Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Hervé Maurey 18/09/2013

«Projet de loi sur le cumul des mandats »

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord regretter que le texte qui nous est présenté soit examiné, une fois de plus, après engagement de la procédure accélérée, tant décriée par la gauche lorsqu’elle était dans l’opposition et qui, aujourd’hui, l’accepte sans broncher. Peut-être la gauche s’habitue-t-elle à ces méthodes, le recours à cette procédure étant désormais quasi permanent… En l’espèce, je m’étonne toutefois d’une telle pratique dans la mesure où il n’y a aucune urgence dans les faits. En effet, au mépris, d’ailleurs, des engagements du Président de la République et du Premier ministre, vous avez décidé, monsieur le ministre, de n’appliquer le texte qui nous est soumis qu’en 2017, c’est-à-dire dans quatre ans. Vous l’avouerez, c’est pour le moins curieux ! Vos prédécesseurs confrontés au problème du cumul des mandats, pourtant socialistes, avaient eu plus d’égards envers le Sénat puisque les textes examinés en 1985 et en 2000 avaient fait l’objet respectivement de deux et de trois lectures En réalité, et vous l’avez clairement dit dans votre propos, vous voulez une fois de plus écourter le débat et donner au plus vite le dernier mot à l’Assemblée nationale, sans vous soucier du point de vue du Sénat. Une fois de plus, le Gouvernement témoigne de son mépris pour la Haute Assemblée, dans la droite ligne des propos de Lionel Jospin, pour qui le Sénat est une « anomalie démocratique ». Monsieur le président du Sénat, vous êtes le garant des prérogatives de la Haute Assemblée. Je m’étonne que vous tolériez cela, vous qui déclariez, lors de votre élection, votre volonté « que notre assemblée soit confortée dans ses prérogatives, restaurée dans son rôle de représentant des élus locaux et des territoires, rénovée dans son mode de fonctionnement ». Les amitiés politiques ne doivent pas vous conduire à laisser ainsi piétiner notre institution ! Sur le fond, le présent projet de loi organique a au moins un avantage : il va conduire les socialistes à mettre en 2017 leurs actes en conformité avec l’engagement pris huit ans plus tôt, en 2009, selon lequel tout élu à une élection parlementaire abandonnera ses mandats exécutifs locaux dans les trois mois. Cet engagement, pourtant rappelé par Mme Aubry, n’a pas, semble-t-il, été entendu si j’en crois le palmarès établi par le magazine L’Express, qui atteste que les plus grands cumulards sont à gauche ! Je n’oublie pas non plus la situation de certains collègues qui siègent sur la gauche de cet hémicycle… Le parti socialiste nous demande donc de légiférer pour que ses élus respectent leurs engagements, soit ! Mais vous conviendrez que c’est un peu court. Alors, pour justifier cette réforme, vous nous indiquez, monsieur le ministre, qu’il s’agit de tirer les conséquences de la décentralisation. Mais si tel était vraiment le cas, vous proposeriez la mise en place, tant attendue, d’un statut de l’élu local, qui est dans la droite ligne de la décentralisation ! Et vous ne baisseriez pas les dotations des collectivités locales pour la première fois de notre histoire ! Vous n’imposeriez pas sans aucune concertation une réforme des rythmes scolaires qui leur pose de graves problèmes en termes de financement et d’organisation ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Oui, je comprends que cette remarque vous gêne ! Vous n’imposeriez pas sans arrêt de nouvelles normes aux collectivités. Bref, cet argument ne tient pas ! Toujours selon vous, monsieur le ministre, le texte serait également destiné à renforcer les droits du Parlement. Il est vrai que ceux-ci en ont bien besoin, et la manière dont vous nous traitez aujourd’hui encore en témoigne. Nous sommes bien loin des engagements du Président de la République sur ce sujet. Toutefois, ce que vous proposez ne renforcera en rien les droits du Parlement, pas plus d’ailleurs qu’il ne permettra le renouvellement de la classe politique – j’y reviendrai tout à l’heure. Enfin, vous nous expliquez que le présent texte organique répond aux attentes de nos concitoyens. Je crois qu’aujourd’hui les Françaises et les Français ont malheureusement d’autres attentes… Le chômage devait baisser en 2013, les augmentations d’impôt ne devaient toucher que les riches ; vous vous faisiez fort de rétablir la sécurité. Certes, il est plus difficile de répondre à ces préoccupations qu’à la prétendue volonté de nos concitoyens de lutter contre le cumul. Le texte que vous nous présentez est donc, avant tout, destiné à répondre au populisme et à l’antiparlementarisme ambiants et, par là même, à les encourager. L’opinion publique est opposée au cumul, alors, supprimons le cumul : cela s’appelle ni plus ni moins de la démagogie ! Ce qu’attendent nos concitoyens, c’est non pas la suppression du cumul des mandats, mais la modernisation de la vie politique, ce qui n’est pas la même chose. Or votre texte ne permettra pas cette modernisation, car il n’aborde que la question du cumul, c’est-à-dire la partie émergée de l’iceberg. En réalité, vous nous proposez un texte qui réussit à être à la fois insuffisant dans son étendue et, sans doute pour tenter de compenser cette insuffisance, excessif dans sa portée. Je voudrais le rappeler, pour ce qui me concerne, je suis favorable à ce que l’on aille plus loin dans la limite du cumul et que l’on clarifie les règles existantes. Il n’est pas normal que les présidences d’EPCI ne soient pas concernées par l’interdiction de cumul, alors que les fonctions de conseiller municipal de communes de plus de 3 500 habitants le sont. Je vous rappelle que j’avais déposé un amendement en ce sens lors de l’examen de la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’interdiction avait été adoptée pour les EPCI de plus de 30 000 habitants. C’était un premier pas qui, malheureusement, n’a pas franchi le barrage de l’Assemblée nationale. Je ne me souviens pas, d’ailleurs, avoir été beaucoup soutenu à l’époque par mes collègues siégeant sur les travées situées sur la gauche de cet hémicycle … Je suis donc favorable à un renforcement des textes existants, mais pas à une interdiction totale de tout cumul, comme vous le proposez. Franchement, qui peut considérer que l’on ne peut pas être parlementaire et adjoint au maire d’une commune de 150 habitants ou vice-président d’un syndicat scolaire gérant une école primaire en milieu rural ? Personne ! Et si tel était le cas, si la fonction parlementaire exige un engagement à plein temps, pourquoi alors avoir permis dans le récent texte relatif à la transparence de la vie publique qu’elle puisse être cumulée avec une activité professionnelle ? Pourquoi pourrait-on être parlementaire et avocat et non parlementaire et élu local ? Cela montre bien, monsieur le ministre, à quel point vous êtes dans l’excès et dans la démagogie ! Dans le même temps, ce texte apparaît tout à fait insuffisant. Pourquoi le non-cumul ne concerne-t-il pas les grands élus locaux ? Pourquoi un parlementaire ne pourrait-il pas être adjoint au maire d’une petite commune quand un maire de grande ville pourra continuer à présider l’agglomération, à être vice-président du conseil général ou à présider divers syndicats ? Je vous signale que dans le département dont je suis élu j’arrive, selon le classement d’un magazine national, loin derrière le maire du chef-lieu qui n’est pourtant pas parlementaire ! Votre projet est également insuffisant parce que si l’on veut moderniser la vie publique et renouveler la classe politique – ce que vous prétendez vouloir faire –, il faut limiter le nombre de mandats dans le temps, comme l’avait d’ailleurs décidé la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette disposition permettrait un véritable renouvellement de la classe politique. À cet égard, l’exercice successif de trois mandats parlementaires me semble suffisant et c’est ce que propose le groupe UDI-UC. Il faut également, comme c’est le cas dans les grandes démocraties, que les hauts fonctionnaires élus au Parlement démissionnent de la fonction publique. Le projet de loi organique est encore insuffisant, car si l’on veut que les parlementaires ne soient que parlementaires, ils n’ont pas besoin d’être si nombreux. Si vous voulez renforcer le rôle du Parlement, il faut que les parlementaires disposent de plus de moyens pour travailler, vous l’avez dit vous-même, monsieur le ministre, et pour contrôler le Gouvernement. Cela n’est possible, vous le savez, que si l’on réduit leur nombre. Enfin, ce texte est dangereux pour notre institution. Je vous rappelle que, en application de l’article 24 de la Constitution, le Sénat représente les collectivités locales. Comment pourrons-nous représenter les collectivités locales si, demain, aucun d’entre nous ne participe plus à un exécutif, même d’une petite commune ? Vous me rétorquerez que l’on pourra toujours être conseiller municipal, mais vous savez très bien qu’un conseiller municipal demeure très éloigné de la gestion de la commune dont il est élu. Sur ce point, je partage tout à fait le point de vue du président du groupe socialiste. J’ajoute, ce qui est rarement évoqué, qu’un sénateur, s’il n’est pas en charge d’un exécutif, contrairement à un député, est peu en contact avec les citoyens. Il l’est avec les élus, certes, mais pas avec les citoyens. Or si je connais les problèmes de mes concitoyens, …  … leurs difficultés en matière de logement, d’emploi, ou encore leurs difficultés de fin de mois, c’est parce que je suis maire ! Le jour où nous n’exercerons plus ces fonctions, nous serons totalement déconnectés des préoccupations de nos concitoyens et, par là même, des réalités du pays. Des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité des collectivités locales dont ils ont en charge la représentation ; des sénateurs qui ne connaissent plus la réalité du pays et de leurs concitoyens, alors qu’ils doivent légiférer ; des sénateurs beaucoup moins présents sur le terrain, puisque vous avez obtenu que 75 % d’entre eux soient désormais élus au scrutin proportionnel et doivent ainsi plus leur élection aux partis politiques qu’aux grands électeurs : on le constate, le texte qui nous est proposé affaiblirait gravement notre institution. C’est peut-être d’ailleurs ce que vous voulez, monsieur le ministre… Tel est peut-être l’objectif inavoué de votre réforme. (Ah ! sur les travées de l’UMP.) Comment ne pas remarquer que ce gouvernement n’aime pas le Sénat ? Comment ne pas remarquer qu’il veut créer un Haut Conseil des territoires qui risque de porter atteinte aux prérogatives du Sénat ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Monsieur le ministre, le Sénat est, je crois, coupable aux yeux du Gouvernement d’être le dernier bastion de défense de la ruralité et des territoires. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.) Vous avez réduit le poids des élus ruraux dans les assemblées départementales après que l’on a réduit leur poids dans les communautés de communes et d’agglomération. Vous avez réduit le rôle des élus ruraux dans le collège sénatorial. C’est à présent au rôle du Sénat en tant que représentant des collectivités locales que vous vous attaquez. Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC, résolument ouvert à de réelles évolutions sur le sujet et à une véritable modernisation de la vie publique, ne votera pas le projet de loi organique en l’état. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)