Les interventions en séance

Affaires sociales
Jean-Marie Vanlerenberghe 16/12/2013

«Projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites »

M. Jean-Marie Vanlerenberghe

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, n’étaient les quelques modifications marginales apportées par l’Assemblée nationale, le texte dont nous sommes aujourd’hui saisis est identique à celui qui a été rejeté à l’unanimité par le Sénat le 5 novembre dernier, sans que le Gouvernement n’en tire aucune conclusion. Pourtant, un tel vote n’est pas anodin : l’unanimité contre un projet de loi, je n’avais jamais vu cela au Sénat ! Ce vote signifie que la présente réforme nous apparaît mal ficelée. Elle répond, certes, à un relatif consensus syndical, mais ce consensus ne se retrouve aucunement au sein de la représentation nationale, ici au Sénat. De cette réalité, vous faites fi ! Je trouve que c’est un grave manquement à la démocratie parlementaire…
Dans ces conditions, cette nouvelle lecture ne peut qu’apparaître comme un pur artifice. Pourtant, un autre scénario, me semble-t-il, était possible. Vous auriez pu écouter les propositions que nous vous avons faites et qui ne remettent aucunement en cause notre modèle social. Il n’y a pas eu, ici, d’opposition idéologique : nous avons voulu être constructifs.
Selon nous, vous le savez, la logique des réformes paramétriques assorties de clauses de revoyure a atteint ses limites. Seule une réforme systémique peut vraiment garantir l’avenir et la justice du système de retraites. D’ailleurs, contrairement à ce que vous venez de dire, madame la rapporteur, c’était votre position en 2010, comme en témoigne le rapport de la mission d’évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale que vous avez cosigné.
Une réforme systémique garantirait l’avenir du système de retraites parce que le remplacement de l’annuité par le point permettrait de faire converger tous les régimes vers un régime unique, ce qui rendrait le système enfin lisible et transparent et en faciliterait considérablement le pilotage.
Une réforme systémique garantirait aussi la justice, notre système de retraites étant aujourd’hui parfaitement inéquitable : ainsi, deux assurés peuvent avoir des carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, uniquement parce qu’ils n’ont pas le même statut ! La multiplicité de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et engendre des injustices qui ne sont plus acceptées. Seule une remise à plat transparente du système permettrait de différencier les situations des assurés sur la base de critères objectifs, par exemple pour uniformiser les avantages familiaux ou, surtout, pour prendre en compte la pénibilité. Il faut se souvenir que c’était au départ la raison d’être des régimes spéciaux, mais, depuis leur création, la pénibilité a considérablement évolué ; le système doit donc évoluer en conséquence, et mieux protéger ceux qui sont exposés à de réels facteurs de pénibilité. C’est ce que permettrait un régime unique. Comment la transition pourrait-elle s’effectuer ? De la même manière que dans les pays où elle a déjà eu lieu, comme la Suède, l’Italie ou la Pologne. Elle serait bien sûr progressive, et prendrait au moins dix ans. Dans son septième rapport, en date du 27 janvier 2010, le COR a très bien étudié les scénarios de mise en œuvre d’une telle réforme. Elle devrait être précédée d’un véritable débat national. L’amendement que nous avons fait adopter lors de la première lecture et que nous représenterons aujourd’hui prévoit tout cela. Une telle réforme systémique correspond aux attentes de nos concitoyens, qui, sondés en septembre dernier par l’institut Louis Harris, se déclarent à 73 % en faveur de cette convergence des régimes du secteur public, du secteur privé et des régimes spéciaux pour les fondre en un régime unique. Cette idée fait son chemin puisque la majorité des syndicats y sont favorables, tout comme, dans cet hémicycle, des collègues du RDSE ou de l’UMP, et jusqu’à vous-même, madame la rapporteur, ainsi que je l’ai rappelé. Mais le Gouvernement est hermétique à cette idée, de même qu’au débat public qui, en vertu de la réforme de 2010, devait être organisé au premier semestre de 2013. Il ne s’est jamais tenu, et le Gouvernement a même prétendu que le rapport Moreau en faisait office ! De qui se moque-t-on ? Nous ne pouvons que déplorer cette attitude de fermeture. La présente réforme est totalement verrouillée : en témoigne ce qui s’est passé depuis le début de la navette à propos de l’article 4 du texte, qui prévoit de décaler de six mois la date de la revalorisation des pensions de retraite. À chacune des lectures devant l’une ou l’autre des assemblées, cet article a été supprimé ; à chacune des lectures devant l’une ou l’autre des assemblées, le Gouvernement l’a rétabli, par le biais d’une seconde délibération assortie d’un vote bloqué ! C’est encore ce qui s’est produit à l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, alors même que les députés de la majorité gouvernementale avaient déposé des amendements de compromis visant à exonérer de la mesure les pensions inférieures à 1 028 euros par mois… Le Gouvernement a tout refusé, au motif principal que l’ASPA – l’ancien minimum vieillesse – serait doublement revalorisée en 2014, alors que ses bénéficiaires ne sont pas concernés par l’article 4 ! Encore une fois, de qui se moque-t-on ? En conclusion, puisque rien ne doit changer, notre vote ne changera pas non plus.