Les interventions en séance

Budget
Vincent Delahaye 19/12/2012

«Projet de loi de finances rectificative pour 2012»

M. Vincent Delahaye

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous n’allons bien sûr pas revenir sur tous les points que nous avons abordés lors de la première lecture. J’ai expliqué ici même, il y a quelques jours, les raisons pour lesquelles nous ne pouvions pas accepter ce projet de loi de finances rectificative. J’ai personnellement insisté sur l’aberration que représente l’ouverture d’autorisations d’engagement à hauteur de 900 millions d’euros pour l’immobilier des ministères en plein cœur de Paris et à La Défense ! Ne serait-ce que pour cette raison, ce texte mérite d’être repoussé. Je souhaite maintenant revenir sur le dispositif extrêmement complexe, coûteux et aux effets douteux qui nous est proposé pour relancer la compétitivité de nos entreprises. Je ne prétendrai pas que le programme du candidat Hollande soit mon livre de chevet… (Sourires.) Mais, pour un certain nombre de nos collègues, il s’agit manifestement d’une référence permanente, d’une sorte de bible justifiant toutes les mesures présentées depuis quelques semaines. Je me suis donc replongé dans ce programme pour préparer le débat d’aujourd’hui. Il est intéressant, en effet, de revenir aux sources d’inspiration de la politique conduite depuis six mois, et de redécouvrir que le mot « compétitivité » n’y figure qu’une seule fois. J’ai eu beau lire et relire ce document, je n’y ai trouvé qu’une seule occurrence du terme qui recouvre le principal problème de notre pays. De plus, figurez-vous que ce mot a été employé non pas pour affirmer que l’amélioration de la compétitivité devait être une priorité, alors que la crise a commencé en 2008, qu’elle ne cesse de prendre de l’ampleur et que personne ne pouvait l’ignorer, surtout pas un candidat à la Présidence de la République, mais seulement pour encourager les exécutifs régionaux à prendre des participations dans des entreprises ! Le problème majeur rencontré par notre économie n’était clairement pas une priorité pour le Président et son gouvernement il y a encore six mois ! Il est vrai qu’une rupture est survenue en la matière, comme vous l’avez déclaré ici, monsieur le ministre, lors de votre première intervention sur le projet de loi de finances rectificative. C’est déjà, en soi, une bonne nouvelle… La lecture du programme du candidat François Hollande m’a également permis de retrouver les hypothèses de croissance qui étaient censées rendre crédible votre projet de dépenser plus. Ce n’est pas une surprise, l’optimisme électoral était plus grand encore que l’optimisme gouvernemental : le candidat Hollande prévoyait 0,5 % de croissance pour 2012, 1,7 % pour 2013 puis de 2 % à 2,5 % chaque année jusqu’en 2017… En six mois, que de retournements, que de conversions, que de ruptures ! Le problème de compétitivité est devenu une vérité révélée, une urgence absolue, alors même que, en juillet dernier, lors des débats sur les premières mesures de ce gouvernement, toute allusion à cette réalité était balayée d’un revers de main… et de loi ! Autre révélation assénée chaque matin par tout ministre se trouvant devant un micro : la crise est là, une crise épouvantable, insoutenable ! Cette même crise, en mai, n’était qu’une excuse du candidat d’en face pour justifier ses mauvais résultats… La croissance atteindra donc, en réalité, au mieux 0,3 % en 2012 et en 2013, soit bien moins que le 1,7 % escompté… Je vous le dis à nouveau – mais vous faites encore semblant de ne pas y croire –, les taux de croissance, de 2014 à 2017, ne seront pas ceux que vous espérez ! C’est pourquoi nous vous invitons à opérer une ultime conversion, qui manque encore cruellement pour que votre politique soit à la mesure de la situation et de la crise : dites-nous quelles réformes structurelles vous comptez mener pour réduire le train de vie de l’État. Jusqu’à présent, vous n’avez pris que des mesures cosmétiques. Comme l’a justement rappelé M. Arthuis dans cet hémicycle, il va falloir oser : oser réduire nos dépenses, pour rendre les services publics plus efficaces et moins coûteux ! Il faut montrer à ceux qui en doutent, notamment à gauche de cet hémicycle, que cela est possible, et pas seulement à l’étranger. En fondant l’équilibre du projet de loi de finances pour 2013 sur des taxes nouvelles pour les deux tiers et sur de prétendus efforts de limitation des dépenses pour seulement un tiers, vous avez envoyé un premier mauvais message. Et encore avez-vous fait passer pour une réduction ce qui était plutôt une absence d’augmentation, une stabilité du total des dépenses de l’État. La semaine dernière, le recours à une nouvelle augmentation de la contribution à l’audiovisuel public, qui atteindra 5 % l’an prochain, excusez du peu, a été préféré à un effort de réduction des dépenses du groupe France Télévisions. Ainsi, contre toute logique budgétaire et économique, vous continuez à avoir les taxes et les dépenses faciles, quand il faudrait réduire les unes et les autres. Contrairement à ce que vous annoncez, les taxes pèsent sur tous les Français et les démotivent, tandis que les accroissements de dépenses ne soutiennent pas la croissance, mais la mettent au contraire en danger. Peut-être la modernisation de l’action publique, qui vient remplacer feue la RGPP, est-elle le signe que s’amorce cette autre conversion ; nous verrons bien ! Mais ce projet de loi de finances rectificative est surtout marqué par l’introduction du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, via l’adoption de deux amendements. Je ne reviendrai pas sur la forme : elle est choquante, nous l’avons dit, et constitue l’aveu de votre brutale conversion, ainsi que d’une grande précipitation. Or la précipitation conduit à prendre de mauvaises décisions, monsieur le ministre ! Lors de nos débats de la semaine dernière, nous vous avons suggéré des pistes pour corriger le tir : aller plus loin pour provoquer un vrai choc de compétitivité, tel que préconisé par le rapport Gallois et à demi réalisé au travers de vos propositions. Vous donnez d’une main aux entreprises 20 milliards d’euros, alors que, de l’autre, vous leur en avez pris 10 le mois précédent : c’est trop peu pour encourager quoi que ce soit ! Au cours des débats dans cet hémicycle, vous avez également été engagé à financer autrement vos mesures : augmenter les taux intermédiaires de TVA, lesquels, par définition, ne concernent pas les produits importés, est contreproductif. Nous vous demandons de revenir sur cette décision et de relever dans une mesure plus importante le taux normal. Le Gouvernement, qui se flatte d’écouter davantage le Parlement, serait bien inspiré d’amender son projet dans ce sens. C’est la voie du bon sens et de l’efficacité. À défaut, je crains que nous ne nous retrouvions dans six mois pour assister à de nouvelles conversions, monsieur le ministre… Si votre volonté de réduire les dépenses publiques est réelle, nous serons à vos côtés, avec courage et sans démagogie, pour soutenir vos efforts. Si, en revanche, vos annonces restent sans lendemain et si vos propositions ne sont que poudre aux yeux, vous pouvez comptez sur nous pour le faire savoir haut et fort ! En conclusion, je dirai, pour paraphraser Sénèque, que si les temps sont difficiles, c’est parce que nous n’osons pas assez. Nous n’osons pas assez engager les réformes de structures qui réduiront nos dépenses ; nous n’osons pas assez créer un véritable choc de compétitivité ; nous n’osons pas assez mettre à contribution les produits importés ! Monsieur le ministre, mes chers collègues, il est grand temps, pour le bien de la France et des Français, de prendre des mesures beaucoup plus audacieuses que celles qui nous sont présentées dans ce projet de loi de finances rectificative que, bien sûr, nous ne voterons pas. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)