Les interventions en séance

Emploi
Jean-Marie Vanlerenberghe 17/04/2013

«Projet de loi relatif à la sécurisation de l՚emploi»

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 a pu être qualifié d’« historique » par certains d’entre nous, M. Desessard notamment. Dans une certaine mesure, c’est vrai, mais ce qui est sûr, c’est que cet accord correspond à notre philosophie, fondée sur la promotion du dialogue social. Certes, l’ANI aurait pu aller plus loin sur tel ou tel point : par exemple, sanctionner plus sévèrement les contrats précaires, améliorer encore davantage la portabilité des droits à la formation, ou élargir un peu plus les accords de participation. Nous aurons l’occasion d’en reparler et tout cela évoluera dans l’avenir, nous l’espérons. Il convient d’observer d’emblée que l’ANI consacre un changement d’approche des relations sociales dans notre pays. Il est l’aboutissement d’une évolution que nous appelions de nos vœux, avec les formations centristes qui, depuis les lendemains de la guerre, ont toujours prôné et défendu la démocratie sociale. Effectivement, nous avons toujours considéré l’entreprise comme une communauté humaine qui, en respectant les différences, crée de la richesse et des emplois, et non comme un lieu d’affrontement et de lutte des classes. L’ANI est l’expression concrète de la loi de modernisation du dialogue social du 31 janvier 2007, due au président Gérard Larcher, qui a imposé que toute réforme touchant aux relations du travail, à l’emploi ou à la formation professionnelle fasse l’objet d’une concertation préalable avec les organisations patronales et syndicales. Cet accord aura donc d’autant plus de force que, fruit d’un compromis social, il sera également la résultante d’un consensus politique. C’est là que nous vous interpellons, monsieur le ministre ! Notre seul regret, c’est que l’accord n’ait pas été signé par toutes les organisations syndicales, mais vous n’y êtes pour rien ; cela nous incite d’autant plus à saluer la position de celles qui, au contraire, ont eu le courage de s’engager dans cette voie nouvelle. En quoi consiste le changement ? Primo, nous passons d’une logique défensive à une logique offensive : avec l’accord, il n’est plus question seulement de gérer des situations de crise, mais de les prévenir. Secundo, et c’est même le cœur de l’ANI, il s’agit de doter enfin notre pays d’un socle de flexibilité et de sécurité, c’est-à-dire de consacrer des droits nouveaux pour les salariés et de donner plus de flexibilité économique aux entreprises pour les aider à s’adapter à la conjoncture et à maintenir l’emploi. Une telle approche s’accompagne, en effet, d’un dépassement de l’antagonisme traditionnel entre salariat et patronat. Cependant, comme nous le faisait remarquer l’un des responsables syndicaux que nous avons auditionnés, la philosophie de l’ANI n’est pas celle du « donnant-donnant », de l’octroi de droits contre davantage de flexibilité. Pourquoi ? Tout simplement parce que les droits en question servent les intérêts de l’employeur et que la flexibilité sert aussi ceux des employés. Par-delà la seule flexi-sécurité, la volonté de dépasser l’antagonisme classique entre le salariat et le patronat est concrétisée par un certain nombre de dispositions bien retranscrites dans le projet de loi, qui visent clairement à apaiser les rapports sociaux et à substituer la logique de coopération à celle de l’affrontement. C’est notamment le cas de l’article 16, qui favorise la conciliation et réforme les délais de prescription en cas de licenciement, ou bien encore de l’article 17, qui assouplit les règles de mise en place des institutions représentatives du personnel en cas de franchissement des seuils d’effectifs. Dans cette optique, la disposition à nos yeux la plus emblématique est, à l’article 5, la création de l’obligation de représentation des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance des grandes entreprises, qu’accompagne, à l’article 4, les consultations du comité d’entreprise sur les orientations stratégiques et le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. Sur le plan de la gouvernance d’entreprise, c’est un changement de paradigme dont nous nous réjouissons ! Il s’agit maintenant de donner valeur législative à l’ANI, mais sans le dénaturer. Nous jugerons donc ce texte à sa capacité à ne pas s’en éloigner à mauvais escient. Finalement, nous adhérons pleinement au credo du Président de la République : « tout l’accord, rien que l’accord ». Or, monsieur le ministre, on peut recenser trois écarts notables entre l’accord et le texte qui nous parvient de l’Assemblée nationale, trois écarts que notre commission – et je le regrette, cher Claude Jeannerot – n’a pas comblés. Je vais donc me concentrer maintenant sur ces écarts, parce que deux d’entre eux sont, à nos yeux, problématiques. Le premier, à l’article 1er, consiste bien sûr en la possibilité donnée aux branches de désigner leur organisme complémentaire. Je ne m’étendrai pas longuement sur le sujet qui fera sans doute l’objet de débats substantiels. Notre collègue Hervé Marseille y reviendra lors de la discussion de cet article. Je ferai néanmoins deux remarques préliminaires et ferai part d’un sentiment général sur la clause de désignation. Première remarque : cette question ne constitue absolument pas le cœur du texte. Sans doute ! Les mutuelles non plus, du reste ! Quoi qu’il en soit, il ne faudrait donc pas que le débat fondamental sur la flexi-sécurité soit trop pollué par le problème de la clause de désignation. Et cela dépend un peu de vous, monsieur le ministre ! Seconde remarque : l’arbre de la clause de désignation ne doit pas non plus cacher la forêt de la généralisation de la complémentaire santé. Autrement dit, il ne doit y avoir aucune ambiguïté sur le fait que la généralisation de la complémentaire santé en entreprise représente une avancée majeure. Mais notre sentiment général sur la question de la clause de désignation est évidemment négatif, d’autant que la lettre de l’ANI me semble écarter le recours à cette clause. Et, encore une fois, nous pensons qu’il faut s’en tenir à l’accord. Au surplus, la généralisation de la clause de désignation pourrait aboutir à une reconfiguration brutale de l’offre en matière de complémentaire santé en France. Il ne s’agit pas de défendre tel ou tel opérateur, mais de garantir la transparence. Or la clause de désignation ne pourra qu’offrir un terreau favorable aux conflits d’intérêts qui pourraient se faire jour dans telle ou telle branche, surtout dans le contexte actuel, et contre lesquels je me permets de vous mettre en garde. Ce n’est ni aux mutuelles ni aux assurances de financer les professions et les syndicats ! Nous défendrons donc des amendements visant à revenir à l’ANI, en l’aménageant de manière qu’une véritable concurrence entre organismes de différente nature soit respectée, conformément aux recommandations de l’Autorité de la concurrence. (M. Henri Tandonnet applaudit.) Les deux autres écarts notables du projet de loi par rapport à l’ANI concernent l’article 10, relatif à la mobilité interne. Le premier est tout à fait justifié. Il s’agit de la requalification par le Conseil d’État du licenciement pour refus de mobilité interne en un licenciement individuel pour motif économique, et non personnel. Je suis d’ailleurs persuadé que, si la loi n’opérait pas elle-même cette modification, le juge se prononcerait dans le sens d’une telle requalification. Par ailleurs, le texte désamorce les craintes des représentants patronaux puisque, au terme du compromis trouvé, ces licenciements ne pourront donner lieu à des plans sociaux. Il nous faudra obtenir des assurances complètes sur ce point. En revanche, l’Assemblée nationale a rendu facultative la négociation portant sur les conditions de la mobilité professionnelle interne. Comme je l’ai indiqué ce matin en commission, là réside le troisième écart notable, selon nous problématique, du projet de loi par rapport à l’ANI. Nous aurions en effet souhaité qu’il s’agisse non d’une possibilité, mais d’une négociation systématique et obligatoire au sein de l’entreprise, et nous défendrons un amendement en ce sens. J’en arrive maintenant au cœur du texte, qui est incontestablement l’article 12, portant création des accords de maintien dans l’emploi, le plus important dispositif de flexi-sécurité. Il s’agit de pouvoir moduler ponctuellement un certain nombre de leviers – la durée du travail, son organisation, ainsi que les rémunérations – pour éviter les plans sociaux en cas de difficultés économiques. L’usage du dispositif est temporaire puisque la durée de l’accord ne peut excéder deux ans. De plus, il est assorti d’une clause de retour à meilleure fortune puisque, en cas d’échec, le plan social est établi en fonction des durées du travail et des rémunérations antérieures à l’accord. Dans le cadre du plan social, le salarié n’aura donc en rien perdu le bénéfice du dispositif, ce qui est un point essentiel. Au pire, il s’agit d’un sursis et, au mieux, d’un moyen efficace de faire face collectivement à un creux de vague. Le dispositif est d’autant plus défendable que, il convient de le préciser, des dispositions analogues existaient dans le droit en vigueur. En effet, une entreprise, en difficulté ou non, peut d’ores et déjà conclure un accord d’aménagement du temps de travail qui permet, en réduisant ce dernier, d’ajuster les salaires à la baisse. De plus, les entreprises peuvent recourir au chômage partiel, dès lors qu’elles ont connaissance de ce dispositif, ou aux plans de départs volontaires. L’apport principal de l’accord de maintien dans l’emploi est donc de compléter les aides existantes en matière d’adaptation des salariés aux évolutions de l’emploi et des compétences, de chômage partiel, ainsi que de reclassement et de conversion professionnelle. Il crée un cadre à la fois plus global et alternatif à des outils ciblés et disparates, ce qui permet de mieux sécuriser et garantir l’emploi. Hormis l’accord de maintien dans l’emploi, l’ANI comporte d’autres avancées notables, que nous saluons. Ainsi en est-il de la création du compte personnel de formation, le CPF, dont le financement doit, certes, encore faire l’objet d’une concertation entre partenaires sociaux, État et régions, mais qui constitue un progrès réel. Il s’agit d’un compte universel et individuel, donc indépendant du statut de son bénéficiaire, et ouvert autant aux demandeurs d’emploi qu’aux salariés. Enfin, il est intégralement transférable. Nous n’avions pas connu une avancée aussi essentielle pour la formation professionnelle – pourvu qu’on l’utilise bien – depuis les lois Delors, votées voilà quarante ans. (M. Gérard Larcher acquiesce.) Certes, le droit individuel à la formation, le DIF, a constitué un progrès, mais les dispositifs actuels ont aussi amplement démontré leurs limites. Le CPF, dont bénéficieront les salariés, améliorera la portabilité du DIF puisque, aujourd’hui, dans l’immense majorité des cas, les démissions interdisent le maintien des droits. Surtout, ce contrat est susceptible d’améliorer substantiellement l’accès à la formation des publics qui en ont le plus besoin, à savoir, bien sûr, les demandeurs d’emploi, mais aussi les publics les moins qualifiés, à condition que ceux-ci apprennent à l’utiliser. Il est en effet conçu comme un outil de stimulation de la formation dont pourra se saisir le salarié. Il ne régira pas les formations organisées sur l’initiative de l’employeur, mais pourra être abondé par ce dernier ou par les pouvoirs publics. Ainsi, et c’est déterminant, le CPF pourra favoriser un accès différé à la formation initiale et à des formations qualifiantes en bénéficiant des divers dispositifs régionaux qui pourront lui être proposés. C’est une étape importante vers l’urgente et inévitable réforme de la formation professionnelle, réforme qui constitue selon nous, avec le choc de compétitivité tant attendu, le levier clé de la bataille de l’emploi. Je conclurai par une question très importante à nos yeux : l’encadrement du temps partiel, qui fait l’objet de l’article 8. Je le disais au début de mon intervention, si notre rôle principal de législateur est de veiller à ne pas dénaturer l’ANI, il nous revient aussi de l’adapter en cas de nécessité. Nous devons donc adapter l’article 8 afin de tenir compte de la réalité professionnelle de certaines branches. Cet article pose en effet un socle de garanties tout à fait intéressantes visant à limiter l’usage du temps partiel, comme les fameuses 24 heures hebdomadaires minimales et l’interdiction du temps fractionné. Cependant, ces règles sont incompatibles avec l’exercice normal de certaines activités. C’est le cas pour le secteur social et médico-social, les services à la personne, ou le portage de presse, ainsi que l’a rappelé notre ami Jean-Noël Cardoux. Or les dérogations actuellement prévues par le texte sont par trop restrictives pour que les branches disposent des moyens législatifs de s’y adapter. Cela pose un véritable problème et suscite, monsieur le ministre, une vive inquiétude dans les secteurs concernés qui, parce qu’ils recèlent des gisements d’emplois et de croissance, mériteraient au contraire d’être portés à bout de bras par la puissance publique. Vous l’aurez compris, il s’agit là pour nous d’une question centrale. Nous vous proposerons donc d’amender le texte sur ce point. Pour résumer, tenons-nous en globalement à l’ANI, mais adaptons la loi sur quelques points ! Ainsi aurons-nous fait œuvre utile. Il me reste à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, ainsi que notre rapporteur, Claude Jeannerot, pour l’excellence de son travail, fruit de nombreuses et fructueuses auditions, pour son écoute et sa courtoisie. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et de l’UMP – Mme Maryvonne Blondin et M. François Fortassin applaudissent également.)