Les interventions en séance

Budget
22/02/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012 »

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « enfin ! », suis-je heureux de dire à propos de ce projet de loi de finances rectificative, car il met enfin en œuvre la « TVA sociale », il baisse enfin les charges patronales des entreprises, il instaure enfin une taxe sur les transactions financières. Mais pourquoi si tard ? Tous ces sujets, le groupe de l’Union centriste et républicaine, sous l’impulsion persévérante et clairvoyante de Jean Arthuis, et le président de la commission des finances, Philippe Marini, les défendent inlassablement depuis de nombreuses années. Ce dernier projet de loi de finances rectificative de la législature vient clore une série de mesures visant à restaurer la compétitivité de nos entreprises, l’attractivité de la France et la croissance de notre économie : la réforme de la taxe professionnelle, dont l’évaluation reste certes encore à parfaire, le crédit d’impôt recherche, dont le succès est certain, et les investissements d’avenir, qui sont vitaux. La première priorité réside dans l’amélioration du climat pour les entreprises, maltraitées par une fiscalité discriminatoire entre les entreprises du CAC 40, d’une part, et les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire, d’autre part. On peut néanmoins penser que la hausse de 1,6 point du taux normal de TVA et la baisse corollaire des charges patronales rendront toutes les entreprises industrielles plus performantes dans la compétition internationale. Les chiffres du commerce extérieur sont catastrophiques, plusieurs orateurs l’ont répété : un déficit commercial de 70 milliards d’euros, une perte de 19,4 % de parts de marché entre 2006 et 2010, conséquence, notamment, de l’écart entre 4 500 petites et moyennes entreprises et entreprises de taille intermédiaire en France contre 10 000 en Allemagne. Or ce sont ces entreprises qui font la force de l’exportation et de l’innovation d’un pays. Plus inquiétant, les entreprises exportatrices sont 364 000 en Allemagne, contre seulement 92 000 en France, l’Italie elle-même nous dépasse très largement. Le tissu de nos petites et moyennes entreprises et de nos entreprises de taille intermédiaire est trop faible, mais paradoxalement la France possède par ailleurs des champions industriels internationaux du CAC 40 dans les domaines de l’énergie, de l’aéronautique, des transports, du bâtiment, de la santé, du luxe, de l’agroalimentaire. Onze entreprises françaises figurent parmi les cent premières mondiales, ce qui place notre pays au premier rang européen. Quelles solutions pour dynamiser les petites et moyennes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire ? Déjà, ce projet de loi de finances rectificative crée une « banque de l’industrie », outil de financement et de garantie. Ferez-vous, monsieur le ministre, un effort en faveur des technologies de la « croissance verte » ? Dans un autre domaine, peut-on envisager une mise en place d’opérateurs boursiers qui leur seraient dédiés ? La réindustrialisation est à l’ordre du jour. Les pôles de compétitivité, fleurons régionaux alliant universités, écoles d’ingénieurs et entreprises ont la capacité de se développer à l’international. Comment la décupler ? Dans quelle mesure les régions peuvent-elles s’engager dans le renouveau industriel de leur territoire ? Ce projet de loi de finances rectificative se fait également justicier, en luttant contre la fraude et l’évasion fiscales par des sanctions accrues visant la dissimulation de comptes bancaires et de contrats d’assurance vie détenus à l’étranger. Plus redoutable, l’article 7 renforce les sanctions pénales en cas de fraude fiscale, pour la première fois depuis 1977, et aggrave ce délit lorsque des paradis fiscaux ou des États non coopératifs sont en cause. Une autre disposition d’équité financière est consacrée par l’article 2 : la très désirée taxe sur les transactions financières. Avec cette mesure nationale, la France joue le rôle de fer de lance pour inciter la présidence danoise de l’Union européenne à accélérer l’adoption du projet de taxe européenne, encore en négociation ; elle a reçu le soutien de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Belgique, de l’Espagne, de la Finlande, de la Grèce, de l’Italie et du Portugal. Cette taxe serait enfin une juste contribution du secteur financier au coût de la crise financière supporté par les États, et donc par les contribuables. Elle répondrait en partie au souhait de Vaclav Havel, pour qui « le marché ne peut exister qu’à condition qu’il repose sur une morale ». Notre commission des finances va plus loin dans la taxation de la spéculation, en adoptant les propositions de Mme le rapporteur général, soit ! Moraliser les marchés est une démarche « transpartisane ». Objet de nombreuses critiques et comparaisons, cette taxe sur les transactions financières aura au moins le mérite d’exister et de rapporter 1,1 milliard d’euros en année pleine. Elle a surtout le mérite d’enclencher une dynamique, qui ne fait en rien obstacle à la future taxe européenne sur les transactions financières. Notre pays s’engage très fortement en faveur de la stabilité financière des pays de la zone euro et de la solidarité européenne, d’une part, en relevant le plafond des prêts accordés au FMI à 31,41 milliards d’euros et, d’autre part, en prévoyant l’information du Parlement sur la mise en œuvre du Mécanisme européen de stabilité, organisation internationale pérenne avec des fonds propres de 80 milliards d’euros. La France, qui donne l’exemple, abonde ce fonds de 6,5 milliards d’euros, en avançant déjà le versement de la deuxième tranche. Nous en reparlerons la semaine prochaine, lors de l’examen du projet de loi autorisant la ratification du traité instaurant le Mécanisme européen de stabilité. La compétitivité, outil de croissance et objet de ce projet de loi de finances rectificative, n’est pas seulement comptable, elle est aussi, selon la définition donnée par l’Union européenne, « la capacité d’une nation à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale dans un environnement de qualité ». La clé, c’est l’innovation ! Or la France demeure timide en la matière. Le contraste est frappant avec les États-Unis, qui ont été pionniers en recherche et développement, en particulier dans les domaines de l’électronique et des biotechnologies. L’une des causes de notre situation réside dans notre effort très insuffisant en matière de recherche et développement, secteurs public et privé confondus. Il se monte seulement à 2,10 % du PIB pour la France. Notre pays se classe loin derrière l’Allemagne, qui dépose trois fois plus de brevets que lui, et derrière la Corée du Sud, les États-Unis, le Japon, la Suède et beaucoup trop d’autres. J’ajoute que le professeur de génétique Marc Fellous nous alerte, en dressant les conséquences désastreuses pour la recherche en biotechnologies végétales du nouveau moratoire sur la variété OGM de maïs Monsanto 810. Certes, ne jouons pas les apprentis sorciers, mais ne laissons pas non plus le principe de précaution voisiner avec l’obscurantisme et un recul économique ! Ainsi, conséquence inquiétante pour l’Europe, nous assistons à la délocalisation ou à la création d’activités nouvelles de recherche et développement à l’étranger : le « numéro un » mondial de la chimie, l’allemand BASF délocalise toutes ses activités de biotechnologies végétales aux États-Unis. Les investissements d’avenir sont bien sûr, aussi et surtout, l’investissement dans la formation, l’apprentissage, la formation en alternance pour les jeunes. Il convient, bien évidemment, de valoriser ces filières. Il est temps de remettre à l’honneur l’« intelligence de la main », comme l’avait fait le Président Giscard d’Estaing en son temps. La France n’est pas un pays d’industriels, mais d’ingénieurs. Le Président Pompidou affirmait que les Français n’aimaient pas l’industrie. Il forçait peut-être un peu le trait, mais les familles préfèrent encore trop souvent que leurs enfants travaillent dans l’administration plutôt que dans l’industrie : 300 000 à 500 000 emplois ne sont pas pourvus, c’est incompréhensible, donc inacceptable ! L’exemple allemand est, dans ce domaine, très pertinent : il est indispensable de mettre en adéquation la formation et les besoins de l’économie. Sachons donner aux jeunes l’envie de rejoindre l’industrie, comme Pierre Gattaz le fait si bien dans son livre Le printemps des magiciens – La révolution industrielle, c’est maintenant ! Les comparaisons avec l’Allemagne, notre principal partenaire, sont multiples et rarement à notre avantage. Pourtant, le modèle allemand n’est pas entièrement transposable et, si la comparaison est utile, elle doit rester prudente. Je proposerai donc deux autres exemples : l’Italie et la vigueur de ses districts industriels et technologiques, leur travail « en meute » ; la Suède, bien sûr, jadis État providence comparable au nôtre, qui a su révolutionner son système et choisir la solidarité plutôt que l’assistanat. Le monde a changé et, hélas ! il nous fait peur. Les Français sont très inquiets face à la mondialisation. Or tel n’est pas le cas des ressortissants des pays émergents, des Nord-Américains et de nombreux Européens, pour qui elle représente une chance. Comme eux, soyons créatifs. Inventons ! Osons saisir les opportunités ! Les Français ne sont certes pas prêts à intégrer la philosophie schumpétérienne de « destruction créatrice » comme les Suédois, qui sont conscients que des pans entiers de leur industrie seront un jour sinistrés et qui inventent déjà les filières d’avenir. Ils s’y préparent et y préparent leurs enfants, par l’éducation et la formation. Tel est le véritable investissement d’avenir : l’investissement dans l’humain. Je souscris aux propos de Jean-Paul Delevoye, qui en appelle à une « véritable révolution mentale et comportementale » des citoyens et des responsables politiques pour conduire le changement. En effet, comme l’a dit si justement Winston Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu’il ne nous prenne à la gorge » ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)