Les interventions en séance

Droit et réglementations
François Zocchetto 19/12/2011

«Proposition de résolution tendant à modifier le règlement du Sénat afin de renforcer le pluralisme et l՚action du Sénat en matière de développement durable»

M. François Zocchetto

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, « renforcer le pluralisme et l’action du Sénat en matière de développement durable » : quoi de plus louable ? Si la proposition de modification du règlement de notre assemblée avait une chance d’atteindre cet objectif, soyez persuadés que le groupe de l’Union centriste et républicaine soutiendrait naturellement et massivement cette initiative. Toutefois, si séduisant que soit son intitulé, cette proposition de résolution n’atteindra pas son objectif. Et je vais, mes chers collègues, tenter de vous en convaincre. (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste-EELV et du groupe CRC.) Pour apprécier la nature de cette proposition de résolution, il est intéressant de repenser à la dernière réforme importante de notre règlement, issue de la proposition de résolution présentée par Gérard Larcher, alors président du Sénat. Ceux qui siégeaient déjà ici à l’époque s’en souviennent, ce texte reprenait pour l’essentiel les conclusions du groupe de travail sur la révision constitutionnelle et la réforme du règlement, présidé par Gérard Larcher. Ce groupe, dont MM. Bernard Frimat – il a depuis été promu à d’autres responsabilités… – et Jean-Jacques Hyest étaient les rapporteurs, avait, au fil des réunions, su travailler dans un esprit de dialogue et de concertation. La réforme que l’on avait proposée alors, même si elle n’était sans doute pas parfaite, résultait d’un vrai consensus et avait permis d’améliorer sensiblement les méthodes de travail du Sénat. Cette fois-ci, point de groupe de travail ! Et une concertation bien rapide, plus formelle qu’autre chose ! Les changements que l’on nous propose aujourd’hui ne sont pourtant pas minces ! Ils sont même plus importants que ceux que nous avions décidés sur la base des conclusions du groupe de travail que je viens d’évoquer. En effet, il s’agit d’augmenter le nombre de groupes politiques composant notre assemblée et de créer une nouvelle commission permanente. J’évoquerai d’abord l’abaissement du seuil pour la constitution d’un groupe. Autant dire les choses clairement : chacun a bien compris qui en sera le bénéficiaire puisque – c’est assez inhabituel – il est précisément mentionné par l’exposé des motifs de la proposition de résolution ! Il s’agit bien évidemment de nos collègues écologistes, que je salue. On comprend parfaitement la négociation qui a eu lieu entre les partenaires de la nouvelle majorité sénatoriale : elle a commencé, chacun s’en souvient, dans la semaine qui a précédé l’élection du nouveau président du Sénat. Il n’est pas difficile de deviner les arguments avancés alors par nos collègues d’Europe Écologie-Les Verts à ce moment crucial ! Vous avez dû dire en substance : « Nous sommes dix sénateurs ; chacune de nos voix comptera pour l’élection du nouveau président ; donc, en contrepartie de notre soutien, nous souhaitons l’abaissement du seuil pour constituer un groupe parlementaire afin d’avoir un groupe autonome. » Est-ce que je me trompe ? (Rires sur les travées de l’UMP. – MM. Jean Desessard et Jean-Vincent Placé s’exclament.) Ces éléments méritaient d’être rappelés. Ils permettent de mieux comprendre la finalité du texte qui nous est proposé aujourd’hui. Il s’agit, ni plus ni moins, de traduire dans notre règlement un accord politique conclu par les nouvelles composantes de la majorité enfin, par certaines de ses composantes, car j’ai cru comprendre que des sénateurs de la majorité n’étaient pas forcément d’accord avec cette proposition. Mais cet accord politique nous poserait sans doute moins de problèmes s’il n’avait pas, comme nous le pensons, des conséquences préjudiciables pour le Sénat. J’évoquerai la principale d’entre elles : dans un contexte de crise, je vois mal comment, contrairement à ce qu’on nous annonce, l’abaissement du seuil pour constituer un groupe pourrait se faire à coût constant. Il va falloir nous expliquer ! Et la question du coût se pose avec encore plus d’acuité pour l’article 2 de la proposition de résolution, qui vise à créer une nouvelle commission permanente en charge du développement durable et de l’aménagement du territoire. Là encore, on nous annonce que cette modification se fera à coût constant. Nous sommes plusieurs à en douter ! Comment, en effet, ces changements n’engendreraient-ils aucun surcoût, ne serait-ce qu’au regard des moyens humains dont disposera nécessairement désormais chacune des deux commissions ? Plus fondamentalement, la nouvelle commission que vous nous proposez de créer nous pose un problème de fond, qui se rapporte à la manière même d’appréhender les questions environnementales. La logique que nous avons quasiment tous défendue jusqu’à maintenant était simple : elle consistait à intégrer les préoccupations environnementales dans l’ensemble des problématiques économiques et d’aménagement du territoire. Autrement dit, « renforcer l’action du Sénat en matière de développement durable », comme l’annonce l’intitulé de la proposition de résolution, impliquait, précisément, de ne pas séparer l’environnement de l’économie. Quel incroyable retour en arrière ! C’est pourtant ce que nous propose la majorité, qui présente comme un progrès ce qui constitue, pour notre groupe, un recul important. Mon collègue Daniel Dubois, vice-président de la commission de l’économie, développera tout à l’heure l’ensemble des arguments qui militent en faveur du maintien de la répartition actuelle des commissions permanentes. Mes chers collègues, je tiens à ce que notre démarche soit bien comprise : nous ne sommes pas dans une posture d’opposition de principe aux modifications qui nous sont proposées. Cela n’aurait pas de sens, dans la mesure où il est de l’intérêt de chacun des membres du Sénat que le règlement soit le plus efficace et le plus rationnel possible. Nous pensons réellement, et je crois que plusieurs orateurs s’exprimeront dans le même sens, que cette scission de la commission de l’économie est une mauvaise idée. C’est pourquoi, conformément à la logique constructive que nous entendons promouvoir, nous avons, mes chers collègues, une proposition à vous faire. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste-EELV.) Si le problème majeur a trait à la visibilité des thématiques environnementales, nous pensons que la meilleure solution, conforme en outre à une approche globale des questions environnementales, résiderait dans la création d’une délégation sénatoriale, qui pourrait d’ailleurs être appelée « commission sénatoriale » comme cela a été fait pour une commission récemment créée, qui réunirait des sénateurs membres de chacune des commissions permanentes. Je suis membre de la commission des lois, mais je suis aussi, tout comme le président de celle-ci, profondément attaché à l’amélioration de notre politique de développement durable. J’imagine qu’il en va de même pour tous nos collègues membres des commissions des finances, de la culture, des affaires sociales ou des affaires étrangères et de la défense ! La création d’une telle délégation ou commission sénatoriale permettrait à des sénateurs membres d’autres commissions de participer à une réflexion d’ensemble sur ces questions, sans remettre en cause l’efficacité du travail de l’actuelle commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Qui, en effet, a déjà entendu des arguments démontrant que cette commission ne travaillait pas bien ? Quelqu’un l’a-t-elle critiquée ? Cette commission ne se préoccupe-t-elle pas des questions de développement durable et d’aménagement du territoire ? En revanche, chacun peut apprécier ce qui se passe à l’Assemblée nationale depuis que les députés ont décidé une scission comparable à celle qu’on nous propose. Pour mémoire, les membres de la commission de l’économie de l’Assemblée nationale étaient plus de 150 avant la scission, quand, au Sénat, ils ne sont que 78. J’ai cru comprendre que, à l’Assemblée nationale, l’expérience n’était pas vraiment concluante, et c’est même le moins que l’on puisse dire ! Si l’on veut enfermer les questions environnementales et de développement durable dans un ghetto, suivons cette proposition ! Je suis déçu que cette modification soit soutenue par la nouvelle majorité sénatoriale, alors que l’exemple de l’Assemblée nationale nous démontre que c’est une mauvaise idée, car cela fonctionne très mal. On nous propose donc de passer d’un système efficace à une nouvelle répartition dont on sait d’avance qu’elle va poser des problèmes, sans apporter le moindre bénéfice au Sénat. Nous pouvons néanmoins les éviter, si nous décidons de créer une délégation ou une commission sénatoriale dédiée au développement durable plutôt que de scinder la commission de l’économie. Enfin, suivant sa logique constructive, le groupe UCR vous fera une autre proposition, ayant pour objet d’améliorer le fonctionnement de notre assemblée via une réforme du vote par scrutin public. Notre groupe a déposé un amendement visant à mettre fin à l’usage actuellement fait du scrutin public. Il prévoit que chaque sénateur ne pourra recevoir de délégation que pour un seul de ses collègues. Chacun sait comment fonctionne le scrutin public dans cet hémicycle. Chacun sait aussi à quel point ce système est critiquable. La compilation des interventions de sénateurs de tous les groupes pour déplorer cette situation, depuis plusieurs années, est édifiante ! Sur la forme, je constate que la gauche, qui, lorsqu’elle était dans l’opposition, n’a jamais cessé de dénoncer de façon très argumentée et persuasive ce type de scrutin, s’est bien vite approprié cette pratique depuis qu’elle est ici majoritaire, avec une utilisation que je qualifierais de « quasi systématique », qui a très souvent pour objet d’occulter une réalité peu glorieuse. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Je ne vise pas le groupe CRC, madame Borvo. La gauche ne réussit pas à être physiquement majoritaire dans l’hémicycle. Heureusement que le scrutin public était là pour vous permettre de faire adopter la suppression des allégements Fillon, la création d’une « taxe Tobin », qu’il aurait pourtant été préférable d’approuver par un engagement réel plutôt que par scrutin public, l’abrogation du conseiller territorial, et j’en passe ! En trois mois, le scrutin public a été utilisé de manière si intense que le sujet mérite d’être abordé dès le début de ce nouveau mandat sénatorial. Enfin, notre collègue Nathalie Goulet vous proposera une petite modification de l’article 15 du règlement du Sénat, qui dispose que « la présence aux réunions de commission est obligatoire ». Mme Goulet souhaite que soit ajoutée cette précision : « sauf en cas de concomitance avec la tenue d’une séance publique ». Malheureusement, nous avons constaté que la tenue de réunions pendant les séances publiques, super-exception voilà quelque temps, tendait à devenir une habitude. Je ne doute donc pas que tous les sénateurs approuveront cette modification apportée à l’article 15 du règlement. Précisément, monsieur le président, parce qu’il y avait séance publique ! Nous espérons vous convaincre de la pertinence des différents arguments que je viens de développer. Nous sommes là pour améliorer nos méthodes de travail, et non pas pour nous opposer sur des sujets de pratique parlementaire. Si ses propositions n’étaient pas suivies, le groupe UCR serait contraint de s’opposer à la proposition de résolution visant à réformer le règlement du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UCR.)