Les interventions en séance

Budget
21/11/2013

«Projet de loi de finances pour 2014 »

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pendant la première année du quinquennat, le Gouvernement a bâti sa politique sur l’axiome selon lequel la baisse de la dépense était plus récessive que l’augmentation des impôts. C’était peut-être vrai dans la vision, maintenant dépassée, d’une économie hexagonale ; ce ne l’est plus dans le cadre actuel de l’Union européenne, et encore moins dans celui de la mondialisation.
Aujourd’hui, les Français considèrent que, en matière d’impôts, trop, c’est trop, d’autant plus qu’ils constatent que la dette ne cesse d’augmenter. Le Premier ministre avait annoncé que seuls 10 % des Français seraient touchés par la hausse des impôts, mais tous nos concitoyens s’estiment frappés. Ils refusent donc tout nouvel impôt. Les sondages de popularité sont le reflet d’un désaveu absolu du pouvoir.
Si la situation n’était pas aussi grave, je dirais que le Premier ministre fait du Raymond Devos sans le savoir, affirmant sans rire que ce serait moins bien si c’était pire. M. le ministre de l’économie et des finances abuse de la méthode Coué et de propos incantatoires sur la confiance. Sa volonté d’optimisme serait louable si elle n’était inquiétante, tant elle est dépourvue de réalisme. En un an, les défaillances d’entreprises ont augmenté de 16,5 %. Monsieur le ministre, lisez les pages d’annonces légales des journaux locaux ; allez sur le terrain à la rencontre des artisans et des patrons de PME : ils vous feront part de leur malaise et de leur très grande inquiétude. Vous affirmez que le projet de loi de finances pour 2014 repose à 80 % sur les efforts faits dans le domaine des dépenses qui représentent 9 milliards d’euros d’économies. Mais telle n’est pas la réalité des chiffres. Les dépenses passeront en effet de 279,8 milliards d’euros en 2013 à 290,4 milliards d’euros en 2014 si l’on prend en compte – et il le faut – les 12 milliards d’euros du nouveau programme d’investissements d’avenir. Encore ces chiffres n’intègrent-ils pas les dettes et pensions. Vous annoncez une pression fiscale accrue de 3 milliards d’euros. Là encore, telle n’est pas la réalité des chiffres. La première partie de votre projet de loi de finances prévoit une augmentation très forte, avec 3,5 milliards d’euros d’impôt sur le revenu, 6 milliards d’euros de TVA et 2,5 milliards d’euros d’impôt sur les sociétés en plus, ainsi que différentes mesures de rendement budgétaire. Au total, cela représente entre 12,5 et 13,5 milliards d’euros d’impôts supplémentaires. Les collectivités territoriales doivent participer à l’effort général ; soit ! La dotation globale de fonctionnement, la DGF, est donc réduite de 1,5 milliard d’euros. Mais que l’État donne l’exemple ! Pour être juste et accepté, l’effort doit être partagé par tous. Les juges de paix de nos finances sont unanimes. La Cour des comptes, le Commissariat général à la stratégie et la prospective, ou encore le Conseil d’analyse économique nous alertent sur une situation très inquiétante et vous font des recommandations objectives et pragmatiques que vous vous entêtez à ignorer. Vous soulignez que le Haut Conseil des finances publiques a considéré que vos prévisions de croissance – 0,1 % pour 2013 et 0,9 % pour 2014 – étaient « plausibles ». Mais n’oubliez pas, si vous voulez être objectif, qu’il a jugé que vos prévisions d’emploi étaient optimistes : elles surestiment les cotisations sociales et les recettes de la contribution sociale généralisée, la CSG, et sous-estiment les dépenses d’assurance chômage. La Commission européenne a validé votre projet de loi de finances pour 2014. Ouf ! Mais elle vous avertit que « la politique fiscale en France a atteint les limites de l’acceptabilité ». N’ignorez pas ses mises en garde sur la fiscalité, l’emploi et l’échec de la formation professionnelle. Vous avez ratifié le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, qui prévoit une convergence et une coordination en matière fiscale. C’est très bien, car cette convergence et cette coordination sont indispensables, mais nous faisons le contraire. Où est la cohérence ? De plus, nous devons respecter notre signature. L’OCDE, qui exprime des réserves sur la compétitivité française, préconise une réforme de la fiscalité et du marché du travail, et relève, à propos de notre système fiscal, de « nombreuses distorsions et exemptions qu’il est impératif de rationaliser ». Les annonces contradictoires du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de l’économie et des finances déconcertaient ; maintenant, elles exaspèrent les Français. Le ministre de l’économie et des finances ayant parlé d’un « ras-le-bol fiscal », on espérait qu’il y mettrait fin. Il n’en est rien. La litanie est désespérément longue : recul sur la taxation à 15,5 % des produits d’épargne, la hausse étant finalement limitée à certains contrats d’assurance-vie ; suspension de l’écotaxe face à la fronde des Bonnets rouges ; revirements sur la TVA, qui constituent à eux seuls un roman-feuilleton. Mentionnons également la transformation par l’Assemblée nationale, à cause des protestations, de la taxe sur l’excédent brut d’exploitation en augmentation de l’impôt sur les sociétés, dont le taux pourrait désormais atteindre 38 %. C’est le taux le plus élevé de l’Union européenne, alors que les marges de nos entreprises sont les plus médiocres au sein de l’Union, puisqu’elles s’établissent à 28 %.
Louis Gallois a souligné que la rentabilité des entreprises françaises était la plus faible de l’Union européenne. Alors que le Royaume-Uni baisse le taux de l’impôt sur les sociétés jusqu’à 23 %, et que ce taux s’élève à 30 % en Allemagne et en Espagne, et à 31,4 % en Italie, la France taxe encore davantage les entreprises ! Elle va tuer toute leur capacité d’investissement ; l’investissement a d’ailleurs chuté de 0,6 % ce trimestre. Comment les entreprises pourraient-elles investir et devenir compétitives avec cette stérilisation fiscale ? Vous tuez tout potentiel de compétitivité !
Consternante, aberrante, stupide, la taxe à 75 % rapporterait peu et coûterait beaucoup en image et en renoncement à investir dans notre pays. Invalidée par le Conseil constitutionnel en raison de son caractère confiscatoire, elle a été non pas abandonnée, mais transférée sur les entreprises. C’est atterrant ! Qui aura envie de s’implanter en France ? Les investisseurs américains étaient 53 % à vouloir investir dans notre pays voilà deux ans ; ils ne sont plus guère que 16 % aujourd’hui. Je vous exhorte, comme j’exhortais déjà le précédent gouvernement, à prendre des mesures de bon sens, en faisant preuve de lucidité et de courage ; le nom de Pierre Bérégovoy me vient à l’esprit. Prenez exemple sur des pays comparables au nôtre qui, dans une situation analogue, ont réussi à redresser leurs comptes publics en tranchant dans les dépenses. La Suède, la Belgique, le Canada, ou encore la Nouvelle-Zélande l’ont fait. La Suède, dont le modèle d’État-providence n’a rien à envier au nôtre, a su se remettre en question et se réformer en profondeur, en adoptant une nouvelle vision du service public et un taux de TVA à 25 % afin de ne plus faire peser sur les seules entreprises le poids des cotisations sociales. Lisez la presse internationale : les journaux soulignent tous l’incohérence et l’absurdité de votre politique fiscale. Vous donnez une image désastreuse à l’extérieur de nos frontières, celle d’un pays arrogant et incapable de se remettre en question dans un contexte d’urgence, à cause d’un dogmatisme archaïque. Vous donnez également une image stérilisante à l’intérieur, celle d’un pays qui tue l’envie d’entreprendre et fait fuir ceux qui sont à l’origine de la création de richesses. Vous avez hérité d’une situation difficile, issue d’une crise terrible, mais aussi d’erreurs. Cependant, vous l’avez aggravée, alors que le contexte international s’est amélioré. Je rappelle que, en dix-huit mois, la dette a augmenté de 195 milliards d’euros.
Saisissez l’occasion des Assises de la fiscalité en 2014 pour opérer la réforme fiscale attendue, au lieu de vous en tenir à une isofiscalité à résultante nulle. Donnez aux Français de l’espoir et surtout de l’envie, car rien ne se fait sans envie. Mettez un terme à l’instabilité et à l’incertitude fiscales, afin d’éviter que l’inquiétude des Français ne se convertisse en angoisse et cette angoisse en révolte. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)