Les interventions en séance

Collectivités territoriales
20/01/2010

«Projet de loi de réforme des collectivités territoriales»

M. Nicolas About

Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Constitution, modifiée par la réforme de 2003, prévoit en son article 24 que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ». Dans la logique de cette mission, l’article 39 souligne que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ». En observant le titre et le contenu du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, je ne peux m’empêcher d’être perplexe : cette réforme est sans doute le texte consubstantiel à notre mandat de représentants des collectivités, et les sénateurs de l’opposition souhaiteraient que l’on s’en dessaisisse pour un référendum ? Monsieur Bel, Madame Borvo Cohen-Seat, chers collègues de l’opposition, votre motion référendaire sur le projet de loi est un acte solennel prévu par la Constitution, qui connaît d’ailleurs des précédents. Je trouve simplement assez déplacé de l’utiliser précisément sur ce texte relatif aux collectivités territoriales, alors même que la norme suprême nous confie la mission de représenter les collectivités territoriales. Pour autant, je voudrais au moins tenter de comprendre l’opportunité de votre motion, et le fondement de votre démarche. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Peut-être voyez-vous dans la motion référendaire une opportunité politique. Cette opportunité pouvait se comprendre pour le projet de loi portant changement de statut de La Poste, alors que la votation citoyenne avait déjà déformé la question de l’ouverture du capital à l’État et la caisse des dépôts en une formule bien plus simple et populaire : « Êtes-vous pour ou contre la privatisation de La Poste ? ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Cette fois, il n’y a pas eu de manœuvre fallacieuse de ce type, qui aurait pu consister à recueillir l’avis de l’opinion publique sur une question du genre : « Êtes-vous pour ou contre la suppression des collectivités territoriales ? ». (Mêmes mouvements.) Vous n’avez pas osé tout de même ! En fait, le sujet de la réforme des collectivités locales recueille une opinion plutôt favorable auprès du public, notamment les sujets relatifs à la simplification du « mille-feuille territorial ». Je ne peux donc me résoudre à croire que cette motion, quitte à aller à l’encontre de l’esprit même de la Constitution, découlerait d’un quelconque opportunisme politique. Le référendum serait-il alors l’expression de l’abdication des parlementaires de gauche sur le sujet de l’évolution de l’organisation des collectivités territoriales ? Je ne le pense pas non plus. La gauche fut au contraire – et je veux croire qu’il en est encore ainsi – un bâtisseur de la décentralisation, avec les lois Deferre de 1982 et 1983. La gauche avait marqué un bel essai en créant les établissements publics régionaux. Elle l’avait même transformé en faisant des régions des collectivités territoriales quelques années après. La gauche est l’instigatrice de grandes réformes de l’intercommunalité, avec la loi relative à l’administration territoriale de la République, ou loi ATR, de 1992 et la loi Chevènement de 1999. Un an après, le Premier ministre Lionel Jospin défendait, dans le cadre des orientations pour une nouvelle étape de la décentralisation, l’élection des délégués communautaires au suffrage universel. Monsieur Mauroy, vous disiez hier vouloir aller de l’avant et non reculer. Vous affirmiez : « Nous participerons au débat avec la conviction et l’ardeur qui nous animaient en 1981. » Alors, pourquoi cette motion aujourd’hui ? Pourquoi vouloir un référendum ? Pourquoi sacrifier une question aussi complexe que celle qui nous est présentée dans ces trente-neuf articles à une réponse aussi manichéenne que le « pour ou contre » que nous impose le référendum ? Le tableau français de la réforme des collectivités locales mérite une gamme de nuances un peu plus diversifiée. La troisième justification possible à votre motion pourrait être la suivante : peut-être nos concitoyens seraient-ils plus légitimes que le Sénat et l’Assemblée nationale pour se prononcer sur le sujet particulier de la réforme des collectivités locales. Vous semblez convaincus, en soulignant dans la motion que « le Gouvernement entreprend une profonde réorganisation administrative locale qui soulève des questions fondamentales, constitutionnelles et politiques, que seul le peuple souverain doit trancher ». Madame Borvo Cohen-Seat, je suis troublé par une telle méconnaissance de notre système. Je ne crois pas une seule seconde à votre argument, pour deux raisons chères à notre tradition démocratique. D’une part, et c’était là mon premier propos, c’est aller contre l’esprit et la lettre de la Constitution que de vouloir dessaisir le Sénat de ce débat. Faisons au moins honneur à la Constitution, qui fait de notre chambre le représentant des collectivités locales ! Qui mieux que le Sénat, composé d’une très grande majorité d’élus locaux, peut se prononcer sur ce texte ? La création des conseillers territoriaux, l’organisation des collectivités, la création des métropoles, la démocratie locale avec l’élection au suffrage universel direct des délégués communautaires méritent, au contraire, toute notre attention et une approche constructive. C’est l’avenir de nos territoires qui se joue. Et vous souhaiteriez vous en défausser ? D’autre part, j’estime que le recours au référendum doit rester une procédure législative exceptionnelle. Elle est exceptionnelle, avant tout parce que notre tradition républicaine est fondée sur la démocratie représentative, qui fait que nous, parlementaires, avons la légitimité et la responsabilité de proposer, discuter, amender et voter la loi, tout simplement. Votre velléité de démocratie populaire (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste) n’est donc pas crédible, et me semble plutôt ne constituer qu’une triste échappatoire à des débats pourtant fondamentaux. Je n’ose même pas penser qu’il s’agirait là d’une manœuvre d’obstruction parlementaire. Je ne me permettrai pas, bien sûr, ce procès d’intention. Mes chers collègues, bien sûr, les membres du groupe de l’Union centriste, comme beaucoup de sénateurs de la majorité et de l’opposition, ont des réticences (Rires sur les travées du groupe socialiste), et non des moindres, sur un certain nombre de sujets. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Mais oui, mes chers collègues ! Mais notre groupe a aussi, et peut-être à la différence de vous, des propositions à soumettre. (Nouvelles exclamations et rires sur les mêmes travées.) Nous voulons, et cela ne semble pas être votre cas, le débat parlementaire. Et nous l’espérons serein et constructif et nous souhaitons qu’il s’instaure le plus vite possible au sein de cet hémicycle. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous rejetons catégoriquement la motion référendaire qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)