Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
Hervé Marseille 19/01/2012

«Proposition de loi tendant portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous savons tous à quel point il peut être délicat pour une nation de regarder son passé sans fard. Pendant trop longtemps, la question de la reconnaissance de l’engagement des harkis a été éludée ou retardée, laissant dans l’incompréhension ceux-là mêmes qui ont fait le choix de la France lors de l’un des épisodes les plus douloureux de notre histoire récente. Comme je l’ai fait alors que j’étais jeune attaché ministériel auprès du secrétaire d’État aux rapatriés, il suffit, pour s’en convaincre, d’aller visiter les camps d’Antibes, de Roubaix, d’Amiens, ou encore du Lot-et-Garonne. Cette injustice a été lentement réparée grâce à un processus législatif qui s’est déroulé pendant près de dix ans, de l’adoption de la loi du 11 juin 1994, qui a été la première au sein de laquelle a été exprimée la reconnaissance de la France aux harkis, à celle de 2005 qui a cherché à protéger les rapatriés et leurs descendants contre les invectives charriées par un passé encore très mal cicatrisé. Il est apparu que, en raison d’un problème juridique, l’esprit de la loi du 23 février 2005 voulant protéger les harkis contre des injures et des diffamations ne pouvait pas s’appliquer, alors même que l’intention du législateur de l’époque était parfaitement claire. C’est précisément l’article 5 de cette loi qui n’a jamais eu la portée qu’il aurait dû avoir. À cet égard, mademoiselle le rapporteur, vous avez exposé très clairement la difficulté rencontrée par ce texte, et je vous remercie de l’important travail que vous avez réalisé. L’article 5 précité interdit l’injure et la diffamation à l’encontre d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur qualité vraie ou supposée de harki. Il aurait également dû permettre de sanctionner l’apologie des crimes commis contre les harkis. Mais alors qu’il dispose que l’État est chargé d’assurer « le respect de ce principe dans le cadre des lois en vigueur », le législateur n’a pas su donner aux juges les moyens de sanctionner les actes visés par cet article. La loi sur la liberté de la presse de 1881 encadre les domaines de l’injure et de la diffamation. Elle opère une distinction selon que l’injure ou la diffamation a été commise à l’encontre d’un individu ou d’un groupe de personnes. Or la Cour de cassation a fait remarquer que les conditions du cadre légal en vigueur ne pouvaient pas s’appliquer aux injures et diffamations visant les harkis. Permettez-moi, mes chers collègues de ne pas entrer dans le détail juridique, le rapport étant parfaitement précis à ce sujet. Néanmoins, je rappellerai que le droit pénal repose sur plusieurs principes fondamentaux, notamment sur le principe de légalité des délits et des peines, nullum crimen, nulla poena sine lege, autrement dit nul crime, nulle peine sans loi. À ce titre, l’article 111-3 du code pénal dispose : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi ». Selon son corollaire direct, à savoir l’article 111-4 du même code : « La loi pénale est d’interprétation stricte. » Les injures et diffamations à l’encontre des harkis portant sur un choix politique et non pas sur des origines religieuses ou ethniques, la loi de 1881 ne peut alors pas s’appliquer. C’est pourquoi le juge pénal n’est pas en mesure de suivre l’esprit que le législateur a donné à l’article 5 de la loi du 23 février 2005. Dès lors, cet article étant vidé de toute sanction pénale, il nous revient aujourd’hui d’intervenir pour lui donner toute la portée qu’il mérite et rendre ainsi efficiente la protection voulue en 2005. Par ailleurs, mes chers collègues, je dois remarquer que la présente proposition de loi reprend, hormis un détail d’importance, le dispositif de la loi de 1881 concernant l’action civile des associations. Initialement, les associations avaient la possibilité de se porter partie civile uniquement avec l’accord de l’individu ayant subi l’injure ou la diffamation. Désormais, le principe est renversé au profit d’une constitution de partie civile des associations, sauf opposition expresse des victimes visées par l’infraction. Ce renversement est justifié dans le rapport par la prise en compte des pressions susceptibles d’être exercées sur les victimes. Or il peut surprendre et amener des réserves. En effet, lors du procès pénal, c’est l’État qui poursuit le présumé criminel ou délinquant. Il peut donc paraître étonnant d’avoir à se préoccuper des parties civiles, alors même qu’elles ont déjà surmonté les pressions lors de leur dépôt de plainte. Pour autant, ces hommes et ces femmes, ces familles qui ont chèrement payé leur engagement auprès de la France, qui sont souvent devenus Français au prix du sang, méritent une reconnaissance pleine et entière. La première forme de reconnaissance que nous leur devons est la protection dans ce qu’elle a de plus élémentaire. Ainsi, il incombe à la Haute Assemblée de remédier une bonne fois pour toutes aux lacunes de la loi de 2005 et d’achever le processus engagé en 1994. Mes chers collègues, il s’agit là, pour une question de justice, d’aller dans le sens d’une amélioration de notre droit et de rendre à chacun ce qui lui revient. Nous ne pourrons jamais rembourser le prix que les harkis ont dû acquitter pour leur engagement, et cela au même titre que l’ensemble des « morts pour la France », dont nous parlerons la semaine prochaine. Aussi, mes chers collègues, au-delà des problèmes de droit qui peuvent nous être soumis en l’espèce, je tiens à remercier Raymond Couderc et le rapporteur, Sophie Joissains. Tout comme l’ensemble des membres du groupe de l’Union centriste et républicaine, je voterai en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)