Les interventions en séance

Collectivités territoriales
Jean-Marie Bockel 17/06/2014

«Proposition de loi tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin»

M. Jean-Marie Bockel

Monsieur le président monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ne nous y trompons pas, le droit local est le fruit d’une histoire commune, qui a été rappelée par André Reichardt, entre les trois départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle et leurs habitants, qui sont évidemment très attachés à cette spécificité, comme je peux le constater moi-même dans mon département du Haut-Rhin. Au-delà de ce large attachement de la population, la pérennité du droit local a été identifiée par le Conseil constitutionnel en août 2011 comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Malgré cela, le droit local fait régulièrement l’objet d’attaques, tantôt idéologiques, tantôt pratiques, y compris de la part des différents gouvernements qui se sont succédé. Ces attaques portent essentiellement sur les corporations, le régime local d’assurance maladie ou encore le droit des cultes. Les dispositions du droit local doivent donc plus que jamais être modernisées pour s’adapter aux réalités d’aujourd’hui, d’autant que la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité a ouvert de nouveaux contentieux. Le débat autour du droit local est une vieille histoire. Doit-on le faire évoluer, au risque d’entraîner de vives polémiques, ou au contraire le laisser vieillir ? Autrement dit : stop ou encore ? À ce sujet, je voudrais évoquer très rapidement un souvenir personnel. En 1982, j’étais alors jeune député – Jean-Pierre Michel et d’autres aussi –, Jean Auroux et sa conseillère technique de l’époque, Martine Aubry, ont décidé de moderniser les juridictions prud’homales. C’était une bonne idée, mais elle a eu comme effet mécanique de supprimer l’échevinage dans les juridictions d’Alsace-Moselle, qui est pourtant une très bonne formule. J’avais essayé de convaincre Martine Aubry – je me suis d’ailleurs fait engueuler pour la première fois ; rassurez-vous, à d’autres occasions il nous est aussi arrivé de nous parler (Nouveaux sourires.) –, mais je me suis heurté à un mur.
Dans le contexte tout de même très clivé de 1982, je voyais poindre le souvenir du cartel des gauches de 1924, qui avait voulu supprimer le Concordat, dont je rappelle qu’il s’agit d’un texte napoléonien, et non pas allemand. Le tocsin avait alors sonné du nord au sud de l’Alsace, et le Gouvernement avait reculé. De peur que la même chose ne se reproduise, je suis allé voir le président Mitterrand. Il est trop tard pour les échevins, m’a-t-il dit, mais je vais demander à Pierre Mauroy de vous confier une mission auprès de Gaston Defferre, afin de tenter de calmer le jeu. J’ai accompli ce travail et je l’ai présenté à Colmar quelques mois plus tard, en présence de Gaston Defferre, qui avait adoubé ma proposition aboutissant à un statu quo qui nous semblait de bon aloi et à quelques autres pistes comme la création, reconnue aujourd’hui par tous comme très utile, de l’Institut du droit local alsacien-mosellan. Si je vous raconte cette anecdote, mes chers collègues, ce n’est pas simplement pour le plaisir de jouer à l’ancien combattant du droit local, c’est aussi pour mettre le doigt sur la difficulté de l’exercice. Si des évolutions ont pu intervenir sur toute une série de sujets – je pense à l’exemple des voies d’exécution, bien connues de certaines professions du droit, ou à des questions relevant du notariat –, c’est parce qu’elles ont été réalisées dans la discrétion et la technicité. En effet, dès que le sujet était versé au débat public, les choses devenaient très compliquées. Pendant un certain temps, nous avons donc fonctionné de cette manière. Aujourd’hui, nous arrivons un peu aux limites de l’exercice. C’est dans ce contexte qu’André Reichardt a déposé cette proposition de loi, que j’ai cosignée avec plusieurs collègues. Alors que le droit local est complexe et disparate, ce texte s’appuie en grande partie sur les travaux de qualité de l’Institut du droit local alsacien-mosellan, que je tiens ici à saluer. Cette proposition de loi répond à plusieurs grands objectifs qui ont déjà été rappelés. Premièrement, elle vise à maintenir la spécificité du droit local en garantissant ses capacités de financement. Je pense notamment à son titre Ier, qui apporte des réponses à la nécessité de financer les corporations d’artisans, dont l’obligation d’adhésion avait été supprimée par le Conseil constitutionnel. Ces corporations peuvent certes faire débat, notamment dans le secteur du bâtiment, mais, globalement, et pas seulement dans le Bas-Rhin, elles jouent un rôle extrêmement utile. Elles occupent d’ailleurs une place centrale dans le paysage artisanal de nos départements : elles constituent une plate-forme de discussions entre professionnels et elles sont le support de nombreuses actions de formation et de promotion. Dès lors, pourquoi remettre en cause un système, porteur d’emplois et de croissance, que beaucoup nous envient ? Ces corporations représentent le premier employeur de la région Alsace, avec 140 000 actifs. Il faut donc agir pour préserver le dispositif. Cela vaut aussi pour le maintien de la taxe des riverains en Alsace-Moselle, qui est essentielle dans une optique d’autonomie financière des collectivités. Le texte permet également de moderniser les dispositions du droit local, dans un souci de simplification et de clarification. C’est le cas notamment du titre V, qui a trait au repos dominical et pendant les jours fériés. N’opposons pas les grandes villes – vous auriez pu citer Colmar, monsieur le rapporteur – aux villages ! Des adaptations sont nécessaires, et la rédaction de la proposition de loi se veut consensuelle et à même de recueillir l’assentiment de l’ensemble des acteurs concernés. En outre, ce texte contient des évolutions juridiques concernant les associations coopératives, qui participent aussi à la création d’emplois et à la cohésion sociale. Nous soutenons également le nouvel article 9, adopté en commission des lois sur l’initiative d’André Reichardt, visant à clarifier la procédure de partage judiciaire en droit local. Enfin, il y a la volonté d’avoir une meilleure efficacité de l’action publique. Voilà pourquoi le texte prévoit l’extension des compétences de l’établissement public d’exploitation du livre foncier informatisé à l’informatisation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. À l’heure du numérique, il est nécessaire de démarrer la dématérialisation des croquis de levé, qui s’altèrent avec le temps sur support papier. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi consolide le droit local en y apportant des adaptations indispensables. Elle respecte la cohérence entre le droit local et le droit général. C’est la raison pour laquelle le groupe UDI-UC la votera, et j’appelle la Haute Assemblée à adopter ces dispositions pour qu’elles puissent entrer en vigueur rapidement. À quelques semaines de l’examen du projet de réforme territoriale, d’aucuns expriment par ailleurs des inquiétudes quant à l’avenir du droit local alsacien-mosellan. En effet, même si les collectivités ne sont pas titulaires de compétences en matière de droit local, comment garantir le respect de ce particularisme commun à ces départements au sein d’une région élargie ? Cette question mérite d’être posée, afin que droit local et droit général puissent cohabiter harmonieusement le moment venu... Quoi qu’il arrive, soyez assuré, monsieur le secrétaire d’État, que nous continuerons de défendre avec force et détermination le droit local alsacien-mosellan, spécificité structurante de l’histoire de nos territoires auquel nos concitoyens sont très attachés. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)