Les interventions en séance

Budget
24/07/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012»

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le ministre, je m’adresserai à vous comme si vous cumuliez les responsabilités du budget et des finances. Vous avez trouvé une situation très difficile, dont vous n’êtes que peu responsable. En revanche, les solutions proposées sont de votre entière responsabilité. Faisons preuve d’optimisme, n’excluons pas que majorité et minorité s’accordent sur des solutions beaucoup plus techniques que politiques. En cette période où l’intérêt du pays voudrait que nous oubliions les querelles politiciennes, la Cour des comptes peut devenir notre juge de paix, puisque vous y avez fait référence plusieurs fois dans votre discours. Elle a conclu son audit en exhortant le Gouvernement à réduire simultanément « non pas un, mais deux déficits : le déficit des comptes publics et le déficit de compétitivité ». Pouvez-vous ignorer ses préconisations ? Pour réduire les déficits publics, vous connaissez les solutions, elles sont difficiles et le temps est compté. Il ne s’agit pas d’aménagement, de window dressing, il s’agit de mettre en œuvre le changement dont vous vous réclamez, de changer notre cadre économique, financier et social. Ayez à l’esprit ces paroles de Pierre Mendès France : « La seule question est de savoir si vous ferez prévaloir [ces vérités] aujourd’hui, dans un esprit de patriotisme désintéressé, ou bien si elles s’improviseront plus tard, après des souffrances nouvelles que nous pouvons éviter, que nous devons éviter. » Mes professeurs de sciences économiques Piète et Marchal, l’un pro-keynésien et l’autre anti-keynésien, étaient néanmoins d’accord sur une chose : il fallait une répartition équilibrée du PIB entre l’État, les entreprises et les ménages. Or, votre État obèse phagocyte les deux autres acteurs. Votre projet de loi de finances rectificative accentue la charge démesurée supplémentaire qu’ils doivent supporter. Cela correspond-il à votre concept ? Vous parlez de maîtrise des dépenses publiques, mais c’est insuffisant et vous le savez, monsieur le ministre. Vous devez faire des économies, réduire le train de vie de l’État. Vous avez ciblé trois ministères dans lesquels le nombre de fonctionnaires doit augmenter. Dans quels ministères supprimerez-vous les dizaines de milliers de fonctionnaires, puisque vous affirmez que leur nombre global sera maintenu ? Ayez à l’esprit ce principe repris à son compte par le président Mitterrand, alors que la croissance était très supérieure à celle d’aujourd’hui : « trop d’impôt tue l’impôt. » Comment entreprises et ménages supporteront-ils la hausse des prélèvements obligatoires ? Avec un taux de 45 % du PIB, nous approchons déjà des records mondiaux ! Je vois dans beaucoup de mesures de ce projet de loi de finances rectificative un risque de stériliser notre économie. Vous taxez les plus aisés, avec raison ; c’est un principe de justice, même les conservateurs britanniques l’ont fait. Mais la contribution exceptionnelle sur la fortune créée par ce projet de loi, s’ajoutant à l’ISF, impôt ringard, frise l’impôt confiscatoire. Les seuls dont les revenus vont augmenter, finalement, ce sont les avocats fiscalistes. Ils ont peut-être même voté socialiste, car ils ne sauraient mordre la main qui va les nourrir… En Suède, pays qui a retrouvé l’équilibre budgétaire, un gouvernement socialiste a supprimé l’ISF et les droits de succession, estimant que tout le pays bénéficierait de la présence de créateurs, d’entrepreneurs, d’investisseurs, de citoyens riches. Vous taxez la participation et l’intéressement à l’entreprise, pourtant mesure de cohésion sociale. Vous remettez en cause le dispositif d’exonération des heures supplémentaires, seul aménagement à l’absurdité des 35 heures. Comment voulez-vous favoriser ainsi la production de richesses, a fortiori leur partage ? Rien ne figure dans ce texte. Il existerait une solution plus douce, la diminution des dépenses fiscales. Un gisement : les niches fiscales, dont l’existence seule démontre combien notre fiscalité est lourde. Il faut agir fort et vite, soit en suivant la Cour des comptes, soit en les baissant de façon uniforme. Autrement, pour défendre chaque niche, on verra se dresser les lobbies les plus divers.   Un mot sur le climat anxiogène entretenu par les déclarations du Président de la République, le 14 juillet : l’accusation totalement erronée de « mensonge » à propos du groupe Peugeot renforce le « je n’aime pas les riches » du candidat Hollande. Le ton et les mots utilisés par le ministre Montebourg ont, eux aussi, meurtri les entrepreneurs, les dirigeants d’entreprise, les investisseurs. On se croirait revenu au temps de Jules Guesde ! Vous réalisez, monsieur le ministre, l’effet négatif d’une telle atmosphère de suspicion, d’accusation, de condamnation. Prenez plutôt exemple sur la retenue des dirigeants syndicaux qui, eux, ont bien compris la difficulté de la tâche et la bonne volonté du président Varin. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Si la famille Peugeot a touché 78 millions d’euros de dividendes, après deux années sans, elle en a, par le biais d’une augmentation de capital en mars dernier, investi 133 millions. Je ne suis pas leur défenseur, ils n’ont pas besoin de moi, mais, je le répète, ces déclarations blessent et inquiètent tous les entrepreneurs. Les 35 heures, le retour pour certains à la retraite à soixante ans, l’illisibilité du code général des impôts sans cesse modifié, l’instabilité juridique… Que pensent nos partenaires européens de ces spécificités françaises qui sont autant de handicaps à notre attractivité, à notre compétitivité, à notre crédibilité ? La question centrale du coût du travail ne peut être esquivée. L’emploi ne se décrète pas, monsieur le ministre, pas plus que la croissance. Je reprends le chiffre du rapport Sartorius de 2011 : l’écart de compétitivité entre la France et l’Allemagne est de 38 % ! Le différentiel des charges se monte à 80 milliards d’euros ! Le coût horaire du travail est de 35 euros en France, 31 euros en Allemagne, 27 euros en Italie, 20 euros au Royaume-Uni et en Espagne. Croyez-vous vraiment que le coût du travail ne soit pas un problème, alors que tout prouve que le poids structurel des charges et des taxes, alourdi par ce projet de loi de finances rectificative, fera reculer notre compétitivité sans laquelle on ne peut équilibrer notre balance commerciale ? Déjà, sous Laurent Fabius, Premier ministre, la holding de Renault, société d’État, avait été délocalisée aux Pays-Bas pour éviter la taxation. L’abrogation de la TVA sociale, qui devait taxer les produits importés et relancer notre compétitivité, est purement idéologique. Cette mesure est l’exact contraire des recommandations de la Cour des comptes, de l’OCDE et de la Commission européenne. Cette politique fiscale déconcerte nos partenaires. Elle va à l’encontre d’une convergence européenne. Le Gouvernement doit faire preuve de courage, je sais que c’est une qualité qui n’est pas étrangère à M. Cahuzac et qui ne vous est sans doute pas non plus étrangère, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, en prenant des mesures certes très difficiles, mais indispensables. Affranchissez-vous du dogmatisme, cela vous gagnera l’estime d’une partie de l’opposition qui refuse l’idéologie et choisit l’intérêt du pays. Le monde apparaît de plus en plus comme un marché ouvert non seulement aux capitaux mais aussi aux hommes, à leur talent, à leur intelligence. Ce que leur offre la France aujourd’hui ne peut qu’inciter certains de nos compatriotes à l’exil, les étrangers à ne pas s’installer dans notre pays. Rassurez tous ceux qui sont tentés par l’exode fiscal en supprimant cette taxation de 75 % au dessus du million d’euros de revenus. Il y a quelques semaines, Le Point titrait « Fini de rire ». Il soulignait ainsi que le programme développé lors de la campagne électorale n’était pas sérieux face à une situation aussi préoccupante. Ce titre s’adressait aussi à l’opposition, qui devait renoncer à la liturgie convenue, « on s’oppose pour s’opposer ». Les politiques gagneraient en respectabilité en ayant une seule préoccupation : l’intérêt du pays. Monsieur le ministre, prendre le pouvoir est une chose, gouverner en est une autre. Ignorez ceux qui voudront vous rappeler des promesses étrangères à la réalité. Afin de rapprocher dans une tentative d’œcuménisme majorité et opposition, avec pour seul objectif l’intérêt général, le radical que je suis citera Saint Augustin : « il vaut mieux suivre le bon chemin en boitant que le mauvais d’un pas ferme ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP. – MM. Jean Arthuis et Vincent Delahaye applaudissent également.)