Les interventions en séance

Affaires étrangères et coopération
18/07/2012

«Projet de loi autorisant la ratification du traité d՚amitié et de coopération entre la République française et la République islamique d՚Afghanistan»

M. Aymeri de Montesquiou

Jean François-Poncet, homme d’État du plus haut niveau, était un ami. Au nom de notre groupe, je m’incline avec respect devant sa mémoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés à autoriser la ratification d’un traité d’amitié et coopération : l’amitié, magnifiée par la fraternité des armes, caractérise la longue tradition des relations franco-afghanes ; la coopération ne fut pas, jusqu’à présent, à la hauteur des besoins de l’Afghanistan, le sera-t-elle désormais ? Lorsqu’on aborde le sujet de l’Afghanistan, on éprouve une certaine gêne et le sentiment d’un immense gâchis. Nous avons fêté le dernier 14 juillet dans la Kapisa ; nous allons partir avec la blessure d’un échec douloureux, alors que quatre-vingt-sept de nos soldats ont donné leur vie pour combattre un mouvement terroriste et lutter pour les droits de l’homme : à mon tour, je leur rends hommage. Nous allons partir ; il n’y avait sans doute pas d’autre voie. En dépit de l’effort militaire considérable réalisé, l’Afghanistan risque de devenir la base terroriste que veulent constituer les talibans, avatars d’Al-Qaïda. Vous me semblez optimiste, monsieur le ministre, lorsque vous nous dites que cette organisation a été éradiquée. Chez le commandant Massoud, un prisonnier, chef taleb, m’affirmait leur volonté de transformer les États d’Asie centrale en émirats. Dès l’annonce du retrait, les prémices de ce djihad se sont manifestées par des attentats suicides au Kazakhstan, pays où se côtoient paisiblement toutes les religions et des dizaines de nationalités. Pour que cette paix perdure, il est essentiel d’intensifier considérablement la coopération militaire avec les pays d’Asie centrale. Craignons les métastases du fondamentalisme, craignons la gangrène de la corruption, craignons les trafics de drogues dans cette région cruciale pour la paix et la sécurité, trait d’union entre l’Asie et l’Europe, au sous-sol riche de puissantes réserves d’hydrocarbures et de minéraux. Nos standards occidentaux ne peuvent être imposés. Nous avons pu constater les conséquences très négatives de l’affirmation de cette volonté. L’arrogance et la condescendance occidentales ont profondément blessé le peuple afghan. Certains ont osé assimiler à une croisade notre action contre le terrorisme. Notre présence militaire a été perçue comme une force d’occupation et a rapproché les nationalistes des talibans. Pourtant, se résigner au pessimisme est stérile, et si onze années de présence internationale ne peuvent se conclure par la prophétie du grand poète afghan Sayd Bahodine Majrouh selon laquelle « demain sera l’enfer comparé à aujourd’hui », nous devons néanmoins prendre garde. Espérons et agissons pour que la coopération internationale, régionale et bilatérale, en effervescence depuis le lancement du processus d’Istanbul en novembre dernier, contribue à changer le contexte. C’est le sens de ce traité, qui vise à mettre en place une véritable coopération civile avec l’Afghanistan, au moment de la transition. Il dépoussière nos liens bilatéraux, mais ne répétons pas les erreurs passées, apportons les services de base, l’eau, l’électricité, province après province, village après village, internet aussi, pour que les jeunes Afghans intègrent pleinement la jeunesse mondiale. Ces actions coûteront beaucoup moins cher que la guerre et les résultats en seront infiniment meilleurs. Mais surtout, contrôlons de près l’utilisation des fonds. J’ai vu des ONG construire à des coûts dix fois moins élevés que d’autres les mêmes habitations. Ce gâchis a exaspéré les populations. Éradiquons la culture du pavot en lui substituant des cultures subventionnées, pour tarir le trésor des chefs de guerre. Pourquoi un « traité d’amitié et de coopération », alors que l’Allemagne, les États-Unis, l’Australie et la Turquie ont signé avec l’Afghanistan des partenariats stratégiques ? M. le ministre délégué chargé du développement s’est rendu à Kaboul en juin. Quelle est l’implication réelle de notre pays dans le processus d’Istanbul ? Y aura-t-il un nouveau représentant spécial pour l’Afghanistan ? Pour renforcer notre présence, nous avons besoin d’alliances régionales, et nous devons prendre enfin conscience de la réalité très forte d’un monde indo-persan. Dans cet esprit, le processus d’Istanbul, la conférence de Kaboul « Cœur de l’Asie », en juin dernier, la conférence de Tokyo sur l’Afghanistan, il y a dix jours, mettent en place une collaboration nouvelle et étroite entre l’Afghanistan et l’ensemble des autres pays de la région. C’est indispensable, car c’est la seule voie efficace. Les sept mesures de confiance sont pilotées chacune par un État de la région. Ainsi, le Pakistan et le Kazakhstan coordonnent la gestion des catastrophes, les Émirats arabes unis organisent la lutte contre le terrorisme, la Russie et l’Azerbaïdjan mènent le combat contre la drogue, le Turkménistan et l’Azerbaïdjan articulent les infrastructures régionales, l’Inde met en place les plans commerciaux, l’Iran prend en charge l’éducation. L’Iran est incontournable. Aucune solution n’est possible sans lui. N’oublions pas que beaucoup de pays de la région ont de bonnes relations avec lui. N’oublions pas que l’Iran et l’Afghanistan n’ont formé qu’un seul pays. L’Iran fera tout pour éviter la constitution d’un bastion salafiste sur son flanc est. Nous avons là un intérêt majeur en commun avec lui. Les ennemis de nos ennemis peuvent dès maintenant devenir non pas encore des amis, mais du moins des partenaires. C’est là une occasion unique de réintégrer l’Iran dans la coopération internationale. Il serait irresponsable de ne pas la saisir pour faire participer ce pays au processus de paix au Moyen-Orient, région où il joue un rôle capital. Ce serait une faute grave. J’ajouterai qu’une intervention d’Israël contre l’Iran serait très lourde de conséquences ; elle provoquerait l’embrasement général des peuples musulmans contre l’Occident, assimilé à un allié d’Israël. L’Inde est un autre pays essentiel. Elle appuiera tout gouvernement qui luttera contre le fondamentalisme islamiste, mais, pour que cet appui ne soit pas qu’un moyen de contrer le Pakistan et pour amener ce dernier à lutter ouvertement contre les talibans, il faut que la communauté internationale incite l’Inde à trouver une solution plus équilibrée au Cachemire. Les pays d’Asie centrale, je le répète, sont très inquiets. Ils doivent contenir les mouvements islamistes qui commencent à les ébranler par des attentats terroristes. Le Tadjikistan a connu une guerre civile entre islamistes et anciens communistes dans les années quatre-vingt-dix. L’Ouzbékistan, pays le plus peuplé, compte deux partis islamistes : le Hizb ut-Tahir, basé à Londres, et le Mouvement islamique d’Ouzbékistan, qui prône l’établissement du califat et la lutte armée. Ce pays partage avec ses voisins le Kirghizstan et le Tadjikistan la vallée du Ferghana, plaque tournante de nombreux trafics et poudrière islamiste. Une coopération militaire très étroite avec chaque État de la région est, je le répète, absolument indispensable. J’invite M. le ministre de la défense à s’y rendre dès que possible et souvent, car il ne pourra créer la confiance qu’en démontrant l’intérêt de la France pour ces territoires par une présence renouvelée et en développant des relations personnelles avec ses homologues. De même, une coordination étroite avec la diplomatie russe, qui connaît l’Afghanistan depuis des siècles, pacifiquement ou militairement, doit être instaurée. Mettons en place la coopération étroite prévue par ce traité. Malgré celui-ci, le retrait apparaîtra comme une victoire des salafistes, une revanche d’Al-Qaïda sur le monde occidental chrétien, et sera exploité comme telle. Son incidence sur l’ensemble du monde musulman, sur les grands équilibres régionaux, en particulier au Moyen-Orient, va vraisemblablement perturber fortement une zone stratégique déjà très instable. Je serais heureux de connaître les actions diplomatiques que vous entendez mener pour éviter que ce qui est notre échec soit exploité comme un triomphe par nos adversaires. Le moment est venu, pour les Afghans, de prendre leur destin en main. On l’espérait, on l’attendait et on le redoutait à la fois. La conférence de Tokyo du 8 juillet a promis des fonds internationaux, à hauteur de 16 milliards de dollars d’ici à 2015 : c’est considérable ! Pourront-ils vraiment être utilisés par ce pays ? L’Afghanistan est défini comme un « pont terrestre », un « rond-point » de l’Asie. Les États-Unis ont élaboré leur vision de la nouvelle Route de la soie en juillet 2011 ; l’Afghanistan en est le cœur. Soyons tous convaincus que la stabilité de la région est liée à celle de l’Afghanistan. Le Président de la République a dit avec beaucoup de justesse et d’émotion à nos soldats que « dans chaque ligne de notre traité d’amitié avec l’Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers chaque enfant qui apprendra notre langue […], il subsistera quelque chose de votre courage, quelque chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés au combat ». Il nous revient d’être aux côtés de nos amis Afghans, avec les mots du Voyageur de minuit de Majrouh : « Vigilance, Amis : ce chemin qui existe à peine, qui peut-être n’existe pas, est le bon et le seul, celui de la liberté. Prenez-le. » Le groupe UCR votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UCR, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du groupe socialiste.)