Les interventions en séance

Droit et réglementations
Hervé Marseille 18/04/2013

«Projet de loi relatif à la sécurisation de l՚emploi-Article 1er»

M. Hervé Marseille

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la généralisation de la couverture santé complémentaire à tous les salariés constitue une avancée incontestable ; personne n’en disconvient. C’est sa mise en œuvre, telle que prévue par le présent projet de loi, qui suscite des interrogations, et plus précisément la possibilité ouverte aux branches de « désigner », et non pas seulement de « recommander », un organisme complémentaire auquel toutes les entreprises de la branche devront recourir, y compris celles ayant déjà mis en place une couverture complémentaire : c’est la fameuse clause de désignation, dont vient de parler M. le rapporteur. Il ne fait pas de doute que, sur ce point, le projet de loi est en parfaite contradiction avec l’accord national interprofessionnel, dont l’article 1er est très explicite : « Les partenaires sociaux de la branche laisseront aux entreprises la liberté de retenir le ou les organismes assureurs de leur choix. Toutefois, ils pourront, s’ils le souhaitent, recommander […]. » Recommander, et non désigner : on ne peut être plus clair. Le terme « désignation » ne figure, au sein de l’ANI, que dans une note de bas de page relative aux seules branches ayant déjà désigné leur organisme complémentaire ; rien de plus. Or la clause de désignation introduite par le Gouvernement dans la transcription de l’accord pose problème. D’abord, sur un plan éthique, la désignation risque de conduire à une reconfiguration brutale, et non souhaitable, de l’offre de couverture complémentaire santé dans notre pays. On le sait, la désignation favorisera considérablement les instituts de prévoyance, les IP, au détriment des mutuelles et des sociétés d’assurance. Aujourd’hui, sur cinquante et une branches ayant eu recours à la désignation d’un organisme complémentaire, quarante-trois ont désigné un institut de prévoyance. Pourquoi ? Parce que les IP fonctionnent de manière paritaire, suivant le principe de démocratie sociale. En l’occurrence, c’est aux organisations gérant les IP qu’il reviendra de désigner l’opérateur : il y aura un évident conflit d’intérêts, les partenaires sociaux étant à la fois juges et parties. La question est donc non pas de défendre telle ou telle catégorie d’opérateurs contre telle ou telle autre, mais de légiférer pour assurer la transparence. Le financement des organisations patronales et syndicales doit, lui aussi, être transparent. C’est d’ailleurs le thème du rapport remis voilà quelques mois par le député Nicolas Perruchot. Ensuite, sur un plan juridique, la désignation, telle qu’organisée par le projet de loi, méconnaît selon nous les règles du droit de la concurrence. L’avis de l’Autorité de la concurrence le confirme sans aucune ambiguïté : la liberté de choix des employeurs n’est pas totalement exclue par le projet, certes, mais le champ de cette liberté « est limité par la combinaison de deux dispositions ». En effet, l’article 1er pose la création d’un nouvel article L. 911-7 dans le code de la sécurité sociale « en vertu duquel l’employeur est tenu de mettre en place, par décision unilatérale, une couverture minimale en matière de complémentaire santé, dès lors que, préalablement au 1er janvier 2016, les salariés n’en bénéficient pas par accord de branche ou d’entreprise. « Par ailleurs, l’article 1er, I. – A, du présent projet de loi impose aux entreprises liées par une convention de branche ou par des accords professionnels d’engager, à compter du 1er juin 2013, une négociation afin de permettre aux salariés qui n’en bénéficient pas d’accéder à une convention collective à adhésion obligatoire en matière de complémentaire santé avant le 1er juin 2016. Ainsi, il résulte de la lecture combinée de ces dispositions que l’employeur ne pourra être amené à choisir librement l’organisme d’assurance qu’à défaut de convention ou d’accord de branche préalable. […] Le maintien des clauses de désignation par le présent projet de loi constitue une préoccupation de concurrence. » Voilà ce que souligne l’avis émis par l’Autorité de la concurrence. Ces dispositions défavorisent donc le soutien à une diversité de l’offre propre à promouvoir la qualité du service et à exercer une pression à la baisse sur les prix. En outre, à nos yeux, la désignation est une aberration économique. Elle ne profitera ni aux salariés, dont les cotisations sont susceptibles d’augmenter, ni aux entreprises, qui vont subir un renchérissement de leurs coûts, et donc une perte de compétitivité. On peut craindre la destruction de nombreux emplois sur tout le territoire dans les secteurs des mutuelles et des assurances, en particulier chez les agents généraux, qui risquent d’être les premiers pénalisés. Par ailleurs, la clause de désignation entraînera des effets pervers pour les non-salariés qui souscriront une complémentaire santé. Les premiers à en pâtir seront, sans nul doute, les retraités et futurs retraités. En effet, priver les mutuelles et les sociétés d’assurance des cotisations de personnes faiblement consommatrices de soins, en ne leur laissant, du fait de leur maillage territorial plus dense que celui des institutions de prévoyance, que la gestion du risque santé d’une population fortement consommatrice, entraînera une augmentation des primes d’assurance des non-salariés, et particulièrement des retraités, ce qui contribuera à précariser davantage la situation de nos aînés. Alors, pourquoi adopter cette démarche, si ce n’est pour donner satisfaction à certains partenaires sociaux ? En conclusion, ni les assurés, ni les entreprises, ni les mutuelles et sociétés d’assurance n’ont vocation à être affectés au nom de la sécurisation de l’emploi : on peut malheureusement craindre qu’il ne s’agisse, en réalité, que de sécuriser le financement de certaines institutions… C’est là pour nous une préoccupation majeure, monsieur le ministre, et les amendements que nous allons présenter tendent à améliorer la lisibilité et la transparence du dispositif. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)