Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Hervé Marseille 24/09/2012

«Projet de loi portant création des emplois d՚avenir»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd’hui est un plan d’urgence. Est-il urgent et nécessaire ? Très certainement. Sera-t-il efficace ? Sur ce point, nous sommes plus réservés. (M. Roland Courteau s’exclame ironiquement.) Nous attendrons vos réponses pour nous déterminer. Nous partageons évidemment le constat. La situation de l’emploi est extrêmement préoccupante et ne cesse de se dégrader. Les chiffres ont déjà été rappelés. Deux barres symboliques, celle des 10 % de la population active sans emploi et celle des 3 millions de chômeurs, ont été franchies en 2012. En particulier, le chômage des jeunes est alarmant. Encore une fois, les chiffres sont connus : 22,5 % des jeunes actifs âgés de seize ans à vingt-cinq ans se trouvent au chômage. C’est deux fois plus que la moyenne nationale. Ce taux grimpe à 45 % pour les jeunes qui ne sont pas diplômés du tout. Dans la masse des demandeurs d’emploi, on identifie donc une population spécifique qui court un risque particulier, celui de la désocialisation. Certains de ces jeunes sont à ce point coupés du monde du travail que, bien souvent, ils ne figurent même pas dans les statistiques de Pôle emploi. Beaucoup rejoignent alors l’économie souterraine. Même en période de reprise économique, ces jeunes ne se réinsèrent pas sur le marché du travail. Dans ces conditions, il est nécessaire de développer des outils spécifiques de retour à l’emploi pour les publics concernés. Vous nous en proposez deux : l’emploi d’avenir et le contrat de génération. Aujourd’hui, il n’est question que du premier. L’emploi d’avenir est une formule qui – d’autres l’ont déjà noté avant moi – n’a absolument rien de nouveau. Il s’agit d’un contrat aidé comme on en signe depuis des décennies maintenant. C’est même la simple modulation d’un contrat aidé qui existe déjà : le contrat unique d’insertion, ou CUI. En effet, il sera conclu sous la forme d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi ou d’un contrat initiative emploi, les deux formes du CUI. L’emploi d’avenir est donc un CUI particulier. De ce point de vue, l’heure du changement n’est pas encore arrivée… Pour mémoire, je rappelle que le CUI a été créé par la loi du 1er décembre 2008 généralisant le revenu de solidarité active et réformant les politiques d’insertion, un texte que l’actuelle majorité n’avait pas cru devoir voter et dont elle fait aujourd’hui le cadre juridique de sa réforme emblématique de l’emploi.
Si l’emploi d’avenir correspond à une formule éprouvée, qu’est-ce qui le différencie des contrats aidés actuels et des anciens emplois-jeunes ?
Pour ce qui concerne les actuels contrats aidés, la différence tient à la durée minimale de l’aide d’État. Celle-ci sera sensiblement inférieure à ce qu’elle est aujourd’hui mensuellement, mais elle sera versée pour une durée minimale de douze mois et maximale de trente-six mois. Alors que la durée moyenne des contrats d’accompagnement dans l’emploi était, au premier semestre de 2012, de sept mois, la durée minimale de l’emploi d’avenir sera donc d’un an. Nous saluons cette différence, d’autant que les CAE actuels sont conclus en CDD, et presque toujours à temps partiel, et que les emplois d’avenir seront prioritairement à temps plein et pourront être conclus en CDI. Ainsi les publics concernés pourront-ils bénéficier d’une expérience professionnelle de base et d’une activité minimale, ce qui est nécessaire dans le cadre d’une démarche d’insertion ou de réinsertion dans l’emploi. En outre, quel est l’apport des emplois d’avenir en comparaison avec les anciens emplois-jeunes ? Uniquement le public ciblé. En effet, du point de vue du montant de l’aide mensuelle d’État et de la durée des contrats, l’emploi d’avenir peut apparaître comme un « sous-emploi-jeune », car l’aide accordée pour les emplois-jeunes était supérieure et le contrat pouvait être conclu pour cinq ans. Toutefois, les emplois-jeunes se sont révélés trop largement ouverts et ont surtout bénéficié à des jeunes diplômés qui en avaient moins besoin. L’emploi d’avenir tirerait donc les leçons de l’expérience des emplois-jeunes. En fait, c’est dans le ciblage que réside la variable-clé, celle sur laquelle il ne faut pas se tromper. Et c’est justement là, à notre avis, que le bât blesse. À nos yeux, le ciblage du dispositif est à revoir, et à double titre, tant pour les employés que pour les employeurs, et tant pour les publics bénéficiaires que pour les personnes morales cosignataires. Pour ce qui est des publics bénéficiaires, le ciblage actuel nous paraît insuffisamment clair. Nous risquons de nous heurter une nouvelle fois aux écueils du passé. L’emploi d’avenir est en effet réservé aux jeunes âgés de seize ans à vingt-cinq ans. Dont acte. L’Assemblée nationale a précisé que ces jeunes pourraient avoir vingt-cinq ans révolus, et ainsi en bénéficier jusqu’à l’âge maximal de vingt-huit ans. Admettons. Les emplois seront réservés à des jeunes sans qualification ou peu qualifiés. Ce sont eux qu’il faut aider ! Toutefois, c’est ensuite que les choses se gâtent : vous superposez au ciblage national que je viens d’évoquer un ciblage territorial. L’emploi d’avenir sera « destiné en priorité » aux jeunes résidant en zones urbaines sensibles, ou ZUS, en zones de revitalisation rurale, ou ZRR, dans les DOM et dans tous les « territoires où les jeunes connaissent des difficultés d’accès à l’emploi ». Nous craignons que cela ne soit peu lisible et créateur d’iniquités. Comme le soulignait notre collègue Francis Vercamer à l’Assemblée nationale, on ne sait pas si le contrat d’avenir est centré sur les difficultés des jeunes ou sur celles des territoires. Il s’agit soit d’une aide statutaire en fonction de l’âge et de la qualification de la personne sur tout le territoire national, soit d’une aide territoriale. Mais il nous semble compliqué qu’il s’agisse des deux à la fois. De plus, le projet de loi est totalement muet sur la ventilation territoriale des emplois d’avenir. Il est question de « priorité », ce qui est assez flou. La décision sera-t-elle discrétionnaire ? Refusera-t-on un emploi d’avenir à un jeune remplissant toutes les conditions mais ne résidant pas dans la ZUS ou la ZRR voisine ? Serait-ce juste ? Pour toutes ces raisons, nous pensons qu’il faut faire un choix. Afin de rendre le dispositif pleinement efficace et équitable, il convient de le concentrer sur les publics qui en ont le plus besoin, et ce sans discrimination territoriale. Nous vous proposerons un amendement en ce sens. L’autre ciblage, celui des employeurs, est lui aussi extrêmement problématique, car en dépend la dynamique économique de l’aide. Pour que les emplois que vous entendez créer puissent réellement être « d’avenir », il ne faut pas se tromper d’employeur. Les contrats ne seront proprement « d’avenir » que dans deux cas de figure : si l’emploi aidé débouche sur un emploi pérenne ou s’il aide le jeune à préparer son avenir. Ce sont les deux interprétations possibles du terme « avenir », l’une étant plus forte que l’autre. Les emplois d’avenir créeront-il des emplois pérennes ? Disons-le franchement : à l’exception du domaine de l’enseignement, dont je dirai un mot tout à l’heure, on ne créera pas d’emplois pérennes dans le secteur public, ni dans le secteur associatif. C’est pourtant là qu’il est prévu d’instituer l’essentiel des emplois d’avenir… Si le projet de loi n’exclut pas complètement le secteur marchand, il a été clairement annoncé que des emplois d’avenir n’y seraient conclus que marginalement. Dans quelles proportions ? Nous posons la question car c’est un nouveau mystère : nous ne sommes pas plus renseignés sur le sujet que sur la répartition territoriale des contrats. Nous n’avons donc aucune indication quant à la ventilation de ces contrats, qu’elle soit territoriale ou sectorielle. Pourtant, c’est une information déterminante. La même incertitude touche un autre élément-clé du dispositif : le montant de l’aide financière, qui ne figure pas dans le projet de loi. Elle représenterait, nous dit-on, 75 % du salaire brut dans le secteur non marchand, contre 35 % dans le secteur marchand. Un tel écart est de nature à rendre effective la concentration du dispositif sur le secteur non marchand. Le paradoxe est tout de même frappant. À l’heure où il n’est question que de réduire les effectifs des administrations, vous cherchez à créer de l’emploi public, notamment dans les collectivités territoriales, qui doivent pourtant faire face à un contexte extrêmement difficile. En outre, connaissant l’état du secteur associatif, comment croire une seconde qu’il sera en mesure d’embaucher et de maintenir dans l’emploi ? Il n’est pas même certain que les secteurs social, solidaire et associatif eux-mêmes profitent du dispositif. En effet, par quel curieux amalgame leur réserve-t-on les personnes les moins qualifiées ? Comme s’ils n’avaient pas eux aussi besoin de personnels formés ! Comme si les métiers de l’assistance n’étaient pas de véritables métiers ! Quand on connaît ces secteurs, on sait que c’est tout le contraire. Il est donc pour le moins embarrassant de les voir ainsi quelque peu déconsidérés. Dans leur configuration actuelle, les emplois d’avenir ne pourront pas déboucher sur des emplois pérennes : c’est de la dépense publique pour de l’emploi temporaire, du keynésianisme sans multiplicateur. Il faut rompre avec une telle logique dépassée : avec plus de 3 millions de chômeurs et un endettement endémique, on ne peut plus colmater les brèches via l’emploi public et parapublic. À nos yeux, le principal problème posé par les emplois d’avenir est donc leur ciblage sur le secteur non marchand. Pour que ces emplois puissent avoir une chance de mériter leur intitulé, c’est au contraire dans le secteur marchand, c’est-à-dire dans le secteur productif, qu’il faudrait les créer. Je pense plus précisément aux petites entreprises qui en ont besoin, et elles sont nombreuses ! Elles seraient, elles, en mesure d’offrir des emplois pérennes. Bien entendu, pour que cela soit possible, l’aide accordée dans le secteur privé devra être équivalente à celle qui est accordée dans le secteur public ou, en tout cas, bien supérieure à ce qui est prévu. Nous défendrons tout à l’heure des amendements en ce sens. Le dispositif des emplois d’avenir s’articulerait ainsi parfaitement avec ce que nous voyons se dessiner des contrats de génération : les deux types de contrats seraient orientés vers le secteur productif, le premier étant plus adapté aux petites entreprises tandis que le second est conçu pour les grandes. Même dans les cas où l’emploi d’avenir ne déboucherait pas sur un emploi pérenne, une réorientation du dispositif sur les PME donnerait beaucoup plus sûrement aux jeunes en bénéficiant un horizon, un avenir au sens plus large. Car c’est en entreprise, et non pas dans une collectivité territoriale ou une association, que l’on apprend ou que l’on réapprend le mieux à travailler. Évidemment, à ce stade de l’analyse, c’est la question centrale de la formation qui se trouve posée. Nous nous réjouissons que le volet formation du projet de loi ait été renforcé à l’Assemblée nationale, sous l’impulsion notamment de nos collègues du groupe de l’Union des démocrates et indépendants. Mais nous pouvons et nous devons aller plus loin. Par exemple, il importe de systématiser la validation des acquis de l’expérience à l’issue du contrat. En effet, un employeur recherche une personne expérimentée dont le niveau de savoir a été formellement validé : une expérience qui n’a pas été validée réduit très fortement les chances d’insertion professionnelle du demandeur d’emploi. Il convient aussi de mieux anticiper le bilan de fin de contrat ou de permettre une certification des compétences acquises au répertoire national des certifications professionnelles. Nous présenterons tout à l’heure plusieurs amendements s’inscrivant dans cette perspective. En résumé, des emplois d’avenir centrés sur les publics qui en ont le plus besoin, sans condition de territorialité, beaucoup plus largement ouverts aux PME et avec un volet formation renforcé constitueraient bien plus qu’un plan d’urgence ponctuel et platonique. L’emploi d’avenir mériterait alors son nom, en tant que mesure d’activation de l’emploi. D’ailleurs, ces contrats ressembleraient fort aux emplois francs que nous proposons nous-mêmes de longue date pour les PME. Nous sommes favorables aux emplois d’avenir professeur, qui constituent une modalité particulière du dispositif. À nos yeux, l’enseignement est le seul domaine d’activité publique pour lequel la configuration actuelle du contrat d’avenir se justifie, et ce pour plusieurs raisons. D’abord, dans l’éducation, l’emploi d’avenir est susceptible de déboucher sur un emploi pérenne, d’autant qu’un plan important de recrutement d’enseignants a été annoncé. Ensuite, les jeunes connaissant bien les quartiers pour en être issus qui seront affectés dans des établissements difficiles seront, nous n’en doutons pas, un facteur d’apaisement. Ils sont les mieux à même de s’adresser aux élèves de ces établissements, en particulier aux plus perturbateurs. À cet égard, on pourrait parler d’un « effet grand-frère ». Enfin, pour les jeunes qui aspirent à devenir professeurs, une telle expérience professionnelle en établissement constituera un important test de vocation. Messieurs les ministres, à mon sens, le présent projet de loi met en place un outil spécifique pour un public spécifique : il s’agit de mener moins une politique de l’emploi qu’une politique sociale de l’emploi. Mes chers collègues, je crois que nous en conviendrons tous sur ces travées : une politique de l’emploi digne de ce nom ne peut pas se résumer à ces emplois d’avenir, qui concerneront 150 000 jeunes dans un premier temps et 300 000 d’entre eux au maximum pendant le quinquennat. Si le dispositif est efficace et profite réellement aux jeunes les plus éloignés de l’emploi, beaucoup d’entre eux ne figurent pas dans les statistiques de Pôle emploi aujourd’hui ; de sorte que, en étant optimiste, on peut évaluer le nombre de futurs bénéficiaires du dispositif à 100 000, sur les 3 millions de chômeurs qui sont actuellement recensés ! Pour les autres, c’est-à-dire 97 % de l’effectif global, une véritable politique de l’emploi est nécessaire. Or, dans le monde d’aujourd’hui, une véritable politique de l’emploi est une politique de compétitivité. Nous espérons que le Gouvernement a l’intention d’en mener une ! Certains signaux sont pourtant d’ores et déjà inquiétants, à commencer par l’abandon de la TVA compétitivité et l’alourdissement annoncé de la pression fiscale. Ce n’est pas ainsi que nous regagnerons des parts de marché, que nous éviterons les délocalisations et que nous redresserons notre balance commerciale ! (M. Roland Courteau s’exclame.)
Monsieur le ministre, allez-vous vous attaquer à la question centrale du coût du travail, assouplir les 35 heures et flexibiliser l’emploi public ? Allez-vous lutter contre le déficit et la dette publics ? Allez-vous mettre en place un small business act à la française, rapprocher la formation des besoins productifs et favoriser le développement de ce tissu de moyennes entreprises qui nous fait si cruellement défaut ? Allez-vous resserrer les liens entre politiques de l’emploi, suivi des demandeurs et bassins d’emploi ? Autant de questions auxquelles les 97 % de chômeurs qui ne seront pas concernés par les emplois d’avenir attendent des réponses ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)