Les interventions en séance

Justice
Hervé Maurey 17/05/2011

«Projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale »

M. Hervé Maurey

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord remercier le président du groupe de l’Union centriste, François Zocchetto, qui m’a permis d’intervenir plus tôt dans le débat afin que je puisse respecter une contrainte horaire. Monsieur le garde des sceaux, en ce début de discussion générale, je voudrais vous faire part de mon étonnement, de mes doutes et de mon scepticisme face à la réforme que vous nous proposez. J’avoue ne pas comprendre le pourquoi de cette réforme ni les raisons de cette procédure d’urgence, aujourd’hui appelée procédure accélérée. À ma connaissance, en effet, une telle réforme n’a été demandée par personne : aucun justiciable, aucun avocat, aucun magistrat ne l’a suggérée ; aucun rapport, aucune étude, aucun colloque ne l’a préconisée. La réforme ne prétend d’ailleurs pas régler les principaux problèmes de notre justice en termes de délai ou d’efficacité, en termes de droit de la défense ou de modernisation de la justice, ou encore en termes de manque de moyens ou d’engorgement des prisons, alors que nous venons d’apprendre aujourd’hui même que nous avions atteint un chiffre record en la matière. Alors pourquoi examinons-nous ce texte maintenant ? Pourquoi continuons-nous à légiférer trop et trop vite, alors que le Président de la République avait dit que la fin de son quinquennat serait consacrée à faire un bilan des réformes engagées et à « délégiférer », pour reprendre son expression ? Monsieur le garde des sceaux, vous avez appelé à la rescousse Libération et André Gide, et vous nous avez dit que cette réforme allait renforcer le lien entre la justice et les citoyens, et permettre aux décisions judiciaires de ne pas être déconnectées des évolutions de la société. Mais en quoi mettre deux assesseurs aux côtés de trois magistrats permettra-il d’atteindre ces objectifs ? En quoi ces citoyens pourront-ils jouer un rôle réel dans l’élaboration de la décision, quand on sait que, dans les cours d’assises, où les magistrats sont pourtant minoritaires – trois magistrats pour neuf jurés –, leur poids est très souvent prépondérant en raison de leur connaissance du sujet et de leur expérience ? Pensez-vous vraiment que deux assesseurs inexpérimentés, sans formation et sans motivation, joueront réellement un rôle ? Pensez-vous vraiment qu’ils permettront de renforcer, comme vous l’appelez de vos vœux, le lien entre la population et la justice, et qu’ils permettront que les décisions judiciaires ne soient pas « déconnectées des évolutions de la société » ? Très honnêtement, je ne le crois pas. Il aurait fallu pour cela une vraie réforme, une réforme structurelle, une réforme de fond, et non une « réforme gadget » dont il n’était même pas question voilà seulement un an. Nous sommes en réalité, une fois de plus, dans la « réforme marketing », la gestion des conséquences d’un effet d’annonce non préparé, comme ce fut le cas à plusieurs reprises, je pense notamment à la suppression de la publicité à la télévision qui avait surgi, pareillement, à la plus grande surprise de la ministre concernée sans que personne n’ait rien demandé et alors que, là encore, il y avait bien d’autres priorités à régler ! Nous sommes en train, comme nous le faisons trop souvent, de « sur-réagir » à un fait divers tout à fait dramatique, le meurtre d’une joggeuse, qui a eu la faveur des médias voilà quelques mois. Nous sommes en train d’appliquer un théorème beaucoup trop fréquent : un drame, une loi ! Cela ne me semble pas, monsieur le garde des sceaux, la meilleure manière de légiférer. Cette réforme non seulement ne résoudra aucun des problèmes que connaît la justice, mais elle en aggravera un certain nombre. Elle complexifiera l’organisation de la justice puisque nous aurons, à côté des tribunaux correctionnels à juge unique et des tribunaux correctionnels avec trois magistrats, une nouvelle catégorie de tribunaux correctionnels composée de trois magistrats et deux citoyens. J’en profite, à ce moment de mon propos, pour remercier la commission des lois et son rapporteur, qui, grâce à leur travail remarquable, ont évité la création de « cours d’assises light » à côté des cours d’assises, ce qui aurait encore complexifié l’organisation judiciaire et paradoxalement réduit le rôle des citoyens dans l’exercice de la justice. Cette réforme accentuera l’encombrement de la justice, puisque l’on sait que la présence des assesseurs nécessitera un délibéré plus long et conduira donc à traiter moins de dossiers par audience, sans parler de la nécessité de les initier aux rudiments de la procédure et de leur permettre d’accéder aux dossiers. Elle aura également un coût, selon vos estimations qui ne sont certainement pas surévaluées : 33 millions d’euros d’investissement et plus de 8 millions d’euros par an en fonctionnement. Était-ce utile, monsieur le garde des sceaux, quand on connaît les difficultés budgétaires de la justice ? Ces crédits n’auraient-ils pas pu être mieux utilisés ? Compte tenu du temps qui m’est imparti, je laisserai à mes collègues du groupe de l’Union centriste, et notamment à M. Yves Détraigne, le soin d’évoquer le titre II de ce texte et la question de l’application des peines. Vous le voyez, monsieur le garde des sceaux, il faudra toute votre pédagogie, toute votre force de conviction et de persuasion pour nous convaincre de l’utilité et de l’intérêt de ce texte.