Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Yves Pozzo di Borgo 23/07/2013

«Proposition de loi fixant la répartition et le nombre des sièges de conseiller de Paris»

M. Yves Pozzo di Borgo

Soyons honnêtes, je ne pense pas que vous ayez imaginé, monsieur le ministre, lorsque vous avez décidé d’introduire une modification de la répartition des conseillers de Paris dans votre projet de loi instaurant le binôme départemental paritaire, que le Conseil constitutionnel censurerait l’ensemble du tableau de répartition desdits conseillers. Vous auriez dû intégrer également le cas de Lyon, comme je vous l’avais suggéré, l’écart à la moyenne entre le Ier et le IIIe arrondissement de Lyon variant du simple au double. Sans doute, à l’époque, certains ont-ils cru bon de se saisir de cette opportunité pour tenter de donner à la majorité parisienne sortante un petit coup de pouce. Vous savez très bien que la majorité peut basculer à quelques voix près et M. Delanoë vous a poussé à sortir ce texte. Deux conseillers par-ci, un conseiller par-là, le tout dans un article discret noyé dans un projet de loi consacré précisément à presque toutes les collectivités, sauf Paris, Lyon et Marseille… J’imagine que vous pensiez qu’au pire le Conseil constitutionnel censurerait un article de votre projet de loi, sauf que le Conseil ne s’est pas arrêté là : c’est bien l’ensemble du tableau qu’il a censuré, rendant ainsi momentanément impossible l’organisation des élections municipales dans la capitale. En fait, cette censure était prévisible, y compris dans son étendue. Le principe de l’égalité du suffrage est interprété strictement par le Conseil et sa jurisprudence en la matière n’est pas nouvelle. Le précédent gouvernement en avait d’ailleurs, lui aussi, fait les frais. Nous sommes donc dans la nécessité de remplacer ce tableau de répartition. La nature même de la décision du Conseil, en censurant l’intégralité du tableau datant de 1982, nous invitait, malgré la proximité des échéances électorales, à une réflexion bien plus ambitieuse que le texte qui nous est aujourd’hui soumis. En l’espèce, je suis navré, mais il s’agit d’un sparadrap sur une jambe de bois ! Notre rapporteur – toujours amical pour le ministre et le Gouvernement – nous explique qu’à huit mois du scrutin municipal il est « inenvisageable de refondre le régime électoral parisien » et « il apparaissait donc inconcevable de réformer en profondeur le mode de scrutin parisien ». Nous ne partageons pas cette analyse, d’autant que si nous sommes aujourd’hui dans cette situation, c’est exclusivement la faute du Gouvernement et de ceux qui ont cru bon de voter en faveur de cette loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral. On ne saurait venir reprocher au Conseil d’avoir accompli sa mission. C’est bien le caractère arbitraire de cette répartition que le Conseil constitutionnel a déclaré inconstitutionnel. Celle-ci ne correspondait à aucun critère démographique avéré et laissait subsister des écarts disproportionnés : d’un arrondissement à l’autre, cela a été dit, le nombre d’habitants représentés par un conseiller de Paris pouvait aller du simple au triple, l’écart maximal par rapport à la moyenne étant de 57 %. C’est vous qui avez voulu arranger à votre main la répartition des conseillers. Vous avez mis le doigt dans le pot de confiture et vous vous êtes fait prendre ! Le système instauré par la loi PLM de 1982, vous le savez très bien, est stupide. Gaston Defferre, qui était un bon ministre de l’intérieur – très malin, comme tous les ministres de l’intérieur, de droite comme de gauche – s’est rendu compte qu’il allait être battu. Il a donc imaginé un texte spécifique, d’abord pour la seule ville de Marseille – Defferre pouvait faire tout ce qu’il voulait ! – avant d’ajouter celles de Lyon et de Paris ! C’est ainsi que l’on a adopté cette loi stupide. Vous avez entendu ce qu’a dit notre collègue Charon. M. Defferre a été réélu, minoritaire en voix mais majoritaire au conseil municipal ; c’est également arrivé à Lyon en 2001, m’a-t-on dit, ainsi qu’à Paris où M. Delanoë était minoritaire en voix mais majoritaire au sein des conseillers de Paris. C’est, je le répète, un système stupide, sans compter la répartition des pouvoirs entre les mairies d’arrondissement et la mairie centrale – je le vis depuis 1983… Vous n’êtes pas les seuls responsables, d’ailleurs ; la droite et le centre sont également fautifs : nous aurions dû modifier ce texte depuis très longtemps. On ne peut pas continuer à appliquer un texte complètement idiot ; c’est un problème que le Sénat devrait prendre en compte. Il est vain d’essayer de bricoler ce système comme vous le faites avec ce texte. La preuve en est que vous n’arrivez même pas à respecter pleinement les critères posés par le Conseil constitutionnel puisque l’écart de représentation du premier des vingt arrondissements s’établit encore au-delà de 20 % de la moyenne parisienne. Notre rapporteur, toujours bon ami du ministre, est fier de nous annoncer qu’il est ramené de moins 42,6 % dans le tableau censuré à plus 25,7 %. C’est mieux mais la répartition proposée aurait dû également tenir compte de l’impact de projets d’urbanisme majeurs tels que la ZAC des Batignolles dans le XVIIe arrondissement ou encore l’opération Laennec dans VIIe arrondissement, arrondissement dont je suis élu, qui vont accueillir énormément d’habitants. Je pense aussi à la restructuration du site de l’Institut national de l’information géographique et forestière, l’IGN, projet datant de 1986 qui va enfin voir le jour. Il n’en a pas été tenu compte. À titre d’exemple, un conseiller a été supprimé dans le VIIe arrondissement. Le texte n’intègre donc pas ces évolutions. Je passe sur l’aberration totale consistant à appliquer un scrutin proportionnel lorsque deux sièges, voire un seul, sont en jeu… Un amendement défendu à l’époque par le groupe socialiste visait d’ailleurs, en 1982, à passer de deux à trois ! Tout cela n’est pas satisfaisant ; ce n’est pas un travail législatif sérieux ! Vous êtes dans l’obligation de faire adopter une nouvelle répartition par la représentation nationale, mais « obligation » ne signifie pas « précipitation », et cela aurait pu se faire de manière plus sereine et surtout plus visionnaire, avec un consensus général. Y aurait-il une solution alternative, un moyen de contourner ces difficultés ? Quitte à modifier le système électoral à Paris, on aurait pu le changer complètement et permettre aux Parisiens et aux Parisiennes d’élire directement leur conseil municipal puis leur maire, comme c’est le cas dans la quasi-totalité des villes de France ! Nous observons un paradoxe incroyable : les maires d’arrondissement, qui n’ont aucun pouvoir, sont élus par tous les électeurs du territoire qu’ils administreront à l’échelle inframunicipale de l’arrondissement, alors que le puissant maire de Paris, qui détient tous les pouvoirs, gère près de 8 milliards d’euros de budget, dispose de nombreux adjoints, n’est pas élu par l’ensemble des électeurs parisiens. Savez-vous que seuls 20 147 Parisiens ont voté pour Jacques Chirac en 1983, sur la liste du Ve arrondissement ? Les autres électeurs, comme moi-même dans le VIIe arrondissement, étaient des votants virtuels ! C’est stupide ! M. Delanoë a été élu pour la première fois, en 2001, dans le XVIIIe arrondissement, par 28 722 voix – 313 075 votants pour les listes de gauche. Les maires de Paris sont élus par une toute petite proportion de la population parisienne, et ce depuis je ne sais combien d’années, et l’on n’y touche pas, monsieur le ministre ? Il faudra bien poser le problème de cette élection en quelque sorte virtuelle. Vous n’avez pas voulu vous y atteler aujourd’hui parce que vous voulez aller vite et craignez d’approfondir les choses, mais il faudra bien le régler un jour : le maire de Paris, d’une puissance terrible, n’est élu que par très peu de voix ! C’est du vote virtuel ! Pour finir, je ne peux m’empêcher de dire quelques mots des conditions d’examen de cette proposition de loi. Le 13 juin 2013, le président Urvoas a déposé une proposition de loi relative à l’élection des conseillers de Paris, qui a été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et examinée en séance publique le mercredi 10 juillet 2013. Puis, après la transmission du texte au Sénat, on nous annonce soudainement qu’on passe d’une proposition de loi « Urvoas » à une proposition de loi « Sueur ». Pourquoi ce changement ? Vous nous avez expliqué que le délai entre le dépôt de la proposition de loi et la discussion en séance prévu par la Constitution n’avait pas été respecté, pas plus que celui entre la transmission de la proposition de loi et la discussion en séance dans la deuxième assemblée. Évidemment, si le Gouvernement avait engagé la procédure accélérée, il n’y aurait pas eu de difficulté, mais cela n’a pas été fait : le Gouvernement a tout simplement oublié de le faire ! En commission, le président Sueur a été honnête et a admis cet oubli – vous l’avez vous-même reconnu, monsieur le ministre –, mais il a aussi minimisé sa portée. Depuis le début, la proposition de loi « Urvoas » ne respectait pas les délais imposés par l’article 42, alinéa 3, de la Constitution dans le cas d’un examen selon la procédure normale. Cela n’a pas empêché l’Assemblée nationale d’aller au bout de la lecture sans sourciller… Franchement, un tel amateurisme est vraiment déplorable pour au moins deux raisons. La première, c’est que l’on parle d’un sujet important puisque ce texte comble un vide juridique qui rend en l’état impossible l’élection municipale à Paris, vide juridique apparu, je le rappelle, à l’issue de la décision du Conseil constitutionnel. La deuxième raison, c’est que l’on parle ici de choses simples, basiques, à savoir le respect de délais constitutionnels, dont le non-respect vous a déjà valu, c’est un comble, une censure du Conseil constitutionnel ! Comment et pourquoi en est-on arrivé là ? L’urgence dans laquelle on contraint le Parlement à légiférer depuis plusieurs mois est telle – c’est encore plus vrai pour la commission des lois – que le Gouvernement n’a même plus le temps d’engager l’urgence ! En effet, si le Gouvernement n’avait pas « oublié » d’engager la procédure accélérée, nous n’en serions pas là. En définitive, cette proposition de loi, plutôt que de proposer une réforme ambitieuse à la hauteur des enjeux, s’inscrit dans une démarche purement tactique à huit mois des élections municipales de Paris, au détriment de l’intérêt général des Parisiens. Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UDI-UC votera unanimement contre ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)