Les interventions en séance

Budget
22/11/2012

«Projet de loi de finances pour 2013 »

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette discussion générale nous éclaire sur les enjeux, les vertus et les faiblesses du projet de loi de finances pour 2013. Permettez-moi, tout d’abord, de remercier M. le président de la commission des finances et M. le rapporteur général pour la présentation qu’ils ont faite de ce texte. Convenons cependant, mes chers collègues, que si la tâche du ministre du budget est délicate en ces temps de crise, l’exercice auquel nous convie le Gouvernement est inouï. Nous avions compris, au soir du 6 novembre, que la loi de finances initiale pour 2013 devrait faire l’objet d’une rectification en février prochain pour prendre en compte les arbitrages résultant des recommandations formulées dans le rapport établi par Louis Gallois. Vous vous en souvenez, mes chers collègues, le ministre chargé du budget nous avait soumis, lors de la discussion du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, un amendement visant à nous informer, de façon élégante, certes, mais lapidaire, des modifications substantielles que la trajectoire des recettes et des dépenses était susceptible de connaître. Dernier avatar, le projet de loi de finances rectificative destiné à régler les recettes et les dépenses de l’année 2012 devrait, semble-t-il, consacrer le crédit d’impôt de 10 milliards d’euros destiné à alléger les charges sociales, dont devront s’acquitter les entreprises sur les salaires versés en 2013. Est-ce un nouvel allégement à crédit ? N’est-ce pas, monsieur le ministre, un manquement à l’exigence de sincérité budgétaire ? Il s’agit du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE Vous comprendrez, monsieur le ministre, nos interrogations à propos de cette discussion budgétaire. Quel sera le moment de la véritable délibération ? D’ores et déjà, force est de constater que ce projet de loi de finances est une sorte de préfiguration de la loi de finances 2013. Je comprends bien que la profondeur de la crise justifie des initiatives exceptionnelles, dont je ne vous fais pas grief, monsieur le ministre. Mais comment se fait-il que le levier supposé de la croissance, puisque c’est bien de cela qu’il s’agit, ne soit pas connu et débattu ici et maintenant ? Avant d’exprimer des réserves, je voudrais, toutefois, rendre un hommage particulier au Gouvernement, car deux tabous sont en train de tomber. Premier tabou, le poids des charges sociales est reconnu comme étant l’un des freins significatifs à la compétitivité des entreprises et à l’emploi. Second tabou qui commence à tomber, l’augmentation de la TVA cesse d’être un chemin interdit. En effet ! M. le ministre délégué s’identifie à saint Paul ! (Sourires.) Je veux souligner ce double progrès et rendre hommage au Gouvernement. Je mesure la révolution copernicienne que représente cette avancée. C’est une lueur d’espoir ; peut-être même est-ce la sortie programmée d’un tunnel dogmatique ? Cela étant, le Gouvernement tarde quelque peu à prendre la mesure des réformes à accomplir pour que cette vision nouvelle donne lieu à une action significative, susceptible de produire les effets attendus. Le projet de budget que vous nous présentez, monsieur le ministre, appelle, de ma part, trois critiques. Première critique, la montée du chômage semble acceptée comme une fatalité ; le Président de la République l’a reconnu publiquement à l’occasion de la conférence de presse qu’il a tenue la semaine passée, en affirmant que le chômage allait augmenter. L’allégement des charges sociales sera limité, en 2013, à 10 milliards d’euros, et les employeurs devront faire l’avance, puisqu’ils ne seront remboursés qu’en 2014 : 15 milliards d’euros en 2014 remboursés en 2015 et 20 milliards d’euros en 2015 remboursés en 2016. À cet égard, permettez-moi de vous faire partager une conviction : même les 30 milliards d’euros que recommande Louis Gallois ne suffiront pas. Si l’on veut susciter un véritable « choc de compétitivité », il faut aller jusqu’à 50 milliards d’euros. Cela étant, alors que Louis Gallois préconise un choc immédiat de 30 milliards d’euros, le Gouvernement retient un allégement à hauteur de 20 milliards d’euros, qui plus est étalé dans le temps. Accessoirement, vous mettez à rude épreuve, monsieur le ministre, l’exigence de sincérité des comptes publics, dans la mesure où, si les entreprises sont autorisées à constater, à la clôture de leurs propres comptes, une créance sur l’État, en revanche, l’État semble s’exonérer de la reconnaissance de sa dette. Au fond, le déficit 2013 devrait être augmenté de 10 milliards d’euros. Vous avez fait référence, monsieur le ministre, au crédit d’impôt recherche, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’on légitime la façon dont on l’a pris en compte jusqu’à maintenant. D’ailleurs, les sommes en jeu ne sont pas les mêmes, avec 4 milliards d’euros d’un côté et 20 milliards d’euros, de l’autre. Vous me permettrez de penser que le déficit 2013 ne sera pas celui que vous affichez dans ce projet de loi de finances, car il faut y ajouter les 10 milliards d’euros qui correspondent à cet allégement des charges sociales. En effet, il faudra attendre l’année 2014 pour collecter le financement, via des hausses de TVA. Il s’agit là d’une question cruciale : il faudra attendre le projet de loi de finances rectificative de février 2013 ou bien celui de fin d’année pour examiner tout ou partie du dispositif résultant du « Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l’emploi », un titre, convenons-en, prometteur pour une mécanique qui risque d’être complexe et dont le calibrage n’est manifestement pas à la hauteur du défi de la lutte contre le chômage. Deuxième critique, pour permettre à la France de respecter ses engagements européens, certes, mais aussi, et surtout, pour préserver son crédit international tout autant que sa souveraineté, vous choisissez le matraquage fiscal, au risque de décourager tous ceux qui entreprennent, qui innovent, qui investissent, qui vont de l’avant, en créant des richesses et des emplois. Si les plus-values doivent tendre, j’en conviens, à titre personnel, à relever du barème normal de l’impôt sur le revenu des personnes physiques, je veux vous rendre attentif au fait qu’il faudrait tenir compte de la durée de détention des titres et de l’érosion due à l’inflation, car il existe des détenteurs qui ne sont pas des adeptes de la tyrannie du court-termisme et qui détiennent de longue date des titres. Aussi, je souhaite que vous admettiez de mettre en place des abattements dès lors qu’il s’agit de titres d’entreprises détenus à moyen ou à long terme. Au surplus, le taux de croissance que vous avez retenu pour évaluer ces recettes tient compte d’une hypothèse de croissance qui est, manifestement, irréaliste, comme en témoignent le consensus des économistes ainsi que les prévisions du Fonds monétaire international et de la Commission européenne. Il va vous manquer assez rapidement 4 ou 5 milliards d’euros, monsieur le ministre. J’ajoute que votre « tsunami fiscal » va susciter nombre de délocalisations de patrimoines et d’assiette fiscale. Au total, vous ne percevrez pas les impôts que vous escomptez et vous aurez forcément des moins-values par rapport à vos prévisions. Troisième critique, le reflux de la dépense publique reste incantatoire. Les annonces sont vagues, et je souhaiterais que les points d’application soient clairement identifiés. En l’absence de réformes structurelles, je ne crois pas à l’effectivité des économies, en dehors de la facilité qui consiste, bien sûr, à réduire le montant des investissements. Pour désactiver la dépense, nous attendons du Gouvernement qu’il mette un terme à l’hystérie normative. Lors de la conclusion des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le président du Sénat, j’ai entendu avec satisfaction les engagements de François Hollande : le Président de la République se propose donc d’alléger les normes en vigueur. Formidable ! Mais, cinq jours plus tard, la ministre déléguée à la famille annonce l’abrogation du décret de 2010, visant à alléger les normes relatives à l’accueil des jeunes enfants dans les structures collectives. Voilà une contradiction manifeste ! Puis-je souligner également la difficulté de supprimer l’addiction à la dépense publique ? Voilà un an, vous vous en souvenez sans doute, mes chers collègues, nous avions voté, nous appuyant sur un rapport de la Cour des comptes, l’abaissement du taux de cotisation au Centre national de la fonction publique territoriale faisant passer le taux de 1 % à 0,9 %. Or, qu’avez-vous fait dès le premier projet de loi de finances rectificative, chers collègues de la majorité ? Vous avez rétabli le taux de 1 % ! Dans la foulée, on va augmenter les taux de cotisations dues par les employeurs à la CNRACL, la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales, et assujettir les indemnités des élus locaux aux cotisations de la sécurité sociale. En 2013, il ne sera pas nécessaire d’amputer les dotations de fonctionnement ; le compte y sera déjà par ces nouvelles charges ! Je souhaiterais que nous soyons, les uns et les autres, extrêmement vigilants quant à la nécessité de réduire les dépenses publiques. Parmi les normes à corriger, il en est une dont la remise en cause est nécessaire avant tout : la norme relative à la durée du temps de travail. Nous n’y échapperons pas ! Lorsque le gouvernement Jospin avait légiféré pour réduire la durée du temps de travail, il s’adressait à la sphère privée, et pour créer des emplois. Et Mme Aubry n’avait pas manqué de souligner alors que cette norme ne s’appliquerait pas aux fonctions publiques. Or, un an plus tard, cette réforme a été généralisée. On connaît la suite : 25 milliards d’euros de dépenses supplémentaires ! (Eh oui ! sur les travées de l’UMP.) Mes chers collègues, je vous le répète, nous n’échapperons pas à la remise en cause de cette norme sur la durée du temps de travail dans les trois fonctions publiques, ainsi que pour les opérateurs de l’État et ceux des collectivités territoriales ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.) L’examen des articles nous permettra peut-être de corriger les insuffisances et les excès du projet de loi de finances ; mais, dans tous les cas, le budget pour 2013 demeurera instable, puisqu’il est destiné à être modifié, dans les semaines à venir, sur l’initiative du Gouvernement lui-même. Monsieur le ministre, je doute que votre majorité – si tant est que vous en ayez une au Sénat – nous autorise à corriger votre copie et à rectifier le cap. Le fait est que, dans son état actuel, le projet de loi de finances que vous présentez n’est pas acceptable, car il donne l’illusion de l’assainissement et renonce à déclencher le sursaut de compétitivité sans lequel la montée du chômage devient une fatalité assumée. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis déterminé à rejeter dans leur ensemble les articles de la première partie du projet de loi de finances. Si je n’exclus pas de m’abstenir lors du vote sur l’article d’équilibre, c’est pour permettre au Sénat d’examiner les crédits des missions et de montrer qu’il peut proposer des économies et amplifier le reflux de la dépense publique. Il est évident que cette position ne vaut en aucune façon approbation implicite du budget présenté par le Gouvernement. C’est ce que je confirmerai lors du vote final, si toutefois notre discussion se prolonge au-delà du mercredi 28 novembre. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)