Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
23/01/2012

«Proposition de loi, visant à réprimer la contestation de l՚existence des génocides - Exception d՚irrecevabilité»

M. Jean-Jacques Pignard

Sur cette motion, le groupe de l’Union centriste et républicaine est très partagé puisqu’une majorité de ses membres ne prendra pas part au vote ou s’abstiendra. Parmi les autres, treize voteront pour la motion – c’est en leur nom que je m’exprimerai ici –, tandis que deux se prononceront contre. Entendons-nous bien : dans cet hémicycle, personne ne peut être insensible à la tragédie du peuple arménien, au génocide qui eu lieu il y a près de cent ans. Il ne s’agit pas d’opposer ceux qui auraient de la compassion et ceux qui n’en auraient pas, ceux qui auraient du cœur et ceux qui en seraient dépourvus : le problème est d’une autre nature. Cette proposition de loi est, à mon sens, inopportune, et cela au moins pour trois raisons. Premièrement, ce n’est pas au Parlement de dire l’Histoire : d’éminents historiens universitaires l’ont rappelé avec force, et le modeste agrégé d’histoire que je suis ne peut que mettre ses pas dans les leurs. L’histoire officielle me révulse, qu’elle soit écrite en France, en Turquie ou en Arménie. Monsieur le ministre, je sais bien que c’est hors sujet que de dire cela mais je tenais à le dire quand même. Deuxièmement, on n’impose pas la repentance. Quand, en France, on a cherché à l’imposer, cela a donné lieu à des guerres de religion. Ce n’est pas la République ! La repentance provient d’un cheminement personnel, qui peut être long. Il peut même être trop long, comme c’est le cas pour le gouvernement turc, qui, nous le savons tous, s’était engagé à créer une commission. Mais ce n’est pas au Parlement français d’imposer la repentance à un gouvernement étranger. Troisièmement – et cet argument n’a guère été évoqué aujourd’hui –, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi dans ce pays des centaines de milliers de citoyens franco-turcs, notamment des jeunes qui sont nés chez nous et qui se sentent stigmatisés par le débat de ce soir (M. Roger Karoutchi s’exclame.) parce qu’ils ont le sentiment, à tort ou à raison, que l’on voudrait rendre les jeunes Franco-Turcs de 2012 comptables des crimes commis par les Jeunes-Turcs ottomans de 1915. (M. Roger Karoutchi proteste.) Peut-être n’êtes-vous pas d’accord, mais, pour ma part, je sais très bien que cela conduit à des réflexes identitaires, à des enfermements communautaires qui font le jeu des extrémistes. J’ai entendu tout à l’heure un collègue dénoncer avec raison les Loups gris : croyez-moi, dans la région lyonnaise, nous savons le mal que fait cette secte… Or, en ravivant ces tensions, on jette ces jeunes en mal d’identité dans les bras des extrémistes. Le rôle de la République n’est pas de favoriser les extrémistes ; il est d’essayer de faire en sorte que l’on puisse vivre ensemble, même si cela s’avère difficile. Pour ces trois raisons et, bien sûr, pour d’autres qui ont été évoquées tout à l’heure, je voterai cette motion d’irrecevabilité. J’ignore s’il est anticonstitutionnel d’écrire l’histoire officielle, mais je pense que ce n’est pas républicain. J’ignore s’il est anticonstitutionnel d’imposer la repentance, mais je pense que ce n’est pas républicain. J’ignore s’il est anticonstitutionnel de renforcer les communautarismes, mais je pense que ce n’est pas républicain. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UCR, du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe écologiste. – MM. Gérard Larcher et Christian Poncelet applaudissent également.)