Les interventions en séance

Budget
Catherine Morin-Desailly 19/12/2011

«Projet de loi relatif à la rémunération pour copie privée»

Mme Catherine Morin-Desailly

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, texte « rustine » ou patch, projet de loi transitoire ou d’attente... Les choses sont claires : les présentes mesures répondent à une situation d’urgence. Mes collègues du groupe de l’Union centriste et républicaine ont entendu l’appel à soutenir ce texte, au nom du risque encouru. Nous le soutiendrons donc, puisqu’il s’agit d’encourager la création et d’aider les artistes, comme nous l’avons toujours fait, dans le respect, bien évidemment, d’équilibres qu’il convient d’atteindre lorsque les intérêts des uns viennent contredire ceux des autres. Je pense notamment à des textes comme HADOPI, la télévision du futur, la nouvelle télévision publique ou encore le prix du livre numérique. Aujourd’hui, nous nous penchons sur le système de rémunération pour copie privée, qui s’appuie sur la loi Lang de 1985. Comme l’a déjà fort bien expliqué M. le rapporteur, la rémunération pour copie privée des ayants droit se base sur des barèmes établis par une commission ad hoc. Or, on le sait, le Conseil d’État, dans son arrêt du 17 juin 2011 Canal+ Distribution et autres, a annulé les derniers barèmes établis. Ce faisant, il a en quelque sorte transposé en droit français la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, fondée sur le fameux arrêt Padawan du 21 octobre 2010. Le Conseil d’État a reporté l’effet de sa décision pour motif d’intérêt général. Las, un report insuffisant pour permettre à la commission de conduire les enquêtes et effectuer leur traitement en vue de l’élaboration et de l’adoption de nouveaux barèmes dans le délai imparti. Dans ces conditions, la décision Canal+ Distribution et autres prendra pleinement effet dans trois jours. Aujourd’hui, lundi 19 décembre, il y a donc bien urgence ! Il est tout de même permis de se demander si le présent texte n’aurait pas pu nous être soumis plus tôt. En effet, tout le monde savait que les six mois de délai accordés par le Conseil d’État seraient trop courts. Monsieur le ministre, il est difficile, pour des parlementaires, ne serait-ce que pour des questions de principe, de se voir ainsi contraints, surtout lorsqu’ils se disent que le texte aurait pu être amélioré, même à la marge. Profitons donc de cette discussion générale pour clarifier certains points, car, on le sait, les débats éclairent toujours la loi. M. le rapporteur avait notamment envisagé d’adopter à l’article 3, qui porte sur l’information de l’acquéreur d’un support d’enregistrement, une rédaction plus sobre et plus claire, ce qui aurait sans doute été préférable, la loi ne gagnant jamais à être trop bavarde. Ainsi, l’obligation faite au fabriquant de fournir une « notice explicative » relative à la rémunération pour copie privée inquiète les industriels. Mais sans doute pouvons-nous d’emblée les rassurer, en précisant qu’une notice peut être une « brève indication écrite ». Les industriels n’auront donc pas forcément à éditer un fascicule, l’important étant que l’information soit diffusée et adaptée au produit. De même, l’article 4, qui vise à établir un système de remboursement pour les professionnels, donc d’avance de trésorerie, fait grincer des dents ces derniers. Nous n’avons pas déposé d’amendements sur le projet de loi, car nous attendons un réel débat, plus global, sur la rémunération de la création à l’ère numérique. Aussi, au-delà de ce seul texte, qui nous permet de mettre en conformité notre droit interne avec le droit communautaire, il convient, selon nous, de réfléchir aux évolutions à apporter à un système frappé d’obsolescence. Tout d’abord, le présent projet de loi révèle une faiblesse intrinsèque au système, à savoir le fonctionnement de la commission pour la rémunération de la copie privée, qui ne semble guère satisfaisant. Censée être le lieu de la concertation et du consensus, cette commission a « dysfonctionné » suffisamment pour que certains de ses membres aient longuement pratiqué la politique de la chaise vide et que les autres aient formé recours sur recours à l’encontre de ses décisions. L’arrêt Canal+ Distribution et autres est d’ailleurs le résultat de l’un de ces recours. Il n’est pas normal que les industriels se sentent marginalisés et ne fassent le choix que de soumettre systématiquement à la justice les décisions de la commission. Le système français de rémunération pour copie privée doit aussi tenir compte de l’intégration communautaire du domaine. C’est bien sous le double effet de la législation européenne et de la jurisprudence communautaire que nous sommes aujourd’hui conduits à l’adapter de manière provisoire. Mais, demain, c’est l’évolution technologique qui pourrait tout bonnement le faire voler en éclats, si nous ne sommes pas capables d’aller plus loin. Le système avait été imaginé pour un monde analogique, celui des radiocassettes et des magnétoscopes. Le passage au numérique le fait déjà vaciller. Pourtant, l’essentiel du bouleversement est à venir, avec le développement très rapide des usages liés aux technologies de la deuxième révolution numérique que sont l’« info nuage » ou « cloud computing » et la télévision connectée. Cela signifie que nous disposerons bientôt de techniques permettant de stocker toutes nos données, qu’il s’agisse de musiques, de films ou de livres, sur des serveurs distants hébergés, pas forcément en France, par un prestataire de services. Nous y accéderons par internet. Comment la question de l’utilisation de nos espaces de stockage « dans les nuages », pour transférer des contenus protégés et y accéder, devra-t-elle être appréhendée non seulement juridiquement, mais aussi concrètement ? Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique a lancé un groupe de travail sur le sujet. Je rejoins à ce propos les vues de M. le rapporteur : le Parlement ne doit pas être tenu à l’écart de la détermination des modalités d’adaptation de l’exception de copie privée, qui constitue une mutation de très grande ampleur. Quoi qu’il en soit, le système ne pourra être remis à plat qu’en concertation avec l’Union européenne. En tant que membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi que de la commission des affaires européennes, permettez-moi d’être particulièrement sensible à cet aspect. Nous savons que la Commission de Bruxelles travaille déjà à l’élaboration d’un cadre juridique commun, qui aurait été de nature à nous éviter les difficultés actuelles. Les industriels ont pointé du doigt les différences de barèmes d’un pays de l’Union à l’autre, ceux pratiqués en France figurant, semble-t-il, parmi les plus élevés d’Europe. Ne serait-il pas souhaitable, toutes choses étant égales par ailleurs, de tendre vers une harmonisation des tarifs ? De manière encore plus générale et fondamentale, l’évolution technologique remet purement et simplement en cause la totalité du financement de la culture. Je rappelle que l’exception de copie privée n’est pas la seule source de rémunération des ayants droit. Par définition, elle est même exceptionnelle. Or la déterritorialisation et la délinéarisation de la consommation, liées à l’évolution des technologies, n’ébranlent pas seulement la copie privée, mais tout le système des droits d’auteur. En effet, nous entrons dans un monde où le droit d’auteur, pouvant de moins en moins être perçu sur un produit physique, devrait l’être de plus en plus sur le moyen permettant de jouir de l’œuvre. Il s’agit de mettre en place non pas une licence globale – vous savez que je n’y suis pas favorable –, mais un nouveau cadre pour la vente individuelle des œuvres. Je le répète : c’est au moins à l’échelon européen que la partie va se jouer, car c’est toute la question de la coordination et de l’harmonisation fiscale qui se trouve posée. Il n’est pas normal en effet que les géants de l’ère numérique, principalement américains, alors qu’ils ne vivent que grâce à ce qu’ils qualifient de « contenus » – banalisant ainsi l’idée même d’œuvre, donc l’acte de création et la notion d’auteur –, ne participent pas du tout au financement de ces « contenus ». Ce sujet a déjà été maintes fois évoqué dans notre hémicycle, mais il doit continuer de nous mobiliser, comme il doit mobiliser l’ensemble des acteurs de la nouvelle chaîne de valeur, devenue mouvante à l’heure d’internet et de la numérisation, à savoir les acteurs traditionnels ainsi que les nouveaux entrants et les nouveaux bénéficiaires. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Françoise Laborde applaudit également.)