Les interventions en séance

Budget
24/07/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012»

M. Jean Arthuis

Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, au lendemain d’une alternance, la présentation au Parlement d’un projet de loi de finances rectificative est un événement attendu. Le projet de loi de finances rectificative exprime la vision, l’ambition, les mesures que le Gouvernement et sa majorité entendent mettre en œuvre. Messieurs les ministres, convenez que votre texte est assez classique. Bien sûr que la parole de la France sera tenue ! Et l’objectif de ramener le déficit public à 4,5 % du produit intérieur brut devrait être respecté ; on ne pourra que s’en réjouir. Mais, sur le fond, que faites-vous ? Vous confirmez les hausses d’impôts décidées par la précédente majorité et vous annulez les baisses d’impôts. En fait, votre collectif budgétaire est largement une œuvre de détricotage. Messieurs les ministres, mes chers collègues, le plus préoccupant à mes yeux est que l’on ne réponde pas à l’exigence de compétitivité ! Car les vrais problèmes auxquels nous sommes confrontés, c’est l’emploi et le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Or, dans ce projet de loi de finances rectificative, vous faites disparaître la seule mesure qui pouvait constituer une esquisse de solution, certes marginale. Avouons d’ailleurs que les conditions d’adoption du dispositif, voté à la fin d’une législature pour entrer en vigueur au début de la suivante, étaient inouïes. J’adresserai donc un reproche à la précédente majorité : si peu, si tard pour instituer une TVA sociale ! Je sais bien que le Gouvernement respecte les paroles du candidat François Hollande. Tandis que nous votions de telles dispositions, le candidat à la présidence de la République fustigeait la TVA sociale, qu’il qualifiait de « faute économique » et de « faute sociale », « dans une période où la consommation se porte très mal ». Et il ajoutait : « Comment imaginer que quelques points de moins de cotisations patronales pourraient d’un seul coup améliorer nos échanges extérieurs ? » Et il est vrai que nos échanges extérieurs constituent une préoccupation. En 2011, nous avions 70 milliards d’euros de déficit extérieur. En d’autres termes, nous, Français, consommons 70 milliards d’euros de plus que ce que nous produisons. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. La dégradation régulière de notre balance commerciale est une vraie préoccupation, qui marque notre déficit de compétitivité. Que peut-on faire pour améliorer la compétitivité ? Quel nouvel électrochoc allons-nous devoir attendre ? L’annonce de 8 000 suppressions d’emplois chez Peugeot, la fermeture du site d’Aulnay-sous-Bois ne sont-ils pas des électrochocs majeurs qui doivent nous amener à réviser nos positions ? À défaut, nous serons les observateurs d’un déclin industriel programmé. Puis-je rappeler que nous avons perdu pratiquement 600 000 emplois industriels entre 2000 et maintenant ? En 2000, la valeur ajoutée industrielle représentait 24 % du produit intérieur brut, contre moins de 14 % aujourd’hui. Devons-nous rester passifs face à une telle programmation du déclin industriel ? (Exclamations sur plusieurs travées du groupe CRC et du groupe socialiste.) Certainement pas ! Mes chers collègues, dans l’actualité récente, il y a une bonne et une mauvaise nouvelles. La bonne nouvelle, c’est que le Président de la République, sa majorité et les partenaires sociaux commencent à considérer que le coût du travail constitue bien une difficulté. Certes, le coût du travail n’est pas à lui seul le facteur déterminant. Il y a l’investissement, l’innovation, le soutien aux petites et moyennes entreprises… Tout cela est vrai. Mais le coût du travail constitue une vraie difficulté. Et, lors de la conférence sociale qui s’est tenue au Palais d’Iéna au début du mois de juillet, le Président de la République a déclaré que nous devions trouver les nouveaux modes de financement et les nouvelles organisations de notre modèle social. Et je crois aujourd’hui pouvoir dire qu’il y a consensus sur la nécessité d’alléger les charges patronales. Mais deux questions se posent. Dans quelles proportions devrons-nous les alléger ? Et par quelles ressources devrons-nous assurer le financement de la protection sociale ? Je considère que l’unité de compte n’est pas la dizaine de milliards d’euros. Si nous voulons modifier de manière significative la compétitivité, ce sont 40 milliards à 50 milliards d’euros d’allégements qui doivent être décidés et pour lesquels nous devons trouver un autre financement. La CSG semble avoir les faveurs de certains, notamment des partenaires sociaux. M. Michel Sapin, le ministre du travail, a, avec adresse, affirmé que la CSG avait surgi dans le débat sur l’initiative des partenaires sociaux, et non du Gouvernement. (M. François Trucy sourit.) Je salue son habileté. Ayant dit cela, pensons-nous que la CSG peut suffire à elle seule ? Un point de CSG, cela représente 10 milliards d’euros. Qui peut imaginer que l’on puisse augmenter de 4 % ou 5 % la CSG ? D’autant que, selon le ministre chargé des personnes âgées, il faudra augmenter la CSG pour financer la dépendance… Par conséquent, envisager de financer l’allégement des cotisations patronales par un supplément de CSG, c’est, à mon avis, une pure illusion. Dans ces conditions, nous devons nous préparer et préparer l’opinion publique à sortir des procès en sorcellerie, des tabous et des conventions de langage qui ont affecté jusqu’à présent le débat sur la « TVA sociale », ou « TVA anti-délocalisation », ou « TVA emploi ». Mes chers collègues, à l’heure de la mondialisation, en faisant du salaire l’assiette des cotisations, nous perpétuons en quelque sorte des droits de douane que paieraient les seules entreprises employant et produisant en France, en en exonérant tous ceux qui vont produire ailleurs pour approvisionner par importation le marché national. Pensez-vous que ce soit là justice ? Certainement pas ! C’est une manière d’organiser assez méthodiquement la délocalisation des activités et des emplois. Nous devons donc réagir. J’entends dire que la TVA sociale serait injuste. Cependant, mes chers collègues, y a-t-il pire injustice que la difficulté, sinon l’impossibilité d’accéder à un emploi ? Le vrai pouvoir d’achat, ce n’est pas la distribution par un État qui doit emprunter à la mesure de ce qu’il distribue. Le vrai pouvoir d’achat, c’est la contrepartie des créations de richesses ; c’est la contrepartie de l’emploi et du travail ! Par conséquent, je souhaite que nous puissions réaliser une avancée décisive dans le débat, afin de sortir de l’illusion et du déni de réalité. Reconnaissons qu’il faut aller de l’avant. Ne nous en tenons pas à des conventions de langage qui nous enferment dans une programmation du déclin industriel, en contradiction avec la volonté proclamée d’inverser la tendance. J’observe que tous les États dont les niveaux de dépenses publiques sont supérieurs à 55 % du PIB pratiquent des taux de TVA de 25 %, à l’exception d’un seul : la France. Si nous devons bouger en matière de TVA, ne le faisons pas à moitié. L’heure n’est plus aux demi-mesures ! Il s’agit, si nous avons une conviction, d’aller jusqu’au bout et d’oser mettre en œuvre cette réforme. Cela nous appelle naturellement à la pédagogie. J’entendais tout à l’heure M. le ministre Jérôme Cahuzac nous expliquer que l’emploi représentait seulement 20 % des charges d’exploitation. Mais, monsieur le ministre du budget, que font les entreprises ? Leur valeur ajoutée, c’est le travail. Ce sont les salaires et les charges sociales. Mais les entreprises transforment des approvisionnements, des prestations extérieures qui sont des facturations de travail, donc de charges sociales. Je voudrais que l’on sorte de l’argument consistant à laisser croire que les charges sociales pèsent finalement très peu dans la valeur ajoutée. C’est faux. À mon sens, nous devons sortir de cette dialectique. Si nous voulons retrouver de la compétitivité à l’exportation, abaissons les charges sociales. Ma conviction est que l’abaissement du prix hors taxe du fait de l’allégement des charges sociales n’entraînera pas, en dépit d’une augmentation du taux de TVA, un prix toutes taxes comprises plus important pour le consommateur français. Nous serons plus compétitifs à l’exportation. Sans doute les produits importés seront plus chers. Mais n’est-ce pas notre objectif, mes chers collègues, que de redonner de la compétitivité au travail en France ? Si vous choisissez la CSG, Zlatan Ibrahimovic pourra dormir tranquille (Sourires sur plusieurs travées de l’UMP.), puisque tout impôt sur le revenu est pris en charge par son employeur. En revanche, si nous augmentions la TVA, il paierait sensiblement plus cher lorsqu’il achète des produits en provenance de l’étranger, puisqu’il s’agit d’importations. Telles sont, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais formuler pour tenter de vous faire partager une conviction. Nous devons aussi sereinement et volontairement que possible sortir ensemble de ce déclin programmé qui apparaîtrait inexorable et qui désespère nos concitoyens. Cessons de croire que tout va s’arranger et que nous pourrons camper dans l’attentisme. (Mme  Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Monsieur le ministre de l’économie et des finances, les 28 et 29 juin derniers, vous avez participé à un sommet des chefs d’État et de gouvernement européens. Du fait de la communication flambante qui en a suivi, on a eu l’impression que tous les problèmes avaient été réglés. Mais, comme le rappelait voilà un instant M. le président de la commission des finances, la conjoncture risque de nous faire subir un été qui pourrait être meurtrier. Sachons réagir. Si l’Europe en est là, c’est parce qu’elle est en déficit de gouvernance et qu’elle n’assume pas le partage de souveraineté qu’elle a choisi en optant pour la monnaie unique. J’attends de la zone euro qu’elle soit à la hauteur. Voilà peut-être trop d’occasions manquées dans ce collectif budgétaire ! C’est la raison pour laquelle, messieurs les ministres, le groupe de l’Union centriste et républicaine n’endossera pas la responsabilité de voter en faveur d’un pareil acte de renoncement économique et social. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)