Les interventions en séance

Budget
17/11/2011

«Projet de loi de finances pour 2012 »

M. Aymeri de Montesquiou

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les difficultés extrêmes rencontrées par la Grèce, peut-être sans solution à court terme, les cures, non pas de rigueur, mais d’austérité de l’Irlande, du Portugal, de l’Espagne, et bientôt de l’Italie ont fait mieux comprendre aux Français que les largesses d’un État étaient payées par les finances du pays, d’abord, et par les contribuables, donc les citoyens, ensuite. Ces derniers ont été mis en mesure, sinon en demeure, de faire des comparaisons. La notion de compétitivité est devenue une de leurs préoccupations. C’est pourquoi, aujourd’hui, aucune formation politique n’oserait proposer une semaine de travail à 35 heures ni une retraite à 60 ans. Galbraith affirmait qu’« une crise financière épure le système bancaire, le système industriel et, dans une certaine mesure, le gouvernement de leurs incompétences. » Une telle formule devrait vous exhorter, madame la ministre, à être d’une extrême compétence et enjoindre les parlementaires que nous sommes, mes chers collègues, de modérer leurs ardeurs partisanes, qui font fi de la compétence. Malgré les circonlocutions habituelles, ce débat s’insère à l’évidence dans la future campagne présidentielle. Une réalité, cependant, s’impose à l’esprit : ce ne sont pas ceux qui proposeront la loi de finances la plus complaisante pour nos concitoyens qui récolteront le plus de voix. Aujourd’hui, le courage et la justice sont les réponses à donner aux attentes des Français. Revenons à des choses simples, à des données factuelles : les dépenses publiques et les prélèvements obligatoires attendus pour 2012 représentent respectivement 55,8 % et 44,5 % du PIB. Ce gigantesque et consternant différentiel, entre des dépenses publiques himalayennes et des prélèvements obligatoires parmi les plus importants de l’Union européenne, illustre trente années de médiocres compromis. L’objectif absolument prioritaire ne peut être qu’une baisse de nos dépenses, à plus forte raison lorsqu’on les compare avec celles de l’Allemagne : l’écart est de 163 milliards d’euros ! Bien sûr, il est très difficile de tailler fortement dans les dépenses publiques sans que la croissance, déjà faible, en souffre trop. L’objectif idéal est de laisser le plus de moyens financiers dans le secteur marchand, plus créateur de richesses, et donc d’emplois, plutôt que de les prélever et de les réinjecter dans le fonctionnement d’un État déjà boursouflé. Boursouflé, l’État l’est à plusieurs niveaux : notre dette frise les 1 700 milliards d’euros, soit plus de six années cumulées de recettes fiscales ; 83 % des recettes de l’impôt sur le revenu sont consacrés à son remboursement ; les recettes de l’État ne couvriront que 79 % de ses dépenses. Quel ménage, quelle entreprise pourrait soutenir de telles dettes, de tels déficits ? Nous devons gérer l’État comme une entreprise, non comme la maison d’Alice au pays des merveilles ! La colonne vertébrale de ce projet de loi de finances pour 2012 est la maîtrise des dépenses publiques. Enfin ! Mais allons-nous y parvenir ? C’est l’axe essentiel de la politique budgétaire inlassablement réclamée par la commission des finances du Sénat. C’est encore et toujours une solution de bon sens, car il serait irresponsable d’augmenter les prélèvements obligatoires, au risque de les rendre confiscatoires et, partant, de stériliser notre économie. L’exercice 2012 se caractérise par un effort en valeur d’un milliard d’euros, hors dette et pensions. C’est une première, alors que cela aurait dû être fait depuis longtemps. La commission des finances le réclamait année après année ; on lui répondait par de nouvelles dépenses. C’est un choix peut-être contraint, mais exigé par un principe qui doit demeurer intangible : la réduction du déficit doit suivre la trajectoire fixée jusqu’à descendre à 3 % du PIB en 2013. Ambitieux, très difficile, mais impérieux, le respect de cette trajectoire s’attaque à la composante structurelle de notre déficit. Des pays comme le Canada, la Suède ou la Nouvelle-Zélande, entre autres, ont eu la volonté et le courage de revenir à l’équilibre budgétaire ; ils ont atteint leur objectif. Suivons leur exemple. La partie recettes du projet de loi de finances pour 2012 accumule des mesures de rendement budgétaire, âprement discutées à l’Assemblée nationale, puis au sein de notre commission des finances, avant de connaître, en conclusion, des votes contraires. Ces débats ont, certes, leur utilité, mais ils ne sont pas, encore moins que les querelles, souvent dogmatiques, à la hauteur de la gravité de la situation. Ainsi, la taxe sur les boissons sucrées, doublée et étendue aux édulcorants à l’Assemblée nationale, a été supprimée par la commission des finances du Sénat, alors qu’elle rapporterait quelque 250 millions d’euros. Autre exemple : notre commission a pérennisé le niveau de la contribution exceptionnelle et temporaire sur les hauts revenus, dont le seuil d’imposition avait pourtant été abaissé par les députés et qui devrait générer 200 millions d’euros de recettes. Au-delà de ces escarmouches, dérisoires au regard de l’ampleur des problèmes, une réflexion en profondeur sur les recettes est absolument nécessaire. Pour faire en sorte que tout ce qui doit revenir à l’État lui revienne bien, pourquoi ne pas privilégier, comme aux États-Unis, le critère de la nationalité au lieu de celui de la résidence des personnes physiques, pour déterminer leur contribution au Trésor français ? Seriez-vous, madame la ministre, en mesure de faire une projection en termes d’imposition sur le revenu ? Il serait normal que les grandes sociétés du CAC 40, qui réalisent la majeure partie de leur chiffre d’affaires à l’étranger, s’acquittent de leurs impôts sur les bénéfices en France, lieu de leur siège social. Avez-vous un chiffrage de cette hypothèse et une possibilité légale de la concrétiser ? Quelle est votre position sur la création d’une cinquième tranche d’impôt sur le revenu, demandée par le groupe de l’Union centriste et républicaine ? Enfin, la question des niches fiscales est récurrente. Celles-ci représentent 65 milliards d’euros de dépenses fiscales. Le rapport Guillaume fait un état des lieux en la matière et conclut à l’inefficacité de nombre d’entre elles. Évaluer, une à une, l’efficacité de ces niches serait souhaitable, mais prendrait beaucoup trop de temps. En effet, chacune trouverait des défenseurs pour expliquer qu’il faut s’attaquer aux autres. Un coup de rabot généralisé de 15 % serait douloureux mais efficace, car immédiat, et rapporterait près de 10 milliards d’euros. Cette mesure est sans doute moins fondée qu’un examen individuel des niches, mais le sort de chacune d’entre elles étant identique, elle serait plus facilement acceptée. Le contexte économique international et l’état de nos finances publiques nous incitent à prendre des décisions fortes et difficiles, certes, mais indispensables. Ayons à l’esprit, avant de voter le projet de loi de finances pour 2012, la perspective d’une perte du triple A et ses conséquences très négatives. Compétitivité et croissance sont les leviers qui relanceront notre économie, et donc nos recettes fiscales. Or la compétitivité de nos entreprises est en chute libre. Le rapport du Forum économique mondial de Davos a rétrogradé la France du quinzième au dix-huitième rang mondial. Nous avons perdu, en moyenne, 2,4 % de parts de marché entre 2000 et 2008, alors que l’Allemagne améliorait ses résultats de 1,2 % par an. Pourquoi ? De même, les exportations de notre agriculture sont passées, en Europe, du premier au troisième rang, voire au quatrième. Ce n’est pas acceptable. La compétitivité de nos PME est une priorité absolue. À l’opposé de leurs voisines allemandes et italiennes, elles ont en effet les plus grandes difficultés à s’internationaliser. Plus grave, elles sont, en proportion, infiniment plus taxées que nos groupes multinationaux : 30 %, contre 10 % à 15 %. De surcroît, et c’est un point crucial, les charges sociales des employeurs français s’élèvent à 11 % du PIB, alors que la moyenne de l’OCDE est de 5,5%. Quelle en est la raison ? La compétitivité de nos PME est grevée par les charges qui se répercutent nécessairement sur le prix de vente des biens et services qu’elles produisent. À ce titre, je milite pour qu’une partie de ces cotisations soit transférée sur la TVA. Cette proposition n’est pas nouvelle, mais sa mise en œuvre s’avère indispensable. L’Allemagne s’est dotée, en janvier 2007, d’un point de « TVA compétitivité », mais le Danemark et le Japon l’ont fait bien avant. La Cour des comptes, dans son rapport sur la convergence fiscale franco-allemande, a fortement souhaité, comme l’OCDE quelques mois plus tard, que la France se dote d’un tel dispositif. Cela aurait le mérite de faciliter la fiscalisation du financement des risques « famille » et « maladie », désormais universalisés. Le niveau de déficit de notre balance commerciale – 75 milliards d’euros –, entraînant chômage et perte de recettes, est une plaie au flanc qui nous appauvrit chaque jour. Favoriser la compétitivité de nos entreprises me semble donc d’une exigence évidente, mais la mise en œuvre d’un tel objectif prendra, hélas ! du temps. La mission d’information de l’Assemblée nationale sur la compétitivité de l’économie française et le financement de la protection sociale n’a pu déboucher sur des analyses communes ni sur des propositions concrètes, en raison d’incompatibilités idéologiques, ce qui est consternant alors qu’il y a urgence. Enfin, la croissance est, bien sûr, un des fondamentaux de l’économie, un socle sur lequel reposent emplois et recettes. Les prévisions dans ce domaine doivent être réalistes, sous peine de rendre les projets de loi de finances, au mieux incertains, au pire caducs dans les mois qui suivent leur discussion. La loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014, adoptée à la toute fin de l’année dernière, était fondée sur une prévision de croissance, encore une fois trop optimiste, de 2 %, ramenée à 1,75 % avant d’être enfin évaluée à 1 %, soit le taux qui faisait consensus parmi les experts. Les divergences de prévisions ne permettent pas d’être péremptoires sur cette croissance, et donc sur les ressources qui seront celles du pays. Il serait pragmatique de mettre en place, dès à présent, des ressources supérieures à celles qui sont prévues pour atteindre l’objectif du déficit programmé, à savoir 4,6 % pour 2012. S’il y a excédent, il pourra être affecté à la dette. Madame la ministre, mes chers collègues, soyez pédagogues, dites la vérité aux Français, montrez l’exemple ! Soyez cohérents, innovants, imaginatifs. Surtout, soyez justes ! Nos concitoyens, alors, vous suivront. Chaque Français attend de vous courage politique et justice fiscale. Il comprendra qu’il est temps que nous soyons tous solidaires dans l’effort, car la crédibilité et l’avenir de notre pays sont en jeu. Ayons à l’esprit que celui, de droite ou de gauche, qui présidera aux destinées de notre pays devra conduire une politique peu différente de celle qui aurait été menée par son concurrent. Ne nous perdons pas dans des querelles idéologiques : il n’y a pas deux solutions opposées pour résoudre un même problème ; il n’y a que des différences de façade ! Les prélèvements ne peuvent pas être globalement augmentés. Déjà trop lourds par rapport à ce qu’ils sont chez nos concurrents, ils ne peuvent être que plus orientés vers les hauts revenus et les grandes entreprises. En Grande-Bretagne, où règne la City, temple du capitalisme, nos amis conservateurs n’ont pas hésité à taxer les plus gros contributeurs, sans crainte de faire fuir les contribuables à l’étranger. De plus, j’ajouterai que les transactions financières appartiennent à l’économie virtuelle et ne rapportent rien à la richesse nationale. On peut s’interroger sur le point de savoir si un banquier taxé à 0,001 % va quitter une place financière. Ne soyons pas victimes des lobbys financiers ! Je le dis d’autant plus volontiers que cette taxe nous rapporterait quelque 12 milliards d’euros. C’est dans les dépenses de l’État que réside le véritable gisement. Là aussi, soyons convaincus que les efforts ne doivent pas être demandés aux plus fragiles, car un sentiment d’injustice rendrait inopérante toute politique fiscale. Madame la ministre, la devise des mousquetaires, « Un pour tous et tous pour un », doit devenir la devise des Français. Faisons-lui honneur en privilégiant l’intérêt général par rapport aux querelles partisanes ! (Applaudissements sur les travées de l’UCR et de l’UMP.)