Les interventions en séance

Budget
19/10/2011

«Troisième loi de finances rectificative pour 2011»

M. Jean Arthuis

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liquidation d’une banque est un acte grave. Ce soir, nous sommes invités à autoriser le Gouvernement à consentir une garantie pour que cette liquidation soit ordonnée. C’est la fin d’une belle aventure qu’avait connue la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales, caisse qui s’était transformée en Crédit local de France. Vous vous souvenez sans doute qu’à l’époque Pierre Richard, fondateur et ancien président de Dexia, déclarait que « sans en avoir conscience, le secteur local a basculé dans un nouveau monde ». Il ajoutait qu’il fallait que les collectivités aient « un vrai banquier et non plus un distributeur de prêts administrés ». Je me souviens également que Michel Rocard, Premier ministre, voulait créer ce qu’il appelait « un financier de la décentralisation, capable de mobiliser l’épargne, de perfectionner la gestion, de réduire la dette, de maîtriser les investissements ». Malheureusement, les péripéties du Crédit local de France, devenu Dexia, nous amènent ce soir à autoriser l’État à délivrer sa garantie. On est sorti des taux administrés, on a dérégulé. Le Crédit local de France est devenu une société anonyme, qui a vu une partie de ses titres introduits en bourse en 1991. La privatisation est intervenue en 1993. Les dirigeants ont voulu faire de cet établissement une banque mondiale des collectivités territoriales. Ils ont pris une participation aux États-Unis dans une société de rehaussement de crédit en faveur, précisément, des collectivités territoriales. Malheureusement, la crise des subprimes est intervenue et le groupe a perdu, après avoir fusionné avec le Crédit communal de Belgique, des fonds considérables, de l’ordre de 5 milliards d’euros. Ce n’est pas la première fois que le Parlement est appelé à autoriser le Gouvernement à donner sa garantie à Dexia. Nous l’avions déjà fait en 2008. Je constate que les efforts accomplis par les nouveaux dirigeants de Dexia ont porté leurs fruits, mais malheureusement la crise des dettes souveraines sonne le glas de ce groupe. À cet égard, monsieur le ministre, je souhaite, comme l’a exprimé voilà quelques instants Mme la rapporteure générale, que vous nous confirmiez qu’il n’est pas question de maintenir Dexia Crédit Local en marche opérationnelle. Cette entité doit assurer la liquidation de ses actifs et de ses dettes, mais elle ne doit pas apparaître demain comme un possible concurrent de la nouvelle entité qu’il faudra bien mettre en place pour permettre aux collectivités territoriales d’accéder aux crédits dont elles ont besoin pour financer leurs investissements. L’été aura été meurtrier pour Dexia. Les événements se sont enchaînés : crise des dettes souveraines, dégradation de la note de la banque par l’agence Moody’s. Le résultat est là et les gouvernements ont pris leurs responsabilités pour éviter une faillite désordonnée, qui se serait nécessairement propagée à d’autres institutions et aurait créé des dommages collatéraux très importants. Je ne reviendrai pas sur les garanties, car elles ont fait l’objet de discussions denses et exigeantes. La Caisse des dépôts et consignations a répondu à sa vocation puisqu’il y va ici de l’intérêt général. Cependant, la Caisse doit veiller, elle aussi, à la préservation de sa note et à son crédit comme à son autorité. Les négociations ont abouti, l’accord est équilibré, le gouvernement belge, le gouvernement luxembourgeois et notre gouvernement ont assumé leurs responsabilités. Des questions peuvent subsister. Que se passera-t-il au bout de dix ans si certaines opérations ne sont pas soldées et s’il faut de nouveau émettre des titres qui ne seraient pas garantis par l’État alors même que les créances susceptibles d’être recouvrées présenteraient des risques de pertes significatives ? Globalement, il me semble que nous pouvons donner notre accord aux garanties que ce projet de loi de finances rectificative contient et sur lesquelles nous allons délibérer ce soir. Il me paraît très important que le financement des collectivités territoriales puisse être organisé. Je salue donc l’initiative du Premier ministre, qui a décidé de débloquer 3 milliards d’euros sur les fonds d’épargne. Les appels d’offres seront lancés dans les tout prochains jours et nous pouvons d’ores et déjà imaginer que le taux que prendront en charge les emprunteurs tournera autour de 4 %. Espérons simplement qu’il ne s’agira pas d’une situation de rente pour les établissements qui seront agréés à consentir des prêts dont le financement sera assuré par les fonds d’épargne ! Il s’agit d’une mesure d’urgence. Aussi, il est absolument indispensable de mettre en place un établissement capable d’assurer le financement des collectivités territoriales. Aujourd’hui, dans la France entière, des maires, des présidents d’établissement public de coopération intercommunale, des présidents de conseil général, des présidents de région sont en difficulté parce que les banques sollicitées ne sont pas en mesure de répondre positivement à leurs besoins en matière d’investissements. Ces dernières ont du mal à emprunter à long terme alors que les prêts à consentir sont des prêts sur dix, quinze ou vingt ans. Une telle transformation ne peut s’accomplir. Le secteur bancaire est soumis aux nouvelles normes prudentielles de Bâle III. Or, précisément, prêter sur de longues durées est coûteux en termes de fonds propres. Au surplus, la rémunération et les commissions sont relativement modestes. Dans ces conditions, il deviendra difficile de financer les investissements des collectivités territoriales. Je salue donc l’initiative qui consiste à inviter la Caisse des dépôts et consignations et la Banque postale, partenaire de grande proximité de la Caisse des dépôts et consignations et qui collecte elle-même les produits du livret A, à mettre en place l’institution qui, demain, prendra en charge ces financements. Il y a là, monsieur le ministre, une urgence particulière, car chacun s’accordera à reconnaître que le financement des investissements publics n’est pas tout à fait le même que celui des investissements des entreprises par le secteur concurrentiel. Ce n’est pas, à proprement parler, un retour à la case départ puisque l’établissement qui va être créé devrait s’apparenter davantage au Crédit local de France dans sa première version qu’à la Caisse d’aide à l’équipement des collectivités locales. Il faudra peut-être imaginer qu’une partie des fonds d’épargne soit mise à la disposition des collectivités territoriales, car il s’agit bien ici d’investissements concourant à l’intérêt public. Cet exercice nous contraint à perdre nos illusions sur les bienfaits de la dérégulation alors en vogue dans les années quatre-vingt, auprès des gouvernements de gauche comme de droite. Aujourd’hui, la crise nous place devant une épreuve implacable : nous devons non pas faire preuve d’idéologie, mais au contraire être pragmatiques et reconnaître que, si la Caisse des dépôts et consignations doit garantir la protection de l’épargne de nos concitoyens, elle doit aussi assurer le financement des travaux d’intérêt général. C’est bien ce qui nous préoccupe aujourd’hui. Par conséquent, je souhaite que les services du MINEFI fassent diligence pour que, dans les meilleurs délais, une telle institution puisse être mise en place. Dans ces conditions, peut-être la société de crédit foncier DexMA restera-t-elle le véhicule de financement des collectivités territoriales. Le groupe de l’Union centriste et républicaine votera ce projet de loi de finances rectificative pour 2011. Il soutiendra également l’amendement de la commission des finances qui tend à introduire dans le dispositif des considérations que l’on peut qualifier d’éthiques et qui ont déjà fait l’objet d’initiatives de notre part dans un passé récent. (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste-EELV. – M. Jacques Mézard applaudit également.)