Les interventions en séance

Economie et finances
Jean-Marie Vanlerenberghe 21/02/2014

«Proposition de loi visant à reconquérir l’économie réelle»

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tôt ce matin, nous avons adopté le très important projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Malheureusement, cette proposition de loi ne connaîtra pas le même sort. (M. Jean Desessard feint de s’en étonner.) Eh oui, mon cher collègue : on ne peut pas toujours être gentil ! En vérité, il y a des raisons à cette situation : la proposition de loi n’ayant fondamentalement pas été changée, notre position n’évoluera pas davantage. Nous ne sommes pas hostiles à l’information du comité d’entreprise, mais nous doutons de l’efficacité du dispositif prévu. Monsieur le ministre, permettez-moi, à cet égard, de mentionner un fait. La semaine dernière, votre collègue M. Montebourg a visité une entreprise du Pas-de-Calais qui est en difficulté et qui a annoncé vouloir fermer l’une de ses lignes de production : elle appartient à un papetier finlandais bien connu, Stora Enso, qui estime devoir la fermer en raison d’une surproduction mondiale. Sur place, M. Montebourg a annoncé qu’il y avait trois repreneurs, mais il n’a évidemment pas communiqué leurs noms. Monsieur le ministre, je vous le demande : à quoi sert-il de faire croire aux comités d’entreprise qu’ils pourront être informés et associés si les noms des repreneurs potentiels sont tenus secrets dans le but, que je comprends, de favoriser la négociation ? En vérité, j’ai l’impression qu’on tape à côté, qu’on est dans l’irréel alors qu’on parle d’économie réelle ! Non seulement, comme Mme la rapporteur vient de l’indiquer, l’Assemblée nationale a maintenu les grandes lignes de la proposition de loi, mais la nouvelle mouture de celle-ci semble même en retrait par rapport à celle que le Sénat avait adoptée. Si nous désapprouvions le dispositif proposé, nous avons eu à cœur de le sécuriser davantage ; notre collègue Hervé Marseille, en particulier, s’y est employé. Malheureusement, nos collègues députés sont revenus sur les principales avancées adoptées par la Haute Assemblée en matière de sécurité juridique. C’est ainsi qu’ils n’ont pas maintenu le seuil de cinquante salariés requis pour définir les établissements devant entrer dans le cadre de la procédure de recherche de repreneur. Ils n’ont pas non plus exclu du dispositif les entreprises soumises à une procédure de conciliation ou de sauvegarde. Il y a plus grave encore à nos yeux. Alors qu’il était crucial de mieux définir dans le texte la notion fondamentale de « refus légitime de l’employeur », l’Assemblée nationale n’a retenu qu’un seul cas de refus légitime : la mise en péril de l’activité de l’entreprise, par trop restrictive. Quant à la notion, tout aussi fondamentale, d’« offre sérieuse de reprise », le groupe UDI-UC avait déposé un amendement reprenant l’une des plus importantes recommandations du Conseil d’État au sujet de la proposition de loi. Nous proposions d’apprécier le caractère sérieux de l’offre de reprise au regard, d’une part, de la garantie de la préservation de l’activité et de l’emploi dans l’établissement et, d’autre part, de la capacité de paiement du prix de cession. Le Sénat avait au moins fini par adopter ce dernier critère, mais l’Assemblée nationale l’a malheureusement supprimé. Mme la rapporteur a déposé un amendement tendant à le réintroduire dans la proposition de loi. Nous le voterons bien entendu et nous remercions notre collègue de l’avoir présenté. Toujours est-il que, indépendamment de ces questions de sécurité juridique, nous ne saurions fondamentalement souscrire à un texte dont la philosophie est aux antipodes de la politique qui nous semble devoir s’imposer. En effet, la proposition de loi vise à administrer, à imposer et à sanctionner, plutôt qu’à relever le véritable défi : celui de la compétitivité. Pour tout dire, cette proposition de loi comporte une très forte dimension politique et anachronique – monsieur le ministre, vous le savez bien ! De fait, chacun sait qu’elle est destinée à concrétiser un engagement de campagne du président Hollande. Par ailleurs, elle semble exhumée d’un autre temps : celui d’avant le revirement social-libéral du Président de la République. Du reste, c’est la raison du malaise, très compréhensible, des promoteurs du texte. C’est aussi la raison pour laquelle on a choisi de passer par une proposition de loi, ce qui permet de contourner la double obligation de consulter les partenaires sociaux et de fournir une étude d’impact. Or cette dernière lacune est majeure à mes yeux. En l’absence d’étude d’impact, il est absolument impossible de savoir si le dispositif proposé est effectivement susceptible de maintenir l’activité sur un certain nombre de sites. En particulier, l’issue de l’affaire Mittal aurait-elle été plus favorable qu’elle ne l’a été si la proposition de loi avait été en vigueur ? Même dans l’affirmative, combien de sites et d’emplois pourraient encore être concernés ? A contrario, les nouvelles obligations et sanctions n’auront-elles pas sur l’économie des conséquences négatives bien plus importantes que les éventuels effets bénéfiques de la proposition de loi ? Telles sont évidemment les questions centrales. Or elles demeurent sans réponse ! Face à ce vide, on ne peut que s’interroger sur le caractère avant tout publicitaire et idéologique de la proposition de loi. Au demeurant, cette dernière se borne à renforcer les dispositions du code du travail qui imposent déjà la recherche d’un repreneur en cas de licenciement collectif ayant pour conséquence la fermeture d’un établissement. Mes chers collègues, vous constatez qu’on est bien loin du choc de simplification et du choc de compétitivité dont l’évocation devient chaque année un peu plus incantatoire. En réalité, nous n’éviterons pas les Florange de demain en obligeant et en sanctionnant – l’économie ne fonctionne pas ainsi –, mais en gagnant en compétitivité. Parce que les emplois les moins qualifiés sont ceux qui résistent le moins à la concurrence internationale, en raison de leur poids fiscalo-social trop élevé, il est urgent de reporter les charges pesant sur la production vers la consommation. Cette politique aurait de surcroît l’avantage de frapper les produits d’importation. Nous espérions que la conversion sociale-libérale du Président de la République le conduirait à adopter cette solution de bon sens : hélas ! cette proposition de loi nous conduit à en douter. Monsieur le ministre, la défense de l’emploi mérite certainement d’autres solutions, et je suis sûr que vous en êtes convaincu ! (Mme Catherine Procaccia applaudit.)