Les interventions en séance

Budget
21/11/2013

«Projet de loi de finances pour 2014»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de finances intervient dans un contexte dont chacun mesure la gravité, tant l’exaspération de nos concitoyens et de l’ensemble des acteurs économiques et sociaux est perceptible. Au-delà de l’Hexagone, nos partenaires européens commencent à douter de nous, comme si la France était devenue le maillon faible de la zone euro. Nous n’allons pas attendre 2017 pour sortir de la crise ! C’est dire si nous avons le devoir de tenter de convaincre le Gouvernement et la majorité qui le soutient encore à l’Assemblée nationale, à défaut de celle du Sénat, de rectifier ses options, son discours et son action, sans pour autant demander l’illusoire « remise à plat » de notre modèle de prélèvements obligatoires. En préambule, je voudrais vous demander, monsieur le ministre, de mettre un terme à l’invocation de l’héritage laissé par les gouvernements qui ont précédé le vôtre, d’abord parce que vous êtes au pouvoir depuis maintenant dix-huit mois, ensuite parce que, si la rhétorique est bien conforme à la tradition de gauche, les procédés et les dérives n’ont pas changé. Depuis l’élection de François Hollande, la dette publique a progressé d’au moins 150 milliards d’euros, sans doute de près de 200 milliards d’euros si l’on tient compte des prêts, des avances et des dotations au capital de telle ou telle institution européenne. Par ailleurs, les astuces cosmétiques n’ont rien perdu de leur hardiesse. Il en est ainsi des investissements « d’avenir », qui représentent 12 milliards d’euros venant en complément des 50 milliards d’euros votés en 2010. Convenons que c’est une manière de reporter à plus tard les arbitrages budgétaires douloureux. Dans le même registre, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou CICE, permet aux entreprises de constater au 31 décembre 2013 une créance sur l’État de 10 milliards d’euros, alors que nous chercherons en vain, dans les comptes de ce dernier, l’inscription de cette dette. Pourtant, au 31 décembre 2014, la dette en question atteindra 20 milliards d’euros. Voilà une façon de différer la constatation des charges dans les comptes publics ! Ces petits arrangements permettent de maintenir l’illusion et d’ajourner les réformes structurelles politiquement redoutées. Dans le même ordre d’idées, vous nous annoncez, monsieur le ministre, que les dépenses publiques vont baisser de 15 milliards d’euros, alors qu’elles continuent à progresser en valeur absolue. Oserai-je dire : gauche, droite, mêmes aveuglements ! Je déplore que vous n’ayez pas pris, pour sortir du brouillard ambiant, l’initiative à laquelle le gouvernement précédent, en dépit des recommandations de la commission des finances du Sénat, avait renoncé ; je veux parler de la présentation d’un projet général agrégeant le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances, qui nous permettrait d’avoir une vision globale de l’ensemble des ressources et des dépenses publiques et nous épargnerait de devoir discuter à deux reprises, séparément, des prélèvements obligatoires, avec toutes les incohérences et contradictions que cela peut comporter.
Quelle cohérence y a-t-il à débattre de la sorte ? Je n’en vois malheureusement guère, en dépit de la gravité de la situation. Est-ce pour mieux dissimuler l’effet « matraquage fiscal » contre lequel M. Moscovici a mis le Gouvernement en garde ? Bref, les joutes oratoires et le déni de réalité sont devenus indécents. L’État-providence est en faillite et notre responsabilité est collective. Sortons donc des sentiers battus pour redonner à notre économie sa compétitivité et assainir nos finances publiques, hypothéquées par le poids d’une dette qui ne cesse de s’amplifier ! Ce sont bien là les deux priorités que nous devons assumer avec courage. Nous y parviendrons d’autant mieux que nous ferons taire nos clivages partisans. La vie des entreprises françaises est menacée. Les fermetures d’usines, les plans sociaux, les délocalisations, la désindustrialisation, le détachement de travailleurs venus des pays de l’est de l’Union européenne sont autant d’éléments qui alimentent une sombre chronique et semblent dessiner un déclin programmé. Pour enrayer le processus, le Gouvernement croit trouver la réponse en facilitant le financement des entreprises au travers de la Banque publique d’investissement. Cette banque serait donc la clé du redressement… S’il est vrai que le crédit bancaire fait trop souvent défaut, notamment lorsque l’entreprise traverse un cap difficile, le problème majeur est, non pas la difficulté de financement, mais l’absence de rentabilité. Je ne connais pas d’entreprise rentable qui n’ait trouvé les financements dont elle avait besoin. Or, depuis vingt ans, les marges des entreprises n’ont cessé de baisser et, parmi les 17 pays de la zone euro, c’est en France qu’elles sont le plus faibles, ce qui compromet l’investissement et la création d’emplois. À un moment donné, la majorité a imaginé instaurer un impôt sur l’excédent brut d’exploitation. C’était, à la vérité, un mécanisme infaillible pour comprimer un peu plus les marges des entreprises ! Le Gouvernement y a renoncé, mais, ce faisant, il s’est aussi montré indécis et a renforcé l’impression d’instabilité qui est attachée à notre politique fiscale. La loi de finances est bien le cadre approprié pour réformer notre fiscalité. Je reconnais, monsieur le ministre, que vous avez fait un premier pas avec le CICE. Vous avez certes tiré les conséquences du rapport de Louis Gallois, mais, comme lui, vous restez dans la demi-mesure, comme si nous n’avions rien compris aux défis de la mondialisation, aux enjeux de la compétitivité. J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer publiquement mes compliments au gouvernement de Jean-Marc Ayrault pour l’institution du CICE, et ce malgré les critiques que je viens de formuler au regard de la sincérité budgétaire. La création du CICE est d’autant plus courageuse de votre part que vous vous étiez empressés, chers collègues socialistes, d’abroger la TVA sociale votée, il est vrai trop tard et pour si peu, par la majorité précédente. En effet, le CICE fait tomber deux tabous de gauche : d’une part, il est reconnu que les charges sociales pèsent sur la compétitivité des entreprises ; d’autre part, l’augmentation du taux de la TVA n’est plus considérée comme une voie interdite. Si nous taxons la production ici, en France, la production s’exilera là où les charges sont moindres. Or le phénomène s’accélère depuis trente ans : on privilégie la consommation à bon marché au détriment de la production et de l’emploi. Comment pouvons-nous hésiter encore, mes chers collègues ? Faut-il rappeler que la France surtaxe massivement le travail, c’est-à-dire les coûts de production ? Les chiffres sont éloquents : les charges sociales représentent, en France, 42 % du total des prélèvements obligatoires, alors que le taux moyen s’élève à 35 % dans la zone euro et à 27 % parmi les pays de l’OCDE ; inversement, c’est en France, où l’on taxe massivement le travail, que la consommation subit la taxation la moins lourde, son produit représentant le quart de nos prélèvements obligatoires, contre 33 % au sein de l’OCDE. Dès lors, taxons les produits pour compenser l’allégement des charges sociales et préserver le financement de notre système de protection sociale ! Nos diagnostics convergent, monsieur le ministre. C’est un acquis important dont je me réjouis. Mais alors, si nous estimons notre vision fondée, allons jusqu’au bout de la démarche et réduisons de 50 milliards d’euros, au moins, les contributions payées par les employeurs. En outre, puisque vous proclamez votre volonté de simplification, supprimez donc les cotisations d’allocations familiales et allégez celles qui sont relatives à l’assurance maladie. Passer par le CICE, c’est évidemment choisir la complexité, tout en optant pour une commodité budgétaire vous permettant de décaler d’un an la constatation de cet allégement de charges. Allons plutôt vers la clarté et la simplicité ! Osez assumer votre choix et porter clairement le débat devant les Français ! Soyez pédagogue et expliquez que c’est ainsi que nous lutterons contre le chômage et redonnerons du souffle à la croissance ! Croyez bien que nous serons à vos côtés lorsque vous porterez ce message. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.) Si, comme je le souhaite, nous débattions simultanément du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale, je n’aurais pas manqué de vous soumettre un amendement en ce sens et de proposer une « TVA sociale », ou « TVA emploi » ou « TVA anti-délocalisation », qu’importe son nom ! Un tel amendement n’est malheureusement pas recevable dans le cadre formel de l’exercice auquel nous nous livrons, l’allégement des charges sociales ne pouvant être voté qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et le supplément compensatoire de TVA ne pouvant l’être que dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances. Dans l’immédiat, subsiste une difficulté pour les commerçants, artisans, agriculteurs et personnes exerçant une profession libérale qui travaillent dans le cadre d’une entreprise individuelle. Ces professionnels vont devoir appliquer des taux de TVA plus élevés sans bénéficier, corrélativement, d’un allégement du coût de leur travail, constitué, pour l’essentiel, de la rémunération du chef d’entreprise et des charges afférentes. Dans ces conditions, il me paraîtrait équitable que l’on crée un « crédit d’impôt pour la compétitivité des professions indépendantes », afin que ces entreprises qui n’ont pas de salariés, ou en ont très peu, aient droit, elles aussi, à un allégement de leurs charges. C’est une mesure de justice !
Nous proposerons donc un amendement en ce sens, et j’espère que le Sénat le soutiendra.
Avant de conclure, je souhaite évoquer une autre priorité : l’assainissement de nos finances publiques. L’obligation de réduire nos déficits ne résulte pas seulement de nos engagements européens. Sans l’Europe, nous aurions été bien plus rapidement appelés à réduire nos déficits. Monsieur le ministre, j’espère que vous avez bien mesuré les limites du « matraquage fiscal ». Vient un moment où la hausse des barèmes réduit les ressources. La seule issue est évidemment la réduction de nos dépenses publiques. Il nous faudra, tous ensemble, beaucoup de courage pour y parvenir, ne serait-ce qu’en remettant en cause les 35 heures dans la sphère publique. À cet égard, monsieur le ministre, lorsque vous étiez ministre des affaires européennes, vous avez participé aux négociations visant à réduire les frais administratifs de la Commission européenne et des institutions européennes et soutenu la proposition de porter non seulement les horaires de travail des fonctionnaires européens de 37,5 heures à 40 heures, mais aussi l’âge de départ à la retraite de 63 ans à 65 ans.
Dès lors que vous êtes favorable à ce dispositif à l’échelon européen, sans doute vous faut-il vous interroger sur l’opportunité de l’introduire à l’échelon national.
Chacun ici est conscient que l’heure est grave. Cessons de tergiverser et de gesticuler vainement. Allons à l’essentiel et osons cette réforme d’ampleur pour retrouver la compétitivité. Ce texte, que les députés viennent d’adopter, ne répond pas à nos attentes. Il n’améliore pas la compétitivité par le basculement des cotisations sociales vers une taxation de la consommation, il ne prévoit pas de réductions effectives des dépenses publiques et laisse filer la hausse des prélèvements obligatoires. En conséquence, le groupe UDI-UC ne pourra voter le projet de loi de finances pour 2014. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)