moyens des collectivités, la commission des lois a adopté une nouvelle rédaction des articles L. 123-4 et L. 123-5 du code de l’action sociale et des familles, afin de préciser et de clarifier les dispositions en matière de création et de dissolution des CCAS et des CIAS. Éric Doligé l’a dit tout à l’heure, nous avons fixé à 1 500 habitants le seuil de population au-dessus duquel la création d’un CCAS serait obligatoire ; en deçà, elle serait facultative. Aujourd’hui, je le rappelle, nombre de CCAS, dans les petites communes, sont des « coquilles vides ».
En matière d’urbanisme, plusieurs articles ont été supprimés, en raison des difficultés que leur mise en œuvre pourrait entraîner ou des questions constitutionnelles qu’ils seraient susceptibles de soulever.
Par exemple, la création des secteurs de projets n’était assortie d’aucune garantie solide. En effet, la proposition de loi initiale prévoyait la possibilité, pour les préfets, d’accorder des dérogations aux règles fixées, « lorsque les caractéristiques de l’opération projetée le nécessitent » : bien évidemment, une telle formulation était tout à fait imprécise. De même, il apparaît risqué, pour les maires, que soit autorisée la signature de promesses de vente ou de location avant la délivrance du permis d’aménager un lotissement. Cette remarque est également valable, bien sûr, s’agissant de la caducité du cahier des charges d’un lotissement en cas de non-publication au bureau des hypothèques dans les cinq ans. De telles mesures créerait une grande insécurité juridique pour les élus, c’est pourquoi la commission des lois a supprimé les articles concernés. En revanche, ont été précisées les dispositions relatives aux conventions de mandat, à la dispense de certains diagnostics pour la vente d’immeubles voués à la destruction et à l’évolution des projets urbains partenariaux, afin de résoudre les difficultés que nous avions repérées. La commission des lois a en outre préféré supprimer l’article 33, relatif à la fusion des deux structures qui interviennent en matière de lutte contre les infections sexuellement transmissibles. D’une part, la commission a considéré qu’une telle décision ne pouvait être prise sans que la commission des affaires sociales ait été consultée. D’autre part, elle a soulevé un problème de confidentialité des données. Elle a donc estimé qu’il valait mieux approfondir le sujet, même si, sur le fond, l’idée nous paraît tout à fait judicieuse. Mesdames les ministres, mes chers collègues, nous n’allons pas régler d’un coup de baguette magique, vous le comprenez bien, les difficultés résultant du foisonnement normatif. Je considère cependant que ce texte représente un premier pas dans cette direction. Son adoption sera un signal très fort, même s’il faudra sûrement revenir sur le sujet. Le renforcement du dispositif de régulation des normes qui vous est proposé par la commission des lois devrait aussi permettre de desserrer l’étau qui enserre la gestion locale. Encore faut-il, mesdames les ministres, que la CCEN et la CERFRES aient les moyens de mener à bien leurs missions. Or, aujourd’hui, leurs capacités d’action sont assez réduites. Même si elles accomplissent néanmoins un énorme travail, M. Alain Lambert présidant la CCEN, il est clair que ces deux commissions manquent de moyens, notamment matériels et administratifs.
Peut-être le savez-vous, ce sont des permanents des associations d’élus qui assurent actuellement le secrétariat. Renforcer ces instances me semble donc être une ardente obligation, pour le bon fonctionnement de la démocratie locale. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – MM. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, et Jean-Pierre Michel applaudissent également.)