Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Yves Pozzo di Borgo 23/10/2012

«Proposition de résolution tendant à la reconnaissance de la répression d՚une manifestation à Paris le 17 octobre 1961»

M. Yves Pozzo di Borgo

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 17 octobre 1961, la France était en guerre. À l’époque, cette guerre était encore pudiquement appelée « crise algérienne ». Sans doute voulait-on masquer le fratricide derrière la sémantique pour ne pas voir à quel point nous nous déchirions avec un pays qui a partagé notre destin national pendant près de 150 ans et qui est, de toute façon, notre voisin. Cette guerre reste une plaie béante dans notre histoire. Nombreuses sont les familles en France comme en Algérie, qui ont été frappées par le tragique de l’Histoire. Les événements du 17 octobre 1961 sont, sans conteste, l’un des épisodes les plus dramatiques que les circonstances de l’époque ont infligées aux Français et aux Algériens. Cet épisode n’est pas le seul. Des massacres, il y en a eu beaucoup. Aucun n’est justifiable, quelles que soient les circonstances. Certes, il y a la guerre, mais, derrière cette raison, la réalité est bien plus sordide : Sétif en 1945, la Toussaint sanglante en 1954, Constantine en 1955, l’opération d’Alger ensuite, et combien d’autres attentats de l’OAS en France et en Algérie, la torture, le massacre des Harkis et j’en passe… La guerre d’Algérie confronte encore les mémoires, cinquante ans après les accords d’Évian. Toute la lumière n’a pas été faite pour permettre au deuil et au pardon de combler cette large blessure pour nos deux peuples. Sans doute faut-il laisser le temps faire son travail. Or, ce travail est-il le nôtre ou est-il plutôt, mes chers collègues, celui des historiens ? Le Parlement, bien qu’il représente le peuple français n’est pas le tribunal de l’Histoire. Je ne crois pas qu’il nous revienne de décider de ce qui devrait être retenu de notre passé. Ce travail est avant tout celui des historiens, celui de scientifiques indépendants dont la tâche est de nous mettre face à la réalité factuelle de l’Histoire et pas devant une quelconque pulsion mémorielle. Cette justice n’est pas la nôtre, elle n’est pas de notre ressort. Du moins, pas d’une manière aussi unilatérale. Mes chers collègues, les lois mémorielles ont souvent conduit le Parlement à sortir de son rôle en sa qualité de législateur. La présente proposition de résolution sollicite notre fonction tribunicienne, mais, en aucun cas, la Constitution ne nous donne compétence en matière historique. Si la loi ne dispose que pour l’avenir, il semble aller de soi que les résolutions sont des prises de position pour l’avenir, non un ersatz de l’atelier de l’historien. Nous pouvons saluer l’initiative du groupe communiste, qui nous permet ainsi de poser les premiers jalons de ce qui aurait dû être un grand débat national sur les commémorations. Nous pourrions également nous satisfaire de ce que cette initiative ait pu si rapidement trouver l’oreille du Président de la République. Pour autant, je ne peux m’empêcher – et le groupe de l’Union des démocrates et indépendant-Union centriste avec moi – de regretter que la requête formulée à travers cette proposition de résolution ait abouti à un simple communiqué de presse, où l’Élysée nous annonce laconiquement que la France reconnaît « avec lucidité » sa responsabilité devant les événements du 17 octobre 1961. J’ai pourtant la ferme conviction que l’on n’est jamais aussi lucide que lorsque l’on est deux. Cette initiative aurait dû faire l’objet d’un vaste débat national, soit, mais ce débat aurait dû se faire en association avec nos amis algériens. En effet, la douloureuse question des mémoires de la guerre d’Algérie ne saurait être unilatérale. Plus de 150 Européens auraient été tués par le FLN lors de la première phase du massacre de Constantine, en 1955. En 1957, le village de Melouza a été rasé, et ses 315 habitants, hommes, femmes et enfants, ont été massacrés par le FLN. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient des indépendantistes du MNA, le Mouvement national algérien, favorables à Messali Hadj ! Voilà l’absurdité de l’histoire ! Pourquoi ne commémore-t-on pas non plus ces drames ? Qui se souvient de ces victimes ? N’ont-elles pas, elles aussi, droit au souvenir ? On ne saurait demander la reconnaissance du 17 octobre sans demander à l’Algérie de réaliser ce même travail sur elle-même. Il faut être deux pour faire une guerre, et nombreuses sont les familles, françaises et algériennes, à avoir été frappées par ce qui s’est produit, il y a plus d’un demi-siècle, au sud de la Méditerranée. Cette question, si elle est légitime, n’aurait pas dû être traitée de cette manière. Il ne s’agit pas de nous satisfaire d’avoir, dans notre coin, reconnu nos torts, non plus que de nous complaire dans une certaine autosatisfaction. Il ne s’agit pas davantage d’inaugurer une quelconque stèle pour y déposer des fleurs à la faveur du calendrier commémoratif. Le conseil de Paris peut le faire, pas le Parlement ! Le Gouvernement a été vertement critiqué pour son goût prononcé pour les commissions. Or, mes chers collègues, s’il y a un sujet sur lequel il aurait eu raison de recourir à cette méthode, c’est bien celui des reconnaissances et des commémorations ! Aussi, le groupe de l’Union centriste et républicaine, dans sa grande majorité, n’est pas favorable à la proposition de résolution telle qu’elle nous est présentée. En revanche, nous demandons qu’une large concertation soit organisée en association avec l’Algérie, par exemple par le biais du groupe d’amitié. C’est seulement en avançant ensemble, dans la réciprocité et le parallélisme, que nous parviendrons peut-être à trouver, chacun de notre côté de la mer, les justes mots vers la route du pardon mutuel. C’est la seule voie raisonnable pour rendre justice à l’ensemble des victimes de toutes les exactions commises pendant cette guerre. C’est la seule voie possible pour parvenir à rendre une justice, même toute symbolique, aux familles françaises et algériennes qui continuent, de part et d’autre de la mer et du siècle, à souffrir des zones d’ombre, des mensonges d’État – des deux côtés – et du sang inutilement versé. Dimanche dernier, Jean-Louis Borloo a lancé un appel aux progressistes et aux patriotes tolérants. Dans un monde qui change, les représentations de l’histoire changent également. Nous devons tendre la main à nos amis algériens dans la voie du rassemblement et de la pacification. Rappelons-nous ces mots écrits par Albert Camus dans une lettre adressée en 1955 à un militant algérien – pardonnez, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon émotion – : « L’essentiel est de maintenir, si restreinte soit-elle, la place du dialogue encore possible. […] Et pour cela, il faut que chacun de nous prêche l’apaisement aux siens. […] Si vous autres, démocrates arabes, faillissez à votre tâche d’apaisement, notre action à nous, Français libéraux, sera d’avance vouée à l’échec. » (Applaudissements sur les travées de l’UCR.– M. Jean-François Husson applaudit également.)