Les interventions en séance

Budget
24/07/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012-Demande de renvoi à la commission-Motion n°150 Auteur Jean Arthuis»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je dois vous avouer que nous nous sommes longuement interrogés sur le point de savoir s’il convenait de déposer une motion tendant au renvoi de ce texte à la commission. J’ai longtemps été perplexe à l’égard des motions de procédure (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)… Est-ce là faire un bon usage du temps parlementaire ? Mme Beaufils serait bien placée pour en parler ! (Sourires.) La discussion générale m’a conforté dans l’idée que nous avions eu raison de déposer cette motion, car il reste encore un peu de travail à accomplir pour que nous puissions bien nous comprendre. Il est vrai, monsieur le ministre de l’économie et des finances, que la situation est grave ; nous comprenons que vous n’ayez pu être présent ici cet après-midi, du fait de l’actualité. C’est peu dire que si le sommet européen des 28 et 29 juin s’est apparemment conclu par des avancées très positives, les actes ne suivent pas. Ce sommet a été, comme la plupart de ceux qui l’ont précédé, un moment très fort de communication, mais l’inertie que l’on constate depuis amène les observateurs internationaux et les marchés à douter : la spéculation reprend de plus belle… Nous traversons des heures particulièrement graves et il va bien falloir que vous soumettiez au Parlement, dans les meilleurs délais, la ratification du traité sur la stabilité, la coopération et la gouvernance, et que vous donniez une forme à ce qui s’apparentera tout de même à une « règle d’or ». Vous avez d’ailleurs réaffirmé cet après-midi votre volonté de tenir nos engagements et d’être au rendez-vous de nos obligations, pour que le déficit en 2012 n’excède pas 4,5 % du PIB. Mme Beaufils a rappelé les difficultés auxquelles se trouve confronté le groupe PSA. J’ai entendu comme vous, mes chers collègues, le réquisitoire très sévère prononcé contre ce groupe par certains membres du Gouvernement. En réalité, le procès que l’on fait à PSA, c’est d’avoir tenté de produire en France ! Cette situation ne devrait-elle pas constituer un électrochoc puissant, nous amenant à revoir nos conventions de langage, à briser nos tabous et à renoncer à notre conservatisme ? C’est peu dire, messieurs les ministres, que votre projet de loi de finances rectificative est assez largement fondé sur la hausse des prélèvements obligatoires et que nous aurions accueilli de bonne grâce quelques avancées en matière de réduction de dépenses publiques. Sans doute les lettres de cadrage pour 2013 seront-elles très volontaristes quant à la tenue des dépenses de fonctionnement et d’intervention, mais l’exercice n’est pas facile et nous devrons, à cet égard, éviter toute dérive démagogique. Nous avons à maîtriser une situation particulièrement grave. J’observe que votre collectif prévoit un supplément de recettes fiscales de 7 milliards d’euros en 2012 et de 14 milliards d’euros en année pleine. Certes, une présentation habile du prélèvement exceptionnel sur la fortune accrédite l’idée que les 2,3 milliards d’euros de supplément de recettes pour 2012 seront compensés en 2013, mais j’imagine que le Gouvernement nous proposera un dispositif dont le produit sera au moins équivalent au cumul de ce qui était prévu au titre de l’ISF dans le projet de loi de finances initial et à celui de cette contribution exceptionnelle… Vous avez dû agir avec subtilité, messieurs les ministres, pour tenter d’éviter la sanction du Conseil constitutionnel, mais, disons-le clairement, le supplément de recettes fiscales atteindra 7 milliards d’euros en 2012 et au moins 14 milliards d’euros en 2013 : ce n’est peut-être pas deux tiers-un tiers, monsieur Cahuzac, mais plutôt moitié-moitié ! Nous attendions de ce projet de loi de finances rectificative qu’il comporte une avancée en termes de compétitivité. Comme je l’ai dit lors de la discussion générale, il y a au moins une bonne nouvelle : depuis quelques semaines, le Président de la République semble enfin reconnaître l’existence d’un problème de financement de la protection sociale… Je ne doute pas que chacun de nos échanges nous permette de progresser sereinement, dans l’intérêt de la France, et que nous puissions mettre un terme à tous ces procès d’intention. La bonne nouvelle, c’est que le Président de la République et le Gouvernement sont conscients qu’il va être nécessaire d’alléger les cotisations patronales. En effet, nous sommes dans une économie mondialisée où, pour satisfaire les attentes des consommateurs et leur proposer les prix les plus attractifs, on va faire ses courses en Asie ou ailleurs. Vous n’êtes pas indifférents, mes chers collègues, à l’évolution des zones industrielles de vos territoires ! Voilà vingt ou trente ans, des usines étaient implantées des deux côtés de la route ; aujourd’hui, les friches industrielles ont été reconverties en espaces de distribution. Il est facile de faire le procès de ceux qui produisent, mais on gagne beaucoup plus facilement sa vie en distribuant qu’en produisant. En tant que parlementaires, je pense que nous devons avoir du respect pour les producteurs. Opposer systématiquement les consommateurs et les producteurs relève d’une attitude schizophrène qui nous met en difficulté. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.) Finissons-en avec ce mauvais procès ! Il est trop simple d’être le défenseur des seuls consommateurs. Un pays qui connaît un déficit commercial de 70 milliards d’euros consomme 70 milliards d’euros de plus qu’il ne produit. Il n’y a pas de futur dans de telles conditions, et c’est pour cette raison que nos concitoyens vivent dans l’angoisse ! La bonne nouvelle, c’est que le Gouvernement reconnaît cette situation. La mauvaise nouvelle, c’est qu’il envisage de financer l’allégement des cotisations sociales par un relèvement du taux de la CSG. Or permettez-moi de vous dire que nous aurons bien besoin des recettes de la CSG pour équilibrer les comptes publics, et plus encore pour financer la réforme de la dépendance, si le Gouvernement nous soumet un texte à cette fin. Nous devons, je l’ai dit, briser nos tabous, renoncer à nos conventions de langage et à un certain conservatisme, parce que le feu est dans la maison ! Au fil des prochaines semaines, nous verrons nombre d’entreprises en difficulté présenter des plans de réduction de leurs effectifs, ce qui est pour le moins angoissant. Je voudrais simplement, à ce stade du débat, dénoncer cinq mauvais procès faits à l’impôt sur la consommation. La consommation est en danger, le Gouvernement l’a rappelé et plusieurs d’entre nous l’ont souligné cet après-midi. J’ai entendu tant d’économistes dire que la consommation est le moteur de la croissance ! C’est sans doute vrai à l’échelle du monde, mais, aujourd’hui, lorsque nous stimulons la consommation par le biais notamment de prestations sociales, d’aides financées à crédit, nous créons beaucoup plus d’emplois hors du territoire national que chez nous. Il convient de réhabiliter une économie de l’offre et d’affirmer très clairement que c’est la production qui doit devenir le moteur de la croissance ! Le deuxième mauvais procès intenté à la TVA sociale a trait au risque d’inflation qu’engendrerait son instauration. Si, parallèlement, nous réduisions franchement les cotisations patronales, le prix hors taxes des produits baisserait de manière significative, et dès lors le consommateur ne paierait pas plus cher qu’avec les taux de TVA actuellement en vigueur. Souvenez-vous, mes chers collègues, qu’en 1995 les prix étaient restés pratiquement stables en dépit d’un relèvement de deux points du taux de la TVA. J’affirme que, la concurrence jouant, un supplément de TVA ne provoquera pas d’inflation des prix des produits fabriqués en France grâce au travail de nos concitoyens, dès lors qu’il s’accompagnera d’un allégement significatif des cotisations patronales. Dans la mesure où le prix hors taxes est abaissé, nos produits seront plus compétitifs sur le marché mondial. Certes, les produits importés seront en revanche plus chers, parce que l’augmentation de la TVA s’appliquera à des prix hors taxes qui seront les mêmes qu’aujourd’hui. Cela étant, ce sont à mon avis les importateurs qui disposent des marges les plus substantielles, et ils n’auront pas le front de répercuter intégralement l’augmentation de la TVA sur leurs prix. Quoi qu’il en soit, que recherchons-nous, sinon l’amélioration de la compétitivité de notre économie ? Ma troisième remarque portera sur l’inquiétude des partenaires sociaux. Notre protection sociale est gérée, au travers de cinq caisses nationales, par ces derniers. C’est le fait que les cotisations sont assises sur les salaires qui légitime cette gestion paritaire. Certains partenaires sociaux craignent peut-être que celle-ci ne soit remise en cause si, demain, le financement de la protection sociale devait reposer sur une autre assiette. Il nous appartient donc de les rassurer, le cas échéant en élaborant une loi sur le financement de la vie syndicale. En tout état de cause, nous devons sortir de la situation de blocage actuelle, où les partenaires sociaux préfèrent que ce soit la CSG, plutôt que la TVA, qui finance la protection sociale, parce que l’on a encore la bonté de laisser croire que cette ressource relève du champ social alors qu’il s’agit en fait d’un impôt sur le revenu. D’ailleurs, messieurs les ministres, il faudra bien que vous mettiez au clair la hiérarchie entre la CSG et l’impôt progressif sur le revenu : ce n’est pas un problème facile, le second étant calculé en fonction du revenu de l’année N-1, la première étant prélevée immédiatement. Le quatrième mauvais procès que l’on fait à la TVA sociale, c’est qu’elle serait un impôt antieuropéen. Au fond, la mettre en place, c’est la dernière dévaluation que l’on puisse se payer ! Aujourd’hui, sur le plan commercial, les comptes de la zone euro considérée dans son ensemble sont pratiquement équilibrés ; ce qui la met en danger, c’est que certains de ses membres présentent un très fort excédent et d’autres un très important déficit. Toute mesure de nature à rétablir un équilibre entre les pays qui la composent est donc conforme à l’intérêt de la zone euro. Oui, monsieur le ministre de l’économie et des finances, la situation est grave. Il n’est pas question ici de tenir des propos frivoles sur la gouvernance de la zone euro. Redonner de la compétitivité à l’économie française, c’est aller dans le sens du rééquilibrage de la zone euro. Enfin, M. Cahuzac a rappelé que la part des salaires est finalement assez faible dans les charges supportées par les entreprises. Toutefois, messieurs les ministres, les entreprises transforment des produits, des composants, des prestations qu’elles acquièrent à l’extérieur, et si les prix qui leur sont facturés n’apparaissent pas dans la ligne « salaires et charges sociales », ils sont néanmoins directement corrélés aux salaires et aux charges sociales supportés par les fournisseurs. Par conséquent, il faut abandonner cette conception selon laquelle les salaires pèseraient si peu qu’il serait vain de vouloir alléger les charges sociales ! Telles sont, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles nous souhaitons que le projet de loi de finances rectificative soit renvoyé à la commission. Ne doutez pas, messieurs les ministres, que nous partageons une même ambition de sortir la France et l’Europe de la crise où elles s’enfoncent. Le groupe de l’Union centriste et républicaine entend profiter de ce renvoi à la commission pour formuler des propositions de nature à alléger les dépenses publiques, mais aussi et surtout pour donner une impulsion décisive à la compétitivité de notre économie, car c’est bien là la condition de la relance de l’emploi et de l’amélioration du pouvoir d’achat de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)